Côte d’Ivoire : Blé Goudé, Gbagbo jusqu’à la lie
Le discours de Charles Blé Goudé est toujours volontiers nationaliste, mais les invectives ont perdu de leur virulence. Pur produit du système Gbagbo, qui l’a fait ministre, l’ancien leader étudiant se rêve un destin national. Rencontre.
Ce soir, Charles Blé Goudé affiche son large sourire de conquérant. Quelques heures plus tôt, lors d’un meeting à Yopougon, à la périphérie d’Abidjan, il s’en est violemment pris au président burkinabè : « Blaise Compaoré a entretenu la rébellion et pille les richesses de la Côte d’Ivoire, accuse-t-il. Le Burkina Faso compte parmi les pays producteurs de cacao, bien qu’aucun pied de cacao ne pousse sur ses terres. » L’influent leader des Jeunes patriotes – et tout nouveau ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo – sait user d’accents ultranationalistes pour mobiliser les foules.
La journée a été longue, et Charles Blé Goudé s’est installé à l’Allocodrome, un maquis à ciel ouvert du quartier de Cocody réputé pour son choukouya, sa viande braisée. Aux trois journalistes qu’il a conviés à sa table, en ce début du mois de février, il promet de tout dire : « Avec vous, il n’y a jamais de off ! » Casquette noire vissée sur la tête, polo Ralph Lauren, jean, baskets, « le général de la rue » est toujours l’un des plus fidèles soutiens au président sortant, dont il vante le charisme, le sens politique et les connaissances historiques.
Costume de syndicaliste
Mais la leçon de 2004 a été retenue. À l’époque, il avait appelé des milliers de personnes à descendre dans la rue pour protester contre la destruction de l’aviation militaire ivoirienne par la France dans une formule restée célèbre : « Si vous êtes en train de manger, arrêtez-vous. Si vous dormez, réveillez-vous. L’heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité ! »
Aujourd’hui, à 39 ans, l’homme a lissé son discours et abandonné son costume de syndicaliste intrépide pour celui de leader politique. Il s’en prend toujours au chef de l’État français, qu’il accuse d’ingérence postcoloniale, mais appelle à protéger les ressortissants de l’Hexagone. Comme Laurent Gbagbo, son mentor, il aime entonner le refrain de l’agression extérieure à laquelle il s’opposera au péril de sa vie. Les deux hommes ne sont-ils pas les garants d’un esprit et d’une manière de vivre à l’ivoirienne ? Un nationalisme que l’on retrouve jusque dans leurs assiettes. Bété né à Niagbrahio, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, il se régale d’un beau machoîron piqué, accompagné d’attiéké. Il est marié à une Ivoirienne, vit à Yopougon, parle le nouchi (l’argot d’Abidjan), danse à merveille le zouglou et dévore tous les plats en sauce.
En cette soirée très étoilée, il est particulièrement en verve. Là, en terrain conquis, non loin de la Cité rouge, où logent les membres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), il livre pêle-mêle ses souvenirs de fac, ses combats d’étudiant et son ambition suprême. « Si je ne deviens que Premier ministre, je n’aurai pas réussi ma vie », assène l’audacieux, avant de donner rendez-vous à Guillaume Soro, le chef du gouvernement d’Alassane Ouattara, dans cinq ans pour la prochaine présidentielle.
Entre les deux anciens patrons de la Fesci, les relations ont toujours été compliquées. En 1995, Gbagbo n’est pas encore président, mais c’est lui qui tire les ficelles du syndicat étudiant, et il préfère en confier les rênes à Soro. Amer, Blé Goudé ronge son frein avant de lui succéder trois ans plus tard. Un engagement qui lui vaudra d’être emprisonné à plusieurs reprises sous la présidence d’Henri Konan Bédié.
En 2002 et 2004, Blé Goudé met son charisme et son influence au service du régime des « refondateurs », menacé par la rébellion des Forces nouvelles, et se retrouve, en 2006, sur la liste des sanctions onusiennes. On lui reproche, bien qu’il s’en défende, ses déclarations répétées appelant à la violence contre les installations et le personnel des Nations unies. Il est aussi accusé d’avoir participé à des actes commis par les milices de rue, incluant des passages à tabac. Aujourd’hui encore, il est dans la ligne de mire du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo. Il n’a pas le droit de voyager et ses avoirs à l’étranger sont gelés. « Lesquels ? » plaisante-t-il.
Pendant ce temps, Guillaume Soro, son frère ennemi, enchaîne les postes de ministre et les honneurs qui vont avec. En 2007, Gbagbo lui propose de prendre la tête du gouvernement s’il signe les accords de Ouagadougou. Blé Goudé a depuis longtemps compris qu’on le cantonnait au mauvais rôle. Il doit absolument redorer son image s’il veut un jour avoir un destin national. Oubliées les formules pousse-au-crime. Il est nommé ambassadeur de la paix, se compare à Nelson Mandela et fait, en 2009, son mea culpa dans les colonnes de Jeune Afrique. À plusieurs reprises, il demande la levée des sanctions – en vain – et se rapproche de « [son] ami Guillaume ».
Mais les temps ont changé. Blé Goudé a beaucoup mouillé la chemise lors de la campagne électorale et doit à nouveau battre le pavé pour Laurent Gbagbo, dont le pouvoir vacille. Le ton se fait narquois : « J’ai emmené Soro chez Simone Gbagbo, se souvient Blé Goudé. Il s’est mis à genoux, ce jour-là, pour lui demander pardon. Le problème avec lui, c’est qu’un jour il est avec nous dans le gouvernement, le lendemain il est dans la rébellion. »
Restaurants et boîtes de nuit
Blé Goudé, lui, est devenu « un homme d’affaires très prospère, avec des intérêts conséquents dans des hôtels, boîtes de nuit, restaurants, stations-service et dans l’immobilier en Côte d’Ivoire », selon un télégramme diplomatique américain récemment révélé par WikiLeaks. En 2006, il crée Leaders Team Associated (LTA), une société de communication qui va rapidement capter de nombreux marchés auprès des grandes entreprises publiques aux mains des piliers du régime.
D’ailleurs, le leader patriote a d’abord refusé le maroquin que lui proposait Gbagbo. Peut-être craignait-il une durée de vie limitée… Mais le président a beaucoup insisté et Blé Goudé fait impeccablement son job. Que pense-t-il d’Alassane Ouattara ? « Il n’est pas courageux, sinon il irait lui-même dans la rue avec les manifestants, explique-t-il en ressortant la théorie du complot ourdi par l’ancienne puissance coloniale. Ouattara, c’est quelqu’un que les Occidentaux veulent imposer aux Ivoiriens. Mais mes compatriotes ne le suivent pas dans ses appels à la désobéissance civile et ses mots d’ordre de grève. » Il suit de près aussi ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte : « Si je n’étais pas sous sanction, j’irais partout sur le continent pour éveiller les consciences. » En attendant, il nous donne rendez-vous à son prochain meeting. Quant à lui, sa soirée n’est pas terminée. Il part rejoindre l’actuel secrétaire général de la Fesci, Mian Augustin. Blé Goudé sait trop le poids de la fédération pour oser la négliger.
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