Acheikh Ibn Oumar
Ex-ministre tchadien des Affaires étrangères (1989-1990) et ancien chef de guerre soutenu par Kadhafi.
Kaddafi : l’Afrique entre peur et soulagement
Jeune Afrique : Vous avez été un homme de Kadhafi pour combattre le pouvoir de Hissène Habré durant les années 1980. Quelles étaient les formes de ce soutien ?
Acheikh Ibn Oumar : Les forces du Gunt [Gouvernement d’union nationale de transition, coalition rebelle tchadienne, NDLR] étaient repliées dans le nord du Tchad, et la Libye constituait une base arrière avec des camps d’entraînement. Les cadres du mouvement et nos familles étaient également logés là-bas. C’était un parrainage total, mais nous avons rapidement eu des relations heurtées avec Kadhafi. Il avait son propre agenda et cherchait surtout à profiter de l’instabilité au Tchad pour accroître son territoire, après l’annexion de la bande d’Aouzou en 1973.
Nous avons rompu avec lui en 1984. À l’époque, j’ai notamment pris contact avec Guy Penne, le conseiller Afrique du président Mitterrand, pour plaider en faveur d’un compromis entre Tchadiens. Nous avons chèrement payé cette rupture. Arrêté en Libye, j’ai été remis aux hommes de Goukouni Weddeye [l’ancien chef du Gunt], qui m’ont détenu un an dans le Tibesti. Quant à Weddeye, il a failli être tué. En fait, Kadhafi a sans arrêt exacerbé les rivalités entre les différentes factions du Gunt.
C’était en fait un parrain encombrant…
Oui, mais nous n’avions pas le choix. Nous avions face à nous le régime de N’Djamena, soutenu par la France et les États-Unis, et derrière nous la Libye. Kadhafi était un révolutionnaire qui soutenait tous les mouvements de libération, comme l’ANC en Afrique du Sud ou la SPLA au Sud-Soudan. Ensuite, son jeu est devenu clair, mais nous étions coincés.
Cette période démontre son pouvoir de nuisance. Sa chute est-elle un facteur de stabilité pour l’Afrique ?
Oui, à moyen terme. Mais dans l’immédiat, je redoute une déstabilisation accrue dans la zone sahélo-saharienne, déjà affectée par la présence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique [Aqmi, NDLR]. On sait que des officiers libyens se livraient à des trafics d’armes et de drogue. L’effondrement du pouvoir central permet à ces réseaux d’intensifier leurs activités. À la clé : une dissémination d’armes dans toute la région, une aggravation du trafic de drogue et sans doute un réarmement de certains mouvements rebelles. Et puis, en cas de perte de Tripoli, la tactique de Kadhafi pourrait être de sanctuariser le Sud libyen, de Sebha à Koufra.
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