Algérie : comment Bouteflika fait face
Malgré les rumeurs sur son état de santé et son relatif silence, le chef de l’État algérien semble avoir gardé la main. Mais sa succession n’est plus un sujet tabou.
L’actualité nord-africaine ainsi que les émeutes qui ont ébranlé, le 5 janvier, 20 des 48 wilayas (préfectures) algériennes ont amené le président Abdelaziz Bouteflika et son gouvernement à multiplier les mesures d’apaisement. Objectif : calmer un front social en ébullition et désamorcer une contestation politique jusque-là portée par des forces aux capacités de mobilisation réduites. Au-delà de ces mesures, les révolutions tunisienne, égyptienne et libyenne cumulées à une situation interne faite de conflits sociaux et de jacqueries, qui prennent, parfois, des formes très violentes, ont apporté une innovation : l’après-Boutef n’est plus un sujet tabou.
À preuve, les déclarations à l’agence de presse financière américaine Dow Jones du chef de la diplomatie, Mourad Medelci, qui a exclu que le chef de l’État envisage une présidence à vie. Mais il a également réfuté l’hypothèse qu’il puisse ne pas achever son mandat « pour lequel il a été élu avec une écrasante majorité », balayant ainsi les rumeurs sur un état de santé précaire et renvoyant à leurs chères études les animateurs de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD, une coalition d’organisations de la société civile autour du Rassemblement pour la culture et la démocratie, RCD, de Saïd Sadi), qui a tenté, en vain, de mobiliser la population autour d’un « Boutef dégage ». Pourquoi ?
Il y a bien sûr l’itinéraire du personnage et un bilan bien moins sombre qu’on ne le présente. Mais Abdelaziz Bouteflika se distingue de ses prédécesseurs en cumulant les paradoxes. La révision de la Constitution, en novembre 2008, lui a permis non seulement de lever le verrou de la limitation des mandats, mais également de présidentialiser davantage le régime. Le nouveau texte stipule notamment que le gouvernement est responsable devant lui et non plus devant la représentation nationale. De ce fait, Bouteflika s’implique dans tout et concentre entre ses mains toutes les décisions. « Du simple ordre de mission à l’étranger pour un haut fonctionnaire à l’attribution d’un marché d’envergure, tout passe par la présidence de la République », déplore un diplomate algérien. Bref, Boutef III, celui du troisième mandat, est devenu un « omniprésident ».
Le paradoxe ? Il se situe dans le décalage entre cette « toute-puissance » et une fragilité due à un état de santé objet de toutes les rumeurs qui a considérablement réduit ses apparitions et déclarations publiques. Le dernier « direct live » remonte à… mars 2009, lors de la campagne électorale pour la présidentielle. Depuis, se sont succédé un scandale financier à Sonatrach, l’assassinat du patron de la police, des émeutes à répétition, la fièvre de la rue arabe, les révélations de WikiLeaks… Sans qu’il sorte d’un mutisme absolu. Boutef communique avec son peuple par… communiqués. Et quand Boutef fait un discours, il est lu par l’un de ses conseillers. Les habits de l’omniprésident sont portés par une personnalité qui semble de plus en plus virtuelle.
Cela s’est confirmé le 8 mars. Comme chaque année, le chef de l’État a présidé un banquet officiel à l’occasion de la Journée de la femme. L’adresse que prévoit le protocole a été diffusée par l’agence officielle de presse, APS. Résultat : des sourires et des photos avec quelques invitées mais point de discours et pas le moindre commentaire sur ce printemps arabe. Ses visites à l’intérieur du pays sont un vieux souvenir. Quant à son activité internationale, elle se limite à quelques audiences accordées à des visiteurs de marque, à ses participations aux sommets de l’Union africaine (UA) et de la Ligue arabe, et à quelques visites d’État à l’étranger. Selon un fonctionnaire de l’Union africaine (UA), la présence d’Abdelaziz Bouteflika aux assises panafricaines est de plus en plus discrète : « Il n’intervient quasiment plus en plénière et fait distribuer ses discours auprès de ses pairs. J’en suis même arrivé à oublier la tonalité de sa voix. »
En l’absence de toute communication sur l’état de santé de l’intéressé, les Algériens s’en remettent aux rares témoignages de ses visiteurs. Celui de Jean-Pierre Raffarin n’est pas le plus rassurant. L’ancien Premier ministre français a été longuement reçu, le 21 février. Le missi dominici de Nicolas Sarkozy a trouvé son interlocuteur en pleine forme, « maîtrisant parfaitement les dossiers en cours de discussion », mais il a également rapporté cette inquiétante déclaration de Bouteflika : « Aujourd’hui, j’ai plus de convictions que de forces. »
Sentiment de lassitude d’un chef d’État aux abonnés absents ? Rien de tout cela, assure Mourad Medelci. Il est vrai que la gestion présidentielle des émeutes de janvier contre la cherté de la vie a permis d’éteindre rapidement l’incendie. Une éventuelle contagion des révolutions arabes ? Jamais le Conseil de sécurité nationale n’a tenu autant de réunions. « Opérations de solidarité, diplomatie et gestion de la menace d’Aqmi sont convenablement prises en charge, assure un haut fonctionnaire d’El-Mouradia. Maintenir l’étiquette d’un président virtuel est une profonde méprise. » Les Algériens voudraient bien le croire.
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