Le footeux et le tyran
Vous vous souvenez de Ruud Gullit ? Hein ? Mais si, Gullit ! Ce grand footballeur qui fit le bonheur de plusieurs clubs européens dont l’AC Milan de la grande époque… Gullit, voyons ! Deux fois sacré meilleur joueur du monde ! Gullit le Hollandais noir et sa chevelure rasta, politiquement engagé puisqu’il alla offrir son ballon d’or de je ne sais plus quelle année à Nelson Mandela, qui le reçut chaleureusement… Les deux hommes s’affirmèrent fans l’un de l’autre et la photo fut réussie. Ça y est, vous le remettez ? OK ? Eh ben, vous en avez mis du temps…
Donc, Gullit. Si on parle ici de ce monsieur talentueux, c’est qu’il est récemment devenu entraîneur d’une équipe de foute. Vous me dites : « Et alors ? C’est banal. Tout le monde devient entraîneur. » Certes. Mais ce qui est insolite, c’est que l’ami Ruud n’est pas devenu entraîneur d’une équipe belge, slovène ou danoise à mugir d’ennui, mais de l’infâme Terek, le club de la capitale tchétchène. Terek Grozny, qui évolue dans le championnat russe, appartient au président Ramzan Kadyrov, grand copain de Poutine et responsable, à ses heures perdues, de force enlèvements, meurtres, passages à tabac et éviscérations. Un grand humaniste, quoi.
Que diable Gullit va-t-il faire dans cette galère ? Je ne le sais pas plus que vous. Et qui paie son salaire ? Mystère et boule d’oligarque. En tout cas, le dénommé Kadyrov se frotte les mains. La présence du grand Ruud à ses côtés lui donne un prestige et une légitimité dont il ne pouvait que rêver il y a quelques semaines. Et tout cela est bon pour les affaires. Certains Néerlandais sont déjà en train de s’enquérir du tourisme en Tchétchénie, de la gastronomie locale (borchtch aux pruneaux et claque dans la gu…) et de Grozny by night : si Gullit y entraîne l’équipe de foot, tout n’est pas perdu, y a peut-être même des pépées after hours.
En tout cas, cette affaire agite le pays : les Pays-Bas se sont toujours considérés comme un pays exemplaire et qui peut donc donner des leçons aux autres, l’œil réprobateur et l’index dressé. Mais aujourd’hui que l’extrême droite est quasiment au pouvoir à La Haye, avec le sinistre Wilders, et que Gullit s’est vendu à un tyranneau du Caucase, cette époque de rectitude morale semble bien révolue. Si seulement on avait gardé le footballeur et offert tous les fascistes à Kadyrov… On peut rêver. C’est même tout ce qui reste, quand tout est footu.
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