Léonard Wantchékon, un désir de reconnaissance

Si cet économiste béninois enseigne aujourd’hui aux États-Unis, il entend bien créer dans son pays, à Akassato, une African School of Economics incontournable.

Le Pr. Wantchékon va bientôt publier une biographie sur son odyssée en dehors du Bénin. © Pascal Perich pour J.A.

Le Pr. Wantchékon va bientôt publier une biographie sur son odyssée en dehors du Bénin. © Pascal Perich pour J.A.

Publié le 10 mars 2011 Lecture : 5 minutes.

« Je veux être le plus grand économiste africain… Si je ne le suis pas déjà. » Dans son lumineux bureau au cœur de Manhattan, Léonard Wantchékon, professeur d’économie politique à la New York University (NYU), ne tarde pas à afficher la couleur. Il faut dire que ce Béninois de 54 ans aux mains fines et au regard espiègle a des arguments à faire valoir.

Salué par ses pairs, consulté régulièrement par la Banque mondiale, demandé par les universités les plus prestigieuses – il est en pourparlers pour rejoindre Princeton –, Wantchékon se place dans les bons temps de passage. Son dernier projet ? La création d’une École africaine d’économie (ASE, selon l’acronyme anglais) basée à Akassato, à 35 km de Cotonou (Bénin), qui, dès son ouverture, en 2014, « formera chaque année environ cinq cents étudiants et sera le lieu de regroupement de l’élite africaine ». Modèle ? La London School of Economics. Excellence, on vous dit…

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« L’une de mes passions est d’essayer de comprendre les différences entre les pays africains quant à leur niveau de démocratisation. » Explications culturalistes, sous-développement chronique, le professeur Wantchékon – qui mâtine ses propos en français d’un « I mean » hérité de ses vingt ans aux États-Unis – balaie ces idées reçues avec passion. Et propose une boîte à concepts, profondément enracinés dans la réalité africaine.

Poids de l’esclavage pour expliquer le manque de confiance dans les relations professionnelles au Bénin, malédiction que représentent les ressources naturelles pour la démocratisation de pays comme le Gabon, l’Algérie ou le Nigeria, ses travaux sont éclectiques et novateurs.

Son dernier « paper » puise dans l’histoire des indépendances africaines. Avec cette conclusion : plus la lutte anticoloniale se sera développée en milieu urbain, cas du Bénin, plus il y aura eu de chances qu’elle aboutisse à un système démocratique. « Le fait que les fellaghas algériens aient gagné les montagnes pour lutter contre les Français a eu une influence sur le niveau de démocratie, aujourd’hui, en Algérie. »

La démocratie, ce fils de paysans né à Zagnanado, dans le centre du Bénin, de l’ethnie fon, en connaît le prix. Avant de la théoriser, il en fit la pratique, douloureuse. Étudiant activiste en lutte contre la dictature de Mathieu Kérékou, président du Bénin de 1972 à 1990, il fut emprisonné en 1985 et torturé près d’une année dans les différentes geôles du régime. Passé à tabac, obligé de rester debout des journées entières, Wantchékon – fluet physiquement et souffrant de rhumatismes aggravés – en garde aujourd’hui les stigmates.

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Comme pour beaucoup de dissidents, le salut fut dans l’exil. Wantchékon s’évade en 1986 et rejoint le Nigeria. Après avoir déposé une demande d’asile politique dans les consulats occidentaux de Lagos, il s’envole finalement en 1987 pour le Canada, seul pays, avec la Suède, à avoir accepté son dossier (la France ayant, elle, refusé).

L’ex-révolutionnaire, directeur d’un journal clandestin (Les Lances intrépides), se met alors à gravir les marches de l’excellence universitaire. À Québec, puis aux États-Unis, où il décroche son doctorat en économie à la Northwestern University en 1995, sous la direction de Roger Myerson, qui recevra le prix Nobel d’économie en 2007. Non sans difficultés : froid, préjugés racistes de certains de ses collègues américains, solitude. Jusqu’à ce que sa femme, Catherine, le rejoigne, en 1991… Wantchékon a tout consigné de son odyssée dans une autobiographie qu’il cherche à publier. Titre provisoire ? Rêver à contre-courant.

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« Aux États-Unis, j’ai appris l’idée de responsabilité personnelle. Ici, il y a toujours une possibilité. Rien n’est fermé. Ils cherchent toujours la perle rare. » À l’inverse du système français, plus frileux, pointe-t-il, même si l’un de ses modèles est l’École d’économie de Toulouse, fondée par l’économiste français, aujourd’hui décédé, Jean-Jacques Laffont, « mon maître ». Avant d’ajouter : « Il n’y aura pas de déclin américain tant qu’il y aura ces grandes universités où les élites se retrouvent. »

Cette émulation a quelque peu quitté ce père de deux enfants, qui a la double nationalité, américaine et béninoise, lorsqu’il a déménagé pour Harlem – il habitait auparavant à deux pas de la NYU – afin de partager davantage l’expérience des Africains-Américains. À ceux qu’il rencontre, son parcours sert souvent d’exemple. Et le voilà qui déplore : « Les étudiants noirs-américains sont encore très focalisés sur les questions de race. »

Cours, encadrement de ses douze étudiants en thèse – qu’il reçoit parfois en chaussettes dans son bureau –, montage financier de son école, Wantchékon travaille beaucoup. Son loisir et sa passion ? Le football. Photo de son fils Travis ballon au pied, page internet bloquée sur un site de foot pendant notre entretien… Mais là encore, pour ce panafricaniste revendiqué, l’Afrique n’est pas loin. « L’épopée du Tout Puissant Mazembe [équipe de foot de la République démocratique du Congo, finaliste du mondial des clubs en 2010, NDLR] est une fierté pour toute l’Afrique. Des joueurs africains entraînés par un entraîneur africain ! Pourquoi aller chercher des entraîneurs étrangers ? Regardez le Cameroun, qui a obtenu la médaille d’or à Sydney en 2000 [avec l’entraîneur camerounais Jean-Paul Akono] et, maintenant, le TP Mazembe ! »

Origine, recherches, emploi du temps – il y passe trois mois par an –, tout ramène Wantchékon à l’Afrique. Cette dernière ne s’est pourtant pas toujours montrée bonne fille. S’il est reconnu outre-Atlantique, il ne l’est en effet pas, ou pas assez, en Afrique.

Il n’a jamais été invité, par exemple, à parler devant les institutions africaines dans ses différents domaines d’expertise. Lors d’un séminaire sur la malédiction des ressources naturelles, l’Union africaine a ainsi préféré faire appel à un Britannique qui s’est contenté de reprendre les conclusions de Wantchékon ! Situation qui n’est pas sans avantage. « Il y a un prix à payer à être l’éminence grise d’hommes politiques beaucoup plus préoccupés par le pouvoir. Pas étonnant que les professeurs africains les plus connus comme Souleymane Bachir Diagne (Columbia) et Wole Soboyejo (Princeton) restent entièrement à l’extérieur du jeu politique. »

De cette frustration face à une Afrique complexée, Wantchékon a fait son moteur intime. Celui, aussi, de son dernier projet, cette fameuse École africaine d’économie qui devrait attirer, grâce à des salaires élevés, les meilleurs professeurs du monde. Un système de bourse et de mécénat permettra d’accueillir des étudiants de tout le continent, mais aussi du reste du monde.

L’ASE œuvrera par la formation de son élite au développement de l’Afrique. Mais permettra aussi – son fondateur l’avoue sans ambages – d’imposer davantage Wantchékon sur la scène intellectuelle et politique africaine. Qui finira bien un jour par reconnaître son enfant prodigue.

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