Il était une fois le Cameroun
Deux journalistes et un historien reviennent sur la lutte que le pays a menée pour son indépendance. Une période sombre aux origines de la Françafrique.
C’est l’histoire d’une guerre refoulée. Jusqu’à une époque récente, la contestation pacifique puis violente de la tutelle coloniale et néocoloniale française au Cameroun, qui s’est étalée sur plus de deux décennies (de 1948 à 1971), a relevé du sujet tabou à Paris comme à Yaoundé. La mémoire censurée a refait surface ces dernières années. De manière confuse, elle a mélangé des faits réels – déjà très graves – et des écrits relevant plus ou moins de la « fiction », comme si certains acteurs avaient cherché à brouiller durablement les pistes…
Cinquante ans après ce que les nationalistes de l’époque ont appelé « les indépendances octroyées », le livre Kamerun !, coécrit par deux journalistes français, Thomas Deltombe et Manuel Domergue, et un historien camerounais, Jacob Tatsitsa, vient apporter un éclairage à la fois scientifiquement charpenté et accessible au grand public sur ces « années de braise ». D’entrée de jeu, il met dos à dos la thèse d’un « génocide bamiléké », excessive en dépit des dizaines de milliers de morts enregistrées à l’occasion des « événements » camerounais, et les propos révisionnistes de François Fillon refusant de reconnaître, lors d’une visite officielle à Yaoundé, que des « forces françaises aient participé […] à des assassinats au Cameroun ».
Piège armé
Cette mise au point faite, les auteurs font revivre au lecteur une période sombre dont les intrigues ont été « aux origines de la Françafrique ». Ils racontent comment, face à un adversaire – l’Union des populations du Cameroun (UPC), branche locale du Rassemblement démocratique africain – cherchant à profiter du statut de « territoire sous mandat » du Cameroun français pour demander très tôt une émancipation politique totale, le colonisateur a d’abord réagi en utilisant les méthodes de la « guerre révolutionnaire » théorisée lors des conflits algérien et vietnamien. Avant de mettre en scène une « indépendance » factice, à travers la fabrication d’une classe politique qui n’a pu prospérer que par l’interdiction de l’UPC et sa relégation au maquis et à la clandestinité.
Les auteurs de Kamerun !, qui ont compilé une somme incroyablement riche de documents et interrogé les derniers survivants de cette période de feu, permettent au lecteur d’entrer dans la tête des administrateurs coloniaux, habiles manœuvriers jamais avares de sentences définitives sur les « tares » insurmontables des différentes « races » de Camerounais. Ils donnent aussi la possibilité d’entrevoir la personnalité de Ruben Um Nyobe, le charismatique leader de l’UPC. Ils racontent comment le piège armé s’est refermé sur les nationalistes camerounais, quasi obligés de mener une guerre incontrôlée servant la propagande de leurs adversaires.
Kamerun ! permet de la sorte de comprendre les « figures de style » fondatrices qui ont structuré pour longtemps le champ politique camerounais. Ainsi de la fraude électorale déjà organisée, avant les indépendances, avec l’appui des chefs traditionnels. Ainsi de l’ethnicisation à outrance du débat partisan, qui a été très tôt utilisée par les administrateurs coloniaux dans le cadre de l’exploitation des « oppositions africaines », arme fatale contre l’activisme de la « jeunesse détribalisée » des grandes villes. En plus d’être un livre d’histoire toujours captivant, Kamerun ! pourrait bien servir aussi de manuel de sciences politiques à l’usage des jeunes Camerounais.
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