Le nouvel espoir d’Ayo
Après un passage à vide, la chanteuse revient avec Billie-Eve. Un mix pêchu de rock, folk, blues et reggae, enregistré entre New York et Paris. Toujours aussi réjouissant.
Coiffée d’une coupe afro à la Boney M, Ayo accueille ses visiteurs avec le sourire. Pas l’un de ceux préfabriqués que les stars distribuent aux passants et aux fans. Un vrai, qui monte jusqu’aux yeux et qui dévoile à l’autre un peu de ce que l’on est à l’intérieur. Espiègle, elle s’amuse du mal qu’ont parfois ses interlocuteurs à suivre ses déplacements : Londres, Hambourg, New York, Port-Louis, Kingston… « C’est vrai que je ne pose jamais mes valises longtemps au même endroit, plaisante-t-elle. Mais là, je crois que ça y est, je reste à Paris. » Ses mains fines s’agitent quand elle parle de son récent emménagement, de la naissance de sa petite Billie-Eve et bien sûr de son nouvel album, le troisième, qui sort le 7 mars. Il porte le même nom que sa fille, un jeu de mot avec believe, « croire » en anglais. En quoi ? En Dieu ? « En l’amour. En la vie… Je suis reconnaissante d’être là aujourd’hui pour en savourer chaque instant », explique-t-elle dans un français mâtiné d’un doux accent so british.
Un flot d’émotions
Billie-Eve. Garder espoir. Pour Joy Olasunmibo Ogunmakin (son vrai nom), ce titre s’est imposé tout seul. La voix encore chargée d’émotion, elle raconte ce Los Angeles-Paris en juin 2009 où tout a failli s’arrêter. La douleur abdominale insoutenable, l’hôpital, la grossesse extra-utérine qui lui fait frôler la mort. Après son opération, elle est blessée dans sa chair et dans son corps. Elle ne se « sent plus »… Ayo se replie, ne veut plus ni composer ni chanter. À la limite de la dépression, elle rentre à Hambourg, puis finit par prendre deux mois de vacances en Jamaïque, avec Patrice, son compagnon de l’époque, et Nile, leur garçon de 5 ans. À la fin de son séjour, elle est de nouveau enceinte. Et prise d’une furieuse envie de gratter sa guitare. « Je revivais. Mon cœur charriait un flot d’émotions qu’il fallait que je sorte. Ça a été aussi le moment d’une prise de conscience : il était temps que je sois moi-même. Pleinement. »
« I’m Gonna Dance », le premier extrait de Billie-Eve disponible en écoute sur le net depuis décembre 2010, donne le ton : « Fatiguée de retenir mon souffle (…), je veux vivre, je veux donner », disent les paroles. Quant à la musique, c’est un mix rock-folk-reggae pêchu qui donne envie de sauter dans tous les sens. Mise en ligne en janvier sur le site de partage YouTube, la vidéo du clip a été vue plus de 200 000 fois en un mois.
Voir la vidéo du clip
C’est la première fois qu’Ayo enregistre un album en plus de cinq jours. La première session – qu’elle croyait être la dernière – s’est passée au Sear Sound Studio de New York, avec une équipe réduite, mais prestigieuse, comprenant l’Américaine Gail Ann Dorsey (bassiste de David Bowie depuis les années 1990) et Craig Ross (guitariste attitré de Lenny Kravitz, B.B. King et Aerosmith).
Puis la chanteuse vient accoucher à Paris… et se rend compte que tout n’est pas fini. « Je regardais ma fille et une chanson s’est imposée à moi. C’était la première fois que je composais un morceau, paroles et musique, entièrement dans ma tête. Et dès que je suis sortie de l’hôpital, retour en studio pour deux jours d’enregistrement en plus. » Pour cette deuxième session, Ayo fait appel à ses musiciens de tournée et à son ami M, Matthieu Chedid, « cette formidable rencontre ». « On a été présentés à Londres, il y a trois ans. Mais c’est comme si on s’était toujours connus, raconte-t-elle. Avec sa guitare, il est capable de faire passer de telles émotions… »
Résultat, un album plein de surprises. Rock, folk, blues, reggae… la chanteuse mélange tous les styles, toutes ses influences, de Jimmy Cliff aux Thin Lizzy, d’Aretha Franklin à Nina Simone, comme si elle refusait l’idée d’être mise dans une case. Pour mieux brouiller les pistes, une reprise de « I Want You Back » des Jackson Five en bonus track, qui offre une autre facette de ses capacités vocales.
Ayo cuvée 2011 semble avoir fait le deuil de son passé. Enfin, presque. En tout cas, elle n’est plus aussi amère qu’elle l’a été. Une fois de plus, dans ses chansons, elle se met à nu, sans pudeur. Et quand on lui demande si elle n’en éprouve aucune gêne, la réponse fuse, claire, sans appel : « Enfant, je m’étais inventé une autre vie. Mentir me venait si naturellement… À présent, je ne veux plus rien cacher. » Une mère héroïnomane qui disparaît des mois. Un père aimant, mais déclaré inapte à s’occuper de ses quatre enfants. Une adolescence ballottée de foyers en familles d’accueil. La faim. La peur. La solitude. Des coups qui ne lui ont rien ôté de sa fraîcheur. « Aujourd’hui, avec mon père, il nous arrive de rire de toutes ces choses douloureuses », confie-t-elle presque surprise de voir à quel point le temps panse les blessures. « Avec le recul, je remercie la vie parce que tout ça m’a permis de devenir la femme que je suis aujourd’hui », murmure-t-elle, sereine.
Thérapie musicale
Aussi, de son passé, l’album ne garde qu’une trace, « Black Spoon », dans laquelle la chanteuse décrit par le menu la préparation d’une injection d’héroïne. Pour le reste, Billie-Eve nous parle de la femme d’aujourd’hui. Celle qui a connu les joies de la maternité et les déconvenues de la passion. Celle qui a décidé d’aller de l’avant, malgré la fin de son couple. « À la naissance de ma fille, les choses sont devenues si… claires, raconte-t-elle, mélancolique. Avec Patrice, nous ne sommes plus ensemble. Mais on est quand même une famille. » Dans « Real Love », à mi-chemin entre la comptine et la ballade reggae, la jeune maman proclame son amour à sa fille. Puis dans « It’s Too Late » et « It Hurts » – sublimé par la guitare de Matthieu Chedid –, sa peine de voir sa relation s’étioler, puis se briser. Elle y aborde aussi sa dépression (« I Can’t »), ses attentes en amour (« My Man ») et le continent d’origine de son père, l’Afrique, dans « Who Are They ? », le récit du voyage d’émigrants clandestins. « Au Nigeria, j’ai rencontré des gens qui voulaient partir à tout prix. Et pourtant, c’est là que se trouve le bonheur, l’énergie, la vie… »
« Je sais qu’on dit souvent que le premier disque est le plus important. Mais pour moi, c’est celui-là. Je l’ai réalisé moi-même », raconte Ayo. Peut-être parce qu’il est le plus complexe et le plus abouti. Peut-être aussi parce que la femme qui l’a écrit est moins tourmentée. « Je refuse d’être une morte vivante. Je veux vivre et ma musique est la meilleure thérapie. »
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