Pointe-Noire : « Entre rêve et regret »
L’écrivain Tchichellé Tchivéla natif de Pointe-Noire nous raconte l’histoire de Ponton-la-belle, ville coloniale, africaine et congolaise.
Congo : Pointe-Noire, vigueurs océanes
Lorsque mes yeux s’ouvrirent sur Pointe-Noire, mon pays natal, j’allais vers mes huit ans. Mon père m’avait fait revenir du village du Kouilou où j’avais vécu deux ans avec ma grand-mère pour que j’entame mes études primaires à l’école urbaine des garçons. Ce qui, d’abord, m’émerveilla, ce fut la mer. Je m’y rendais certains après-midi avec mes camarades. Nous jouions au football avec des balles de tennis. Ici et là, allongés sur des serviettes multicolores, des Blancs en culotte ou en bikini exposaient leur corps au feu du ciel. D’autres, debout sur des planches, surfaient sur la crête des vagues, heureux de se livrer à leur passion du ski nautique. Quelquefois, deux ou trois pirogues glissaient vers nous, chargées de pêcheurs accroupis, recrus de fatigue mais prêts à se délester, sitôt sur la berge, de leurs filets de poissons.
Notre ville a toujours été le lieu de rencontre et de cohabitation pacifique des Français, des Grecs, des Portugais, des Cap-Verdiens, aux côtés desquels vivaient des « Aofiens », venus d’Afrique-Occidentale française (aujourd’hui « Ouest-Africains ») : Dahoméens (Béninois), Sénégalais, Togolais, etc. Il y avait aussi les « Aéfiens », ressortissants de l’Afrique-Équatoriale française : Tchadiens, Gabonais, Oubanguiens (Centrafricains), Camerounais, Cabindais, Congolais de Kinshasa et, bien entendu, les Congolais non originaires du Kouilou.
Les « Aofiens » se détendaient, le week-end, au Club amical daho-togolais (Camdato) et au Palladium, bars-dancings qu’ils avaient construits, tandis que les Kouilouiens allaient au Cercle Africain. Les « Aéfiens » avaient créé leur équipe de football : l’Union. Celle des Cabindais s’appelait Amicale. Une curiosité : l’A.S. Cheminots, équipe du Chemin de fer Congo-Océan, comptait un joueur blanc, Gauvin, qui était aussi l’entraîneur. L’A.S. Brazza avait également « son » Blanc : Charles Félicciagi. Les Français avaient une équipe, l’Association sportive ponténégrine, et un stade, le stade Franco-Anselmi.
Sous la colonisation, Pointe-Noire était divisée en deux grandes zones d’habitations : « la ville » et « la cité indigène ». Les Blancs vivaient en ville, où se trouvaient les services administratifs, les centres économiques et commerciaux. Les Noirs habitaient la cité indigène. Entre les deux, sur l’actuel rond-point Lumumba, se dressait le commissariat de police, avec des missions bien faciles à deviner. Le même système d’apartheid s’observait dans l’enseignement. Les petits Blancs fréquentaient l’école du Losange, en ville. Les petits Noirs, l’une des six écoles primaires de la cité indigène : trois dirigées par l’État, deux par l’Église catholique et la dernière par l’Église protestante suédoise.
Quand, en octobre 1954, le Collège classique et moderne (qui deviendra, en 1959, le lycée Victor-Augagneur) eut ouvert ses portes, il accueillit sans distinction les Blancs et Noirs reçus au concours. Et ce fut la gloire des professeurs français, quand ils notaient les copies de leurs élèves, de ne s’être jamais laissés influencer par la couleur de leur peau ou la position sociale de leurs parents. Quant aux rapports entre les élèves, ils étaient empreints de franche camaraderie. Les frères Félicciagi furent les premiers petits Blancs à inviter des petits Noirs à prendre le goûter chez eux. Je fus de ces heureux privilégiés.
Le premier maire noir et élu de la commune, devenue chef-lieu du Moyen-Congo en 1950, fut Stéphane Tchichellé, mon père, en 1956. Outre le siège de l’Assemblée territoriale, la ville accueillit, après les législatives de 1957, celui du premier gouvernement congolais. C’est à Pointe-Noire que, le 28 novembre 1958, les conseillers territoriaux proclamèrent la République du Congo, en fixèrent la capitale à Brazzaville et élirent Premier ministre l’abbé Fulbert Youlou, qui nomma sur-le-champ Stéphane Tchichellé ministre de l’Intérieur.
Quand, le 5 juin 1997, la guerre civile éclata à Brazzaville, Pointe-Noire, grâce aux efforts de son maire, Thystère Tchicaya, et du préfet du Kouilou, joua son rôle de havre de paix et de sécurité. De tout le pays y affluèrent des populations désemparées mais heureuses de se trouver dans une ville calme et sereine.
Aujourd’hui, Pointe-Noire n’est plus l’attrayante Ponton-la-Belle d’antan. Elle ressemble à une lépreuse en haillons qui sanglote, accroupie au bord de la mer, la face dans les mains. Pourtant, on ne se lasse pas de la fréquenter. Sans doute à cause du lait qui coule encore de ses mamelles.
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