Turquie : l’héritage d’Erbakan

Islamiste pur et dur, Necmettin Erbakan fut brièvement Premier ministre en Turquie avant d’être évincé par l’armée, en 1997. Aujourd’hui au pouvoir, ses ex-disciples, Recep Tayyip Erdogan en tête, ont su tirer les leçons de ses erreurs.

Necmettin Erbakan à Ankara, en août 2002. © Reuters

Necmettin Erbakan à Ankara, en août 2002. © Reuters

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Publié le 8 mars 2011 Lecture : 2 minutes.

On se souviendra de lui comme du père de l’islamisme turc, dont il restait le représentant emblématique et suranné. À 84 ans, Necmettin Erbakan n’effrayait plus personne. Vieux grognard antieuropéen et antisémite, encore à la tête des maigres bataillons du Saadet (Parti du bonheur), il avait depuis longtemps perdu de sa superbe. Ultime clin d’œil d’un destin tourmenté, l’ancien Premier ministre s’est éteint le 27 février, à la veille du quatorzième anniversaire du coup d’État militaire qui l’avait destitué. Cloué sur son lit d’hôpital depuis janvier, il préparait les législatives de juin et, d’après son médecin, suivait avec consternation les événements du Moyen-Orient. Peut-être les images qui défilaient sur son poste de télévision lui rappelaient-elles quelques souvenirs ?

En 1996-1997, il est un Premier ministre provocateur. Défiant l’état-major ultralaïc, il incite ses ouailles à infiltrer l’armée et la fonction publique, se rend à Téhéran et à Tripoli. Cette dernière visite tourne au désastre. Mouammar Kadhafi le ridiculise en blâmant en sa présence l’amitié de la Turquie avec les États-Unis et Israël. Affront suprême, l’imprévisible colonel prend le parti de la guérilla des séparatistes kurdes du PKK contre Ankara ! La punition pour l’ensemble de son œuvre ne se fait pas attendre : soumis à un ultimatum, Erbakan est contraint de signer sa propre démission. L’armée n’étant pas sortie des casernes comme en 1960, 1971 et 1980, on qualifie ce quatrième putsch de « coup d’État postmoderne ».

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Sa plus grande réussite, Erbakan ne l’avait ni prévue ni désirée. En tant que fondateur du Milli Görüs (Vision nationale), creuset de l’islamisme turc dans les années 1970, puis en tant que chef de plusieurs partis (le Refah, Parti de la prospérité, et le Fazilet, Parti de la vertu, dissous, puis le Saadet), le hoca (« maître ») a formé et favorisé l’ascension de nombreux hommes politiques, parmi lesquels Abdullah Gül, Recep Tayyip Erdogan et Bülent Arinç, aujourd’hui président, Premier ministre et vice-Premier ministre.

En 2001, ses disciples l’abandonnent pour fonder le Parti de la justice et du développement (AKP). Prenant le contrepied de leur mentor, ils décident de ne plus agir à découvert et de ne pas s’opposer frontalement à l’armée. Bref, ils s’orientent vers un conservatisme pieux, allégé de ses obscurantismes. Depuis neuf ans, Erdogan pousse ses pions et érode les positions de l’ennemi avec des bonheurs divers : si les libertés publiques patinent, le succès est au rendez-vous sur le plan économique, et l’AKP est devenu une formidable machine électorale, sur fond d’embourgeoisement et d’affairisme. L’essentiel, c’est de durer.

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