Révolutions dans la révolution

Fawzia Zouria

Publié le 17 mars 2011 Lecture : 2 minutes.

Quelle que soit l’issue de la révolution tunisienne, elle aura été la première à rompre avec certains réflexes arabo-­musulmans, dont l’invocation du « complot de l’étranger ». Le soulèvement de janvier dernier était débarrassé de ce que certains appellent péjorativement le « circus arabe », qui consiste à conspuer l’Occident et, en prime, à brûler les drapeaux américain et israélien. Pas un Tunisien n’aurait admis la thèse de la main étrangère avancée par Ben Ali. Cela a, bien au contraire, renforcé la détermination des manifestants.

La révolution rompt également avec une idéologie religieuse qui prétend mener la lutte des peuples au nom d’Allah (fi sabil Allah) et la justifie par le djihad, une notion à laquelle les Tunisiens ont substitué la thawra (« révolution »), assortie des slogans « liberté » et « démocratie », qui vont à l’encontre d’une orthodoxie centrée sur l’obéissance au calife et la soumission au dogme. Les manifestants de Tunis n’arboraient aucun signe religieux. Seul comptait l’hymne national écrit par un poète… C’est la première révolution laïque du genre en terre d’islam !

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La comparaison est frappante avec les autres soulèvements arabes actuels, ponctués par des « Allah akbar » et relayés par des religieux, dont le fameux Qardaoui officiant sur Al-Jazira dans le costume du révolutionnaire. Le même Qardaoui qui, en commentant l’immolation de Bouazizi, s’était fendu d’une fatwa condamnant le suicide en islam. N’en déplaise au cheikh d’Al-Azhar, les Tunisiens viennent de révolutionner le modèle du héros : Bouazizi s’est immolé sans se désigner martyr d’un dogme ou d’une idéologie. Il n’a pas réclamé sa part d’au-delà, ni songé aux vierges du paradis. Il est mort pour raison de dignité. Point. Pas de youyous, ni de litanies.

Autre élément : la présence massive des femmes. Ailleurs, le deuxième sexe n’a rejoint que plus tardivement les mouvements de rue arabes. Au Yémen ou à Bahreïn, il se soumet à la configuration spatiale traditionnelle qui sépare les hommes des femmes. En Tunisie, on a vu marcher côte à côte garçons et filles. À ce décloisonnement entre les sexes s’ajoute une rupture avec le schéma anthropologique des sociétés traditionnelles : la décision de la jeunesse tunisienne de mettre un terme au règne des « vieux » remet en question le sacro-saint principe du respect dû aux anciens et l’ancienne configuration du pouvoir fondée sur l’allégeance de la ra’iyya (« peuple ») au ra’i (« chef »), relayée par le modèle du raïs-père de la nation. La revendication d’un système électoral basé sur un programme politique va à l’encontre des vieilles alliances fondées sur la subjectivité du lien familial et des solidarités claniques.

Il n’est qu’une preuve pour se persuader de la modernité du pays de Carthage : le spectacle de ce qui se passe sur ses frontières, à savoir la folie tragicomique que Kadhafi impose aux siens et qu’il joue sur fond de codes tribaux, de lyrisme suranné et d’une geste délirante. Bref, un scénario surgi de la Jahilyya, cette époque dite de « l’Ignorance », qui a précédé l’islam et qui remonte à quatorze siècles.

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