Shabelle, la radio résistante
Prix Reporters sans frontières de la liberté de la presse, la radio somalienne Shabelle se bat pour son indépendance. Elle est l’une des rares à résister au chaos.
Coups de feu à Mogadiscio. On les entend dans les rues de la capitale, mais aussi sur les ondes de Shabelle, la principale radio privée du pays. En avril 2010, les milices islamistes qui contrôlent la Somalie ont interdit aux stations de diffuser de la musique. Shabelle l’a alors remplacée par des sons devenus quotidiens. Un acte de résistance, symbolique du combat que la station mène depuis sa création en 2002.
Shabelle est le nom d’une rivière et d’une région de la côte somalienne. C’est là que deux journalistes et un ingénieur en télécommunications ont fondé une radio indépendante, dans un État qui n’est plus gouverné depuis 1991. Ces neuf dernières années, Shabelle a livré une guerre permanente. Il lui a fallu se battre pour trouver des financements, recruter du personnel qualifié, et surtout enquêter, dans un pays contrôlé successivement par des seigneurs de guerre et des milices islamistes.
Avec plus de 3 millions d’auditeurs aujourd’hui – ainsi qu’une forte audience pour le site internet et la chaîne télé du groupe – Shabelle Network est perçu comme le média privé le plus fiable du pays. Alors que de nombreuses radios somaliennes, comme HornAfrik ou Al Quran, ont été phagocytées par les milices pour diffuser leur propagande, Shabelle est restée indépendante – ce qui lui vaut depuis 2007 le harcèlement constant des milices. La station a dû quitter ses locaux du marché de Bakara, un quartier dangereux au cœur de Mogadiscio, pour rejoindre la zone sécurisée par les troupes de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), près de l’aéroport. Un transfert nécessaire, puisqu’en trois ans cinq journalistes et deux techniciens de Shabelle ont été tués. Le directeur Mukhtar Mohamed Hirabe a été abattu de quatre balles dans la tête en 2009.
Sauver des vies
Mais plus elle subit de menaces et de pertes, plus Shabelle résiste pied à pied. Et parfois, elle gagne. « En Europe, vous avez des flashs sur le trafic routier. Nous, nous disons toute la journée dans quelles rues ont lieu des combats, et où les insurgés bloquent le passage, compare Ali Dahir Abdi, cofondateur de Shabelle et responsable du développement du groupe. Nous sauvons probablement des vies. » D’autres fois, c’est la radio qui perd. Elle a, par exemple, dû interrompre en 2010 la diffusion du programme Tartan Aqooneedka, un jeu de connaissances pour enfants et adolescents qui les encourageait à quitter les milices qui les avaient enrôlés. Autre ennemi plus surprenant, le gouvernement fédéral de transition, dont des scandales financiers ont été révélés par la station, l’a déjà fait fermer une fois.
Shabelle a reçu le prix RSF 2010 de la liberté de la presse. « Avant tout, confie Ali Dahir Abdi, cette récompense nous redonne confiance. Nous ne nous laisserons jamais imposer le silence. Mais je suis pessimiste pour mon pays. Je vieillis, et je ne suis pas sûr de voir un jour une Somalie démocratique. »
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