Comment le FMI a renoncé à jouer au gendarme
Dans un livre récent, la journaliste Stéphanie Antoine évoque la manière dont Strauss-Kahn a révolutionné l’action du Fonds monétaire international. En Afrique comme ailleurs. Morceau choisi.
« Avril 2008, Washington. […] Au 700 de la 19e Rue, DSK réunit quelques collaborateurs au sujet de l’organisation d’une conférence qu’il souhaite tenir en Afrique. Il propose de programmer l’événement à Dar es-Salaam, en Tanzanie, le chef de l’État du pays, Jakaya Kikwete, assurant alors la présidence tournante de l’Union africaine.
“D’accord, on invite quelques personnalités académiques et quelques ministres, comme d’habitude, répond Mark Plant, le numéro trois du département Afrique.
– Non, non. Je veux changer la façon dont on parle aux Africains. Je ne veux pas d’une conférence académique type, il faut quelque chose de différent.”
“Que voulait-il dire exactement ? Nous nous sommes gratté la tête sans être sûrs de bien comprendre où il voulait en venir”, confiera plus tard Mark Plant.
Réconcilier le FMI avec les pays qui perçoivent l’institution comme un despote, tel sera l’axe stratégique de Strauss-Kahn. Les États d’Afrique, “bénéficiaires” de programmes récurrents d’ajustement structurel, rejettent la méthode du Fonds. Mark Plant […] se souvient d’une conversation entre Horst Köhler, l’ancien directeur général du FMI, et Ellen Johnson-Sirleaf, la future présidente du Liberia : le Fonds est une institution triste, secrète, arrogante et dominatrice, lui aurait-elle dit. Il est efficace, mais la façon dont il mène son affaire est injuste et erronée.
La démarche du Fonds doit donc être modifiée. Il faut expliquer son action, corriger l’image d’une institution cachottière, décidant du sort de pays en crise derrière les portes blindées des banques centrales, celle du gendarme arrogant et ultralibéral.
[…] Une chevelure d’un blond vénitien, habillée d’une veste classique sur une robe droite, le pas assuré, Anne Hommel est conseillère en communication chez Euro RSCG, l’une des trois agences à avoir signé un accord avec le FMI. Pour un budget de 1,1 million d’euros par an, Euro RSCG se charge de l’organisation des événements, des conférences, ainsi que des déplacements de DSK avec la presse. Arrivée à Washington avec deux de ses collaborateurs, elle dispose de six mois pour mettre sur pied la conférence de Dar es-Salaam. La stratégie sera bâtie en quelques semaines : l’institution fait son mea culpa pour les erreurs commises dans la gestion des crises passées, elle écoutera les élites africaines et instaurera un dialogue en vue d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. Le FMI quitte l’uniforme du gendarme pour enfiler la blouse blanche du médecin. […] Anne Hommel suggère d’emmener le managing director sur le terrain : “Il faut sortir le directeur général des salles de conférences, penser à la portée émotionnelle de l’image.”
10 mars 2009. […] Arrivés en pleine nuit dans la capitale tanzanienne, DSK et Anne Sinclair sont conduits à l’hôtel Kempinski. Le lendemain, trois cents personnalités africaines, parmi lesquelles Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU et Prix Nobel de la paix ; Antoinette Sayeh, directrice du département Afrique au FMI et ancienne ministre des Finances du Liberia ; Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de la Banque mondiale et ex-argentière du Nigeria ; plusieurs banquiers centraux mais aussi le chanteur Bob Geldof ou encore l’Américain Jeffrey Sachs entrent dans l’immeuble de la banque centrale. Plus d’une centaine de journalistes de la presse internationale couvrent la conférence. Les débats sont animés, mais le ton a changé.
« Avant, les leaders africains devaient dire merci, tout ça c’est formidable, parce que le FMI représente parfois leur unique source de financement. Quel que soit le coût social de l’intervention, c’était : le FMI sait mieux que vous ! DSK a cassé cette tradition en reconnaissant que le Fonds a besoin de consulter les intéressés et de discuter avec eux des solutions possibles”, confiera Trevor Manuel, le ministre des Finances sud-africain.
Bob Geldof, la star irlandaise du rock, engagé depuis les années 1980 dans la lutte contre la famine en Éthiopie, insiste pour que les pays du G8 tiennent leur promesse du Millenium de Gleneagles de doubler l’aide aux pays pauvres d’ici à 2010. […] Strauss-Kahn et lui devaient rapidement devenir des buddies. “Dominique est très ouvert. Il veut responsabiliser le FMI alors que l’institution est perçue comme la main invisible de l’Occident. Le FMI a ruiné l’économie en Afrique. Lui, il est là pour écouter et cela est très nouveau”, dira Geldof.
Le lendemain matin, […] c’est une première : DSK visite, en présence de la presse, un hôpital où il fait une donation au nom de son institution, il se rendra ensuite dans un orphelinat et se promènera dans l’un des marchés de la capitale. Les photos de DSK déambulant au milieu des Tanzaniens, petits et grands, donnent l’image d’un directeur général du FMI humanisé, allant à la rencontre d’une population qu’il désire aider.
[…] Deux mois plus tard, le 25 mai 2009, DSK atterrit à Kinshasa. Un emploi du temps chargé l’y attend. Deux pays en trois jours : la République démocratique du Congo, puis la Côte d’Ivoire. En RDC, il rencontre le président Joseph Kabila, des parlementaires et des membres de la société civile, puis, c’est désormais le rituel, une rencontre avec des étudiants est organisée à l’Université de Kinshasa.
“Vous empêchez notre pays de bénéficier d’un prêt chinois de 5 milliards de dollars, alors qu’il nous permet de développer notre activité minière.
– Les Chinois demandent une garantie d’État contre ce prêt qui rend la dette du pays insoutenable”, répond DSK. Cet accord permettrait à la RDC de développer ses mines, mais la priverait de l’effacement de sa dette par le FMI dans le cadre de la procédure PPTE (pays pauvres très endettés). DSK dialogue, argumente, désamorce le conflit.
“C’est de la communication au bon sens du terme. Il faut que les Africains ressentent qu’ils sont membres à part entière du FMI. Il faut leur donner le sens de l’appartenance à l’institution, le sens du ownership”, explique-t-il.
Strauss-Kahn parviendra à convaincre Joseph Kabila que l’accord leur était défavorable et persuadera les Chinois d’accepter une garantie non financière du prêt. Résultat, la RDC obtiendra le prêt chinois tout en bénéficiant d’une annulation de la dette.
Le lendemain, escale de vingt-quatre heures à Abidjan. La Côte d’Ivoire, dont l’aide du FMI avait été suspendue pendant la guerre civile, vient d’obtenir un prêt préférentiel du Fonds à hauteur de 566 millions de dollars sur trois ans, à titre de PPTE. DSK a rendez-vous avec le président Laurent Gbagbo, son Premier ministre Guillaume Soro et son ministre des Finances Charles Diby Koffi, mais aussi avec ses opposants politiques, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. DSK retrouve ensuite l’estrade d’un amphithéâtre : celle de l’Université de Cocody-Abidjan. Dans la salle, les élèves et les professeurs s’agitent sur les gradins. À peine DSK a-t-il eu le temps de s’asseoir que s’élève un bruit incessant de pieds frappant le sol.
“Nous avons besoin de plus de professeurs !
– Moi aussi, j’ai été syndicaliste, comme vous. Aujourd’hui, il ne faut pas seulement penser à vous mais à votre pays.”
Plus personne ne bouge. “Le FMI est un bouc émissaire, et il nous faut bien l’assumer. Mais ce sont vos gouvernements qui nous demandent d’intervenir. Nous ne sommes pas responsables de la crise. Je comprends le drame de la pauvreté pour vos pays, mais ce n’est pas de la faute du FMI. Nous sommes là pour vous aider. Mais le FMI ne peut pas tout faire non plus.” »
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DSK au FMI, enquête sur une renaissance, par Stéphanie Antoine, Le Seuil (2011), 203 pages, 17,50 euros.
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