Côte d’Ivoire : Abobo la stratégique, Abobo la martyre

Surnommée « Bagdad city », la commune déshéritée d’Abobo, à Abidjan, est le théâtre de combats souvent à l’arme lourde entre unités de l’armée fidèles à Laurent Gbagbo et partisans d’Alassane Ouattara. Le début d’une nouvelle guerre civile en Côte d’Ivoire ?

Un corps sans vie dans une rue de la commune d’Abobo, le 23 février. © Issouf Sanogo/AFP

Un corps sans vie dans une rue de la commune d’Abobo, le 23 février. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 9 mars 2011 Lecture : 3 minutes.

Il y a des noms tragiquement prémonitoires. Quand, en 1976, le chansonnier Daouda le Sentimental évoqua pour la première fois, dans une de ses balades, « Abobo la Guerre », il ne pouvait évidemment pas savoir que, trente-cinq ans plus tard, cette commune allait devenir un haut lieu de la guérilla urbaine en plein Abidjan. Et pourtant…

Depuis le début de la crise postélectorale qui déchire la Côte d’Ivoire, c’est Abobo qui détient le triste record du nombre de civils et de combattants tués au cours d’affrontements entre les Forces de défense et de sécurité (FDS), fidèles à Laurent Gbagbo, et les sympathisants, armés ou pas, d’Alassane Ouattara, son rival, toujours retranché au Golf Hôtel. Les morts se comptent-ils en dizaines ou en centaines ? Difficile à dire, tant la vérité a du mal à émerger de la guerre des communiqués que se livrent les deux camps.

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Une chose est sûre : les unités d’élite de la police, de la gendarmerie et de l’armée affrontent à Abobo une mystérieuse colonne baptisée le « commando invisible » par la presse pro-Ouattara. Un « commando » qui se donne désormais une visibilité médiatique et utilise des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles des Forces nouvelles (FN) aux premiers jours de l’insurrection armée, fin 2002. Des communiqués signés par des porte-parole recourant à des pseudonymes sont ainsi diffusés dans les médias. Ils portent l’emblème de groupes à ce jour inconnus, comme le Mouvement de libération des populations d’Abobo Anyama (MLP2A). 

Commando invisible

Y a-t-il un lien entre ce nouveau groupe armé et les FN ? Ahoua Don Mello, le porte-parole du gouvernement Gbagbo, en est convaincu et évoque une « infiltration » d’Abobo par des « rebelles » venus du Golf Hôtel. Un site internet proche du camp Ouattara a annoncé que Guillaume Soro était « prêt » à envoyer des « renforts » à Abobo… avant de supprimer sa dépêche.

« Il n’y a pas de commando invisible, ce sont les populations qui se défendent. Il y a aussi une fraction des Forces de défense et de sécurité. Éprises de paix et de justice, elles ne peuvent plus supporter cette situation » : telle est la version officielle sur laquelle campe le capitaine Léon Alla Kouakou, ancien officier loyaliste rallié à Ouattara, et porte-parole de son ministère de la Défense.

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Pourquoi Abobo est-il l’épicentre de la bataille qui s’annonce ? D’abord parce que cette commune, voisine du grand marché d’Adjamé mais aussi de Cocody, la « commune du pouvoir », où logent les principaux dignitaires du pays, est géographiquement stratégique. Son prolongement naturel est Anyama, ville à partir de laquelle on peut gagner le Nord, tenu par les FN, par une route certes secondaire mais qui demeure praticable. Surtout, Abobo a été de tous les combats contre Gbagbo depuis son arrivée au pouvoir, en octobre 2000.

De nombreux jeunes ont l’habitude d’y affronter les forces de police, lorsque celles-ci entreprennent des descentes musclées, qui, du coup, se terminent souvent dans le sang. C’est la commune la plus déshéritée de la métropole abidjanaise. On y trouve un cocktail politiquement explosif : une forte concentration de populations musulmanes originaires du nord du pays, vivier naturel de la cause « ouattariste », à laquelle s’ajoute une terrible désespérance sociale, conséquence d’une insécurité galopante, mais aussi de taux records de chômage et de séroprévalence.

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Martyres d’une guerre des chefs qui les dépasse, les populations civiles se retrouvent prises entre deux feux. Dans un récent rapport (également consacré aux exactions des FN dans l’ouest du pays), Amnesty International accuse les FDS d’avoir commis des exécutions extrajudiciaires. Les victimes auraient été abattues « aussi bien au cours de manifestations qu’à leur domicile ». « La nuit, nous entendons des échanges de tirs à l’arme lourde. Le matin, quand nous nous réveillons, des morts jonchent les rues », témoignait il y a peu Sabine.

Lacéré au couteau

Les pro-Gbagbo vivent dans la hantise d’être dénoncés. « Sous mes yeux, un homme en civil a été présenté à la foule comme un militaire au service de Gbagbo. Il a été lacéré au couteau, puis poignardé », raconte Idrissa. Comme beaucoup d’autres, il a choisi de « s’exiler » ailleurs à Abidjan, en attendant que la bourrasque passe. L’impossibilité de se ravitailler en vivres et en unités téléphoniques accélère le dépeuplement de la commune insurgée.

L’objectif des groupes pro-Ouattara semble évident : couper la grande métropole en deux en « récupérant » les zones où leur champion est politiquement majoritaire, comme Treichville et Koumassi, au sud. Après s’être jouée dans les urnes, la bataille d’Abidjan pourrait bien s’achever dans le fracas des armes. Au risque d’un cauchemar humanitaire.

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