Pointe-Noire, la fille du bord de mer
Principal carrefour régional, la capitale économique du Congo, dopée par ses activités pétrolières, attire une population cosmopolite et en constante augmentation. Revers de la médaille : le chômage et une urbanisation erratique.
Congo : Pointe-Noire, vigueurs océanes
Née il y a moins d’un siècle et rapidement devenue la deuxième ville du pays par sa population de plus de 1 million d’habitants, Pointe-Noire reste fidèle à sa vocation : être la porte grande ouverte du bassin du Congo sur le golfe de Guinée. Elle est le Congo-Océan. La ville et son port ont en effet été créés au début du XXe siècle par le colonisateur français pour devenir le terminus maritime des 500 km de voies ferrées qui, encore aujourd’hui, relient Brazzaville, alors terminus de la navigation sur le fleuve Congo, à l’Atlantique. Cette cité océane reste le point de départ et d’arrivée du réseau de communication vers l’hinterland, les pays enclavés de l’Afrique centrale (RD Congo, Centrafrique, Tchad). Elle est aussi au cœur de la grande route côtière (RN4, RN5) reliant le Gabon et l’Angola. Une situation et des activités – principalement pétrolières et portuaires, générant quelque 80 % des recettes du pays – qui en font la capitale économique du Congo.
Immeubles au ras du tarmac
Moins de quarante-cinq minutes après le décollage de Brazzaville, l’arrivée sur Pointe-Noire peut donner quelques sueurs froides. Un regard à travers le hublot, et l’on se dit que l’avion pourrait se poser sur les habitations voisines de la piste de l’aéroport Agostinho-Neto. À moins que ce ne soit sur les habitants eux-mêmes qui, blasés, indifférents aux décollages et atterrissages des appareils, continuent de vaquer à leurs occupations au gré des petits sentiers jouxtant le tarmac. Certains Ponténégrins trouvent tout de même cette proximité dangereuse. Mais Roland Bouiti-Viaudo, le maire de la ville, est catégorique : l’aéroport restera où il est.
À peine descendu de l’avion, on arrive donc directement en ville. Sous un soleil doux, Pointe-Noire respire la sérénité. Des taxis bleu et blanc, très souvent collectifs. Des minibus aux mêmes couleurs pour le transport en commun. Des immeubles plutôt modestes, alternant avec de petites maisons. Des marchands ambulants, des étals, des démarcheurs. Dans le centre-ville, de nombreux petits bâtiments, la plupart à un étage, rappellent la Ponton-sur-Mer de l’époque coloniale avec, d’un côté, « la ville » – celle des Blancs –, et, de l’autre, la cité indigène. Cette configuration n’a pas complètement changé, même si Pointe-Noire est, plus que jamais, une ville africaine cosmopolite et fière de l’être. La mer attire, bien sûr ; le pétrole, encore plus – drainant tous deux dans leur sillage une palette d’activités industrielles, commerciales et de services. Et tous ceux qui aspirent à une vie meilleure continuent de débarquer, de tout le pays et de l’étranger, dans l’eldorado ponténégrin. Comme l’ont fait, aussi, les nombreux Congolais qui ont afflué vers ce havre de paix pendant les années de la guerre civile, de 1997 à 2000.
Pourtant, l’or noir ne profite bien évidemment pas à tout le monde. Plus de 30 % de la population de la ville est au chômage. Certains s’en sortent. D’autres survivent chichement mais, même sans travail, ils n’envisagent pour rien au monde de quitter leur Pointe-Noire.
"Congolais à part entière"
Le docteur Gérard Guenin, 59 ans bientôt, est de ceux qui ne se plaignent pas. Sa famille, française, est ponténégrine depuis trois générations. Son grand-père est venu, jeune, participer à la construction du port. « Je suis né ici, explique le médecin. J’y ai fait mes études jusqu’au lycée, avant d’aller passer mon bac en France. Après avoir étudié la médecine à Bordeaux, je suis revenu, en 1977. Je me sens congolais à part entière, autant que français. J’ai toujours voté ici. » Les Guenin ont un caveau familial à Loango, à une dizaine de kilomètres de Pointe-Noire. C’est là que reposent les grands-parents. « Nous serons tous inhumés dans ce caveau », confie le médecin.
Bertin Mayani, la trentaine, est arrivé de Dolisie (à un peu moins de 200 km au nord-est de Pointe-Noire) il y a trois ans. Chauffeur de taxi, il doit rapporter une recette de 15 000 F CFA (22,80 euros) par jour à son patron. Et, pour lui, ses deux enfants et sa compagne, il est parfois difficile de joindre les deux bouts. « Quand ça marche, explique-t-il, je peux toucher 150 000 F CFA par mois. » Mais quand il n’est pas mensualisé, il « pige » pour 2 000 F CFA par jour. Or son deux-pièces lui coûte chaque mois 17 000 F CFA, l’électricité 2 500 F CFA, l’eau 1 500 F CFA… Pour améliorer son quotidien, il a appris le métier de soudeur. Malheureusement, aucune de ses demandes d’emploi dans les sociétés pétrolières « où l’on paie bien » n’a eu de suite. « Il faut graisser la patte de ceux qui recrutent », se plaint-il.
Angèle Poaty, elle, vend ses charmes. Chaque soir, cette trentenaire s’assied au bord de la piscine d’un petit hôtel de Pointe-Noire. Les yeux braqués sur le restaurant en plein air, à quelques mètres, où dînent des expatriés – des Européens pour l’essentiel – venus travailler sur les plateformes pétrolières. Mais ce soir de février, personne n’a daigné la regarder en retour. Lasse, elle se lève. « Les Blancs sont tous partis ! » lâche-t-elle comme pour dire au revoir, quand elle arrive à la guérite des gardiens. Elle ne vient jamais ici pour chercher des clients noirs parce qu’« ils manquent de tendresse, se justifie-t-elle. Ils osent parler d’amour et dire qu’ils m’aiment, posent des questions sur ma vie… tout ça pour, à la fin, donner des miettes. Les Blancs sont plus tendres, plus discrets et plus généreux. Ils peuvent donner jusqu’à 200 000 F CFA ». Ce soir, Angèle rentre bredouille.
Bouillonnante et optimiste
Depuis le boom économique et démographique de la période 1970-1985 lié aux découvertes pétrolières, Pointe-Noire a vu sa population doubler et continue de grandir, en accéléré, attirant toujours de nouveaux habitants. Revers de la médaille, cette urbanisation à grande vitesse est difficilement maîtrisable et, malgré les nombreux travaux et projets de construction en cours, le rythme ne suit pas : la ville manque de logements et reste loin du compte en matière d’infrastructures de base (assainissement, distribution d’eau, d’électricité…).
Pourtant, s’il est une caractéristique commune à la grande majorité des habitants de la métropole, c’est l’optimisme. Cette grande majorité, par ailleurs jeune – la moitié de la population a moins de 20 ans – et dynamique, a de l’imagination à revendre. Un atout important, dans tous les domaines.
Comme dans tous les ports du monde, jeunes et vieux, hommes et femmes vous racontent des histoires de sirènes. Chez eux, ces étranges créatures sortent toutes les nuits de la mer pour hanter la ville, ses restaurants, ses bars et ses boîtes. Mais pas de quoi effrayer les Ponténégrins, qu’ils soient originaires de la région, congolais de Brazza ou de Kinshasa, tchadiens, européens, libanais ou singapouriens. Ce qu’ils redoutent tous et par-dessus tout, c’est la pluie. Quand il tombe des cordes, se déplacer vire au cauchemar. Car, faute de canalisations adéquates, Ponton-la-Belle tout entière prend l’eau.
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