Sea Plaza : un temple sénégalais à la recherche de ses adeptes
Ouvert en juillet 2010, le premier mall du Sénégal attire des milliers de curieux chaque semaine, mais seuls les plus aisés se transforment en acheteurs. Le défi : séduire la classe moyenne.
Deux jeunes femmes intriguées, devant une vitrine bien garnie où trônent des chaussures aux prix bien supérieurs à ceux qu’elles ont l’habitude de rencontrer à Dakar : « Tu crois qu’on peut entrer ? » demande l’une d’elles, avant de pousser maladroitement la porte en verre. Bienvenue au Sea Plaza, le premier mall sénégalais.
Situé sur la corniche, à côté de la place du Souvenir, le complexe de 14 000 m2 est un ovni dans le paysage dakarois : deux parkings (l’un souterrain, l’autre à l’extérieur, soit 236 places), baies vitrées donnant sur l’océan, marbre, escalators, 84 boutiques réparties sur deux niveaux… Depuis un peu plus de six mois, deux cultures se croisent et s’apprivoisent. « Pour la première fois, les Sénégalais ont tout à proximité pour faire du shopping », résume le directeur général, Éric Gueye.
« Shopping ». Le mot est lâché. Une petite révolution dans les habitudes de consommation. Jusque-là, le lèche-vitrines, pour le plaisir des yeux ou l’achat coup de cœur, n’était guère possible. Mieux valait aller de quartier en quartier, de marché en marché, pour une paire de chaussures, un jean, un tee-shirt ou un bout de tissu. Et changer de quartier, le soir venu, pour trouver un bar branché. À chaque fois, les bouchons et un mal fou pour trouver une place de stationnement. Aujourd’hui, « on peut se garer, se promener, se divertir, manger, consommer » au même endroit.
L’embarras du choix
Ce samedi, vers 16 heures, sous un ciel bleu azur, les badauds affluent dans l’enceinte climatisée, en couple, entre amis ou en famille. Les yeux s’attardent sur les enseignes internationales (Celio, Mango, Hugo Boss, Apple, etc., soit 60 % des boutiques) et sénégalaises (Africa Kids, Missaka, etc.). Des queues se forment aux fast-foods pour une boule de glace ou une boisson. Un petit creux ? Il y a l’embarras du choix : six fast-foods et un restaurant proposent des délices d’Asie, des hamburgers ou un bon vieux tiéboudienne. Des chalands sortent du supermarché Casino, le caddie plein de courses, direction le parking. Vers 18 heures, la garderie La Récré commence à se remplir. Les bambins s’occupent sous l’œil des mamans de substitution, moyennant 12 000 F CFA (18,30 euros) pour trois heures, le temps d’aller s’essayer sur l’une des huit pistes du bowling et à son bar lounge (ambiance tamisée, musique internationale). En mai, un Bouddha Bar et un Bouddha Spa enrichiront encore la palette des loisirs.
Une garderie, La Récré, pour occuper les enfants pendant que les parents font leurs courses.
© Picture Tank pour J.A.
Depuis son ouverture en juillet 2010, la fréquentation moyenne du mall est estimée entre 10 000 et 12 000 personnes par semaine. Accolé à l’hôtel de luxe Radisson Blu (relié par un passage), incontournable sur la route entre l’aéroport et le centre-ville, Sea Plaza séduit en priorité une clientèle haut de gamme, locale ou internationale de passage. « Cette clientèle connaît les malls de Paris, de Dubaï ou de New York. Pour elle, ce n’est pas une surprise, ce n’est que la normalité des choses. Expatriés, membres d’ONG ou d’organismes internationaux, tous attendaient un produit comme Sea Plaza », assure Éric Gueye. La classe moyenne émergente, celle qui peut dépenser 20 000 à 30 000 F CFA en achat « plaisir », est l’autre cible. Pour le directeur général, « Sea Plaza répond aux attentes des Sénégalais, et plus largement aux Africains de la sous-région ».
Pourtant, côté consommateurs, le mall laisse encore perplexe. D’aucuns s’indignent contre les constructions en bord de mer (hôtels Terrou-Bi et Radisson Blu, aujourd’hui ce centre commercial) : « Bientôt, nous ne la verrons plus ! » « Nous avons essayé de conserver le littoral, mais il faut savoir que cette partie n’était pas fréquentée, car trop rocailleuse », se défend Éric Gueye. D’autres, les jeunes générations, principalement, s’interrogent : « Qui peut bien venir se payer une paire de chaussures à 300 000 F CFA ? » alors que le salaire mensuel moyen tourne autour de 200 000 F CFA.
Prix élevés
Difficile en effet de faire des affaires. Beaucoup des produits proposés par les marques internationales (Apple par exemple) sont de 20 % à 40 % plus chers qu’à Paris ou New York. Et plus rares sont les griffes qui, comme Benetton, adaptent leurs prix au pouvoir d’achat local. « Nous ne nous adressons pas à une certaine élite, car il y a plusieurs types de commerces, à tous les prix. Le panier mensuel moyen visé est de 55 000 F CFA, bowling inclus », affirme le directeur général.
Une salle de bowling pour les adeptes.
© Picture Tank pour J.A.
D’autres attractions viendront tenter les consommateurs. Le chantier n’est en fait pas complètement terminé. À l’extérieur, des engins s’affairent à renforcer la côte, chaque jour un peu plus grignotée par la houle, avec de gros blocs en béton de 8 tonnes (fabriqués par le français Seamar Engineering). Coût de l’opération : 1 milliard de F CFA (environ 1,5 million d’euros), qui s’ajoutent aux 15 milliards d’investissement qu’a nécessités le complexe. « Il s’agit d’un des premiers malls au monde construit en contrebas d’une falaise, une prouesse », ne se lasse pas d’admirer Éric Gueye.
Côté mer, en arc de cercle, séparé de la galerie marchande par une place circulaire autour de laquelle des spectacles vivants pourraient être programmés, un cinéma de sept salles tout juste sorti de terre devrait ouvrir en juin. Une gageure dans une ville qui, depuis bien longtemps, a délaissé le septième art. « Les Dakarois sont nostalgiques. Nous leur proposerons des sorties de films internationaux, la technologie 3D… Nous sommes au maximum de ce qui se fait. » L’espagnol Yelmo Cineplex ou le groupe Miramar pourraient être les gestionnaires. Enfin, un nouveau parking de 129 places a ouvert le 26 février sur un terrain adjacent prêté par l’État. Ce n’est pas uniquement le signe du succès : une partie de l’aire de stationnement initiale a été finalement utilisée pour la construction de sept appart-hôtels, qui seront proposés à la location d’ici à deux mois.
Le groupe Teylium Properties (également propriétaire du Radisson) prévoit un retour sur investissement de dix ans. Le pari n’est pas gagné. Pour y arriver, une fréquentation moyenne de 4 500 personnes par jour, soit trois fois plus qu’aujourd’hui, est nécessaire. Quelque 200 millions de F CFA seront d’ailleurs consacrés à une offensive marketing. Car le challenge n’est pas que sénégalais. Si le Sea Plaza est un succès, le groupe espère voir aboutir de nouveaux projets : « On ambitionne d’autres ouvertures, au Sénégal et dans la région. » En séduisant cette fois, pourquoi pas, les grandes marques de luxe que l’établissement dakarois n’a pas su convaincre. Seul insuccès à peine avoué.
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