Révolutions arabes : la traque des biens mal acquis a du plomb dans l’aile

Si l’Europe et l’Amérique du Nord tentent de pister les avoirs illicites des clans Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, les places financières d’Asie et du Moyen-Orient demeurent des refuges sûrs.

Singapour n’aurait engagé aucune démarche relative aux biens des dictateurs déchus. © Reuters

Singapour n’aurait engagé aucune démarche relative aux biens des dictateurs déchus. © Reuters

Publié le 16 mars 2011 Lecture : 3 minutes.

Qu’ils se le disent ! Les Ben Ali, Moubarak et Kadhafi sont pris dans la nasse occidentale. Ces dictateurs déchus ou en passe d’être balayés, ainsi que leurs familles et leurs proches, ne seront à l’abri nulle part. Ni eux, ni leurs avoirs. Washington, Toronto, Paris, Berlin ou Bruxelles ont lancé la traque planétaire aux milliards de dollars évaporés de Tunisie, d’Égypte ou de Libye les Américains parlent d’une fortune de 130 milliards de dollars pour « Kadhafi Inc. », l’épithète utilisée en 2006 par un diplomate américain et révélée par WikiLeaks.

L’Europe et l’Amérique du Nord se mobilisent. Et ailleurs ? « Tous les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne ou du Conseil de sécurité de l’ONU ne sont pas tenus d’agir. Il n’y a pas d’homogénéité judiciaire mondiale dans ce domaine. Il est évident que certaines places financières seront moins zélées que d’autres et que les pays mèneront des actions très différentes. En général, les biens mal acquis le restent », tempère Éric Vernier, auteur de Techniques de blanchiment et moyens de lutte (Dunod).

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L’immobilier non concerné

Seuls 140 pays ont signé le texte de l’ONU sur la restitution des avoirs illicites. De plus, l’institution internationale ne tient compte que des avoirs financiers et exclut les biens immobiliers. Les mailles du filet sont donc larges. « À notre connaissance, des places financières comme Singapour ou Hong Kong – l’un des centres privilégiés pour les avoirs illicites –, mais aussi celles du Moyen-Orient, à Dubaï, au Qatar ou Oman, n’ont pas engagé de procédures de gel ou de démarches pour savoir si elles hébergeaient des biens mal acquis », souligne Maud Perdriel-­Vaissière, de l’association Sherpa.

Pistés en Europe et en Amérique du Nord, les avoirs illicites sont suspectés d’avoir pris autant que possible la route des coffres-forts des pays du Golfe ou d’Asie. La proximité des dirigeants déboulonnés et de leurs clans avec ceux de ces pays est un secret de polichinelle. Ben Ali a trouvé refuge en Arabie saoudite. En 2008, lorsque Kadhafi a retiré 7 milliards de dollars des banques suisses après les démêlés de son fils Hannibal avec la justice helvétique, ce magot aurait pris la direction des établissements de Dubaï et des places offshore du Moyen-Orient et d’Asie. Et un autre fils Kadhafi, Seif el-Islam, VRP des intérêts familiaux dans le monde, a piloté la souscription du fonds souverain Libyan Investment Authority (LIA) à l’introduction à la Bourse de Hong Kong, en 2010, du leader mondial russe de l’aluminium, Rusal.

« Trous noirs de la finance »

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Autre alliée des fraudeurs : la panoplie d’outils élaborés par le monde de la finance pour détourner des fonds, malgré toutes les promesses de transparence faites par Nicolas Sarkozy ou Barack Obama. Les paradis fiscaux prospèrent toujours. Les ONG s’accordent autour d’une liste d’une soixantaine de « trous noirs de la finance » – Macao, Hong Kong, Panamá, les îles Anglo-­Normandes, plusieurs micro-États des Caraïbes comme les îles Vierges britanniques, mais aussi Monaco, Andorre, la Suisse, l’État américain du Delaware, la City de Londres… La création de sociétés écrans, de trusts, de fondations, etc., permet également de brouiller la piste des fonds détournés. Seuls 1 % à 4 % des avoirs mal acquis sont restitués aux États, selon les ONG.

D’autant que « le gel des avoirs est temporaire. Il est destiné à empêcher les propriétaires de les utiliser ou de les faire disparaître. Ce n’est pas une réquisition pour restituer les biens au peuple. Lorsque les biens sont dégelés, ils sont remis aux nouveaux gouvernants, qui en font ce qu’ils veulent. Il n’est pas sûr que le peuple en voie la couleur », rappelle Éric Vernier. « Le procureur n’a toujours pas mis la main sur les fonds dispersés dans le monde par Charles Taylor, actuellement jugé à La Haye. Ce que l’on sait, c’est que l’argent a transité via la Citibank », déplore Anthea Lawson, responsable des campagnes sur la transparence financière pour Global Witness.

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La solution ? Geler les avoirs des dictateurs avant qu’ils ne fuient leur pays. C’est une autre histoire.

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