Kossi Efoui, dans « l’ombre des choses à venir »

Inventif, le nouveau roman de l’écrivain togolais Kossi Efoui s’écoute comme une complainte et se regarde comme une pièce de théâtre dans laquelle il dissèque l’absurdité du pouvoir et dénonce la rhétorique avilissante des politiques.

Le dramaturge togolais, Prix Kourouma en 2009 pour « Solo d’un revenant ». © Diarmid Courreges/AFP

Le dramaturge togolais, Prix Kourouma en 2009 pour « Solo d’un revenant ». © Diarmid Courreges/AFP

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Publié le 11 mars 2011 Lecture : 4 minutes.

Le titre, déjà, donne le la d’une mélodie riche en harmoniques : L’Ombre des choses à venir. Inventif, poétique, le nouveau roman de Kossi Efoui s’écoute comme une complainte et se regarde comme une pièce de théâtre. Ceux qui connaissent le travail de l’écrivain et dramaturge togolais, Prix Kourouma et Prix des Cinq Continents de la Francophonie pour Solo d’un revenant, ne seront certes pas surpris par les thèmes abordés.

Comme souvent, Efoui dissèque l’absurdité du pouvoir, questionne le libre arbitre d’individus écrasés par des lois stérilisantes, pulvérise la notion de frontière et explore ces moments de grâce – la comédie, la fête, le carnaval – qui éclairent parfois la « catastrophe » du réel. Mais alors que son texte précédent se ramifiait en échos complexes, L’Ombre des choses à venir prend la forme d’une démonstration implacable. « Dans mes autres romans, le récit fait des bonds, c’est un cheval fou, reconnaît Efoui. Pour Solo d’un revenant, il y avait comme une ligne droite qui conduisait le récit, mais elle était en pointillés. Ici, c’est une ligne claire, lisible à tout moment. Un monologue, une expérience théâtrale. »

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"Temps de l’annexion"

En effet. Le récit naît de quelques objets, une bassine, une bouteille, un tabouret, comme autant de didascalies. Dans une pièce à peine éclairée par la lune, un homme se cache. Il attend dans l’ombre ceux qui lui permettront de s’enfuir – les mystérieux hommes-crocodiles – et redoute l’arrivée intempestive des représentants de l’ordre qui voudraient l’emprisonner, ou pis. C’est lui, « l’orateur », qui va raconter son histoire, qui pourrait être aussi celle de son pays, voire celle de l’Afrique. « J’accepte cette idée, opine l’auteur de La Fabrique de cérémonies, même si je la déborde. » À travers les souvenirs du jeune homme se dessinent les grandes étapes politiques qui ont marqué une nation dont le nom restera tu.

L’enfant a d’abord vécu les « temps de l’Annexion » au cours desquels hommes et femmes étaient parfois « éloignés » de leur famille afin que « la Plantation » puisse bénéficier de leur force de travail. Pendant de longues années, l’enfant a été privé de son musicien de père. Et quand ce dernier est revenu, la housse vide de son instrument sous le bras, il ne pouvait plus prononcer un mot. La mère, elle, a été happée par la folie… L’enfant n’a pu survivre que grâce à la générosité de « Maman Maïs », qui vendait son corps pour nourrir des gosses esseulés. Avec la Renaissance, aussi appelée Libération ou Indépendance, est venu le temps des illusions.

L’État a soutenu l’enfant, son père et son frère ; l’État a construit des écoles. Mais une antienne, « La réappropriation du territoire est un idéal sans fin », attisée par la présence de « la matière première » dans le sous-sol, a finalement conduit ce même État à envoyer ses jeunes subir « l’épreuve de la frontière », sous peine d’être accusés de « désertion en temps de paix ».

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Avec un tel sujet, le risque de sombrer dans le cliché existe. Combien de fois l’a-t-on racontée, cette histoire de colonisation, d’indépendance trahie et d’émigration létale ? Le romancier chante et danse avec élégance autour de l’écueil. Si le récit paraît par moments rongé par le pessimisme, une poésie virulente l’éclaire de bout en bout. « La réalité est désespérante, et l’on ne peut pas faire comme si l’on n’affrontait pas les rugosités de l’existence, affirme Efoui. Mais les individus développent toujours des ruses dans les situations extrêmes… »

En contrepoint de « la catastrophe », il existe toujours des failles de liberté où, s’ils acceptent de se transformer, les hommes peuvent s’engouffrer. Kossi Efoui cite ainsi volontiers deux exemples pour éclairer sa démarche : les musiciens handicapés du Staff Benda Bilili peuvent faire danser les foules – un homme seul, place Tiananmen, peut arrêter une colonne de chars.

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L’Ombre des choses à venir,
de Kossi Efoui, éd. du Seuil, 162 pages, 17 euros.

"Gougnafiers" et "chauffards"

Une anecdote emblématique : un musicien prisonnier de la Plantation – le père peut-être – répond à un autre détenu qui lui reproche de jouer pour ses bourreaux : « […] Tous mes gestes, comme tous tes gestes, sont contrôlés. Mais il y a un geste que moi seul, je peux décider de faire, le seul geste qui dépend de moi, et rien que de moi. Et de personne d’autre, même pas eux, jamais.

Et l’autre, un cran plus haut.

– Et c’est quoi ce geste ?

– Jouer la note juste. »

Quant à Kossi Efoui, il n’est pas démuni. « Moi, je ne fais pas de cadeaux. Jamais de la vie. Je me donne le droit de désigner les gougnafiers et les chauffards qui font un mauvais usage de la langue ! » tempête-t-il, assortissant chacune de ses phrases d’un grand éclat de rire. Pour lui, les hommes politiques font trop souvent un usage « tuant » de la rhétorique : ils disent « événements » ou même « paix » en temps de guerre, ils parlent des « bienfaits » du colonialisme…

Contre ces bonimenteurs et ces menteurs qui dévalorisent la langue, Kossi Efoui dispose d’une arme : le mot juste. 

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