Michel Ouédraogo : « Je ne crois pas au cinéma low cost »
Rencontré en plein préparatifs de la 22e édition, le directeur du Fespaco appelle les États africains à faire de la culture un facteur de développement.
Malgré la multiplication des festivals en Afrique depuis une vingtaine d’années, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) reste la manifestation cinématographique de référence sur le continent. Pour sa 22e édition, la biennale attirera du 26 février au 5 mars des milliers de festivaliers – professionnels ou cinéphiles – et des centaines de milliers de spectateurs dans les salles de cinéma ou les centres de conférence de Ouagadougou.
Mais comment se présente l’avenir de cet événement prestigieux, alors même que le cinéma africain a beaucoup perdu de son aura depuis la fin des années 1990 ? Dans la plupart des pays du continent, nombre de salles ont disparu et, sur la scène internationale, très peu de films africains font l’événement. Le souriant Michel Ouédraogo, l’homme de communication qui dirige depuis 2008 le Fespaco, se veut rassurant. Optimiste et combatif de nature, il n’a pourtant guère de bonnes nouvelles très concrètes à annoncer.
Jeune Afrique : Le Fespaco s’est imposé depuis longtemps comme le plus important festival consacré au cinéma africain. Mais ne faudrait-il pas le faire évoluer ?
Michel Ouédraogo : Quand j’ai été nommé à la tête du Fespaco, mon ambition était précisément de l’amener à un niveau supérieur. Cela reste d’actualité. On doit parvenir à faire reconnaître le Fespaco comme une réelle institution internationale. Par l’ensemble des États africains d’abord. Mais aussi par l’Union européenne, et par toutes les institutions liées au cinéma, comme la Fédération internationale des critiques de cinéma [Fipresci] ou les autres grands festivals. À commencer par Cannes.
Qu’est-ce qui manque encore au Fespaco pour obtenir cette reconnaissance ?
Rien, en réalité. Si ce n’est que l’implication de tous ceux, décideurs ou partenaires, qui nous entourent est insuffisante. Ils ne donnent pas à la culture – et en particulier au cinéma – la place qu’elle mérite. Il faut qu’une volonté politique se manifeste. Surtout de la part des États.
N’est-ce pas un espoir un peu chimérique, alors que le cinéma africain a beaucoup perdu de sa visibilité internationale depuis une quinzaine d’années ?
Mais quand le cinéma africain était à son apogée, était-ce si différent ? Le problème vient de loin. Au moment des indépendances, on a considéré qu’il y avait d’autres priorités, et la culture a été totalement oubliée. Et c’est resté ainsi, malgré les efforts de certains, notamment de grands écrivains, pour alerter les gouvernements sur l’importance de la culture. Ils n’ont pas été entendus. Raison de plus pour se mobiliser, surtout pour le cinéma.
Ce que vous dites n’est pas très encourageant…
Peut-être. Mais il y a heureusement de nombreux exemples partout dans le monde qui montrent que la culture peut être au centre d’un modèle de développement. On peut donc espérer que l’Afrique ne restera pas un cas à part. Prenons l’exemple de la Chine, de l’Inde, du Japon, sans parler d’Hollywood et des États-Unis, bien sûr, où la culture, et particulièrement le cinéma, joue un rôle majeur pour créer du développement. L’Afrique peut et doit faire de même, fonder en grande partie son développement sur sa culture. Car il s’agit d’un domaine transversal, qui concerne aussi bien l’économie que la préservation de l’environnement ou l’éducation. Il est essentiel que l’Afrique fabrique ses propres images, se confronte à son imaginaire. Les populations le réclament. Les gouvernements doivent en prendre conscience, en aidant à la constitution de cinématographies fortes par des financements directs ou par des incitations indirectes. Et il ne s’agit pas là de quémander : la culture, c’est un droit !
Quelle est la priorité ? Créer des écoles de cinéma, rouvrir des salles, aider la production de films ?
Ce qui manque le plus, ce sont des opérateurs. Qu’on accompagne ceux qui veulent agir ! On a, par exemple, créé des banques spécialisées pour l’agriculture, pourquoi ne pas donner pour mission à des banques d’État d’aider les projets culturels ? D’aider notamment les réalisateurs qui sont à la recherche de financements, ou les entrepreneurs qui voudraient ouvrir des chaînes de salles ? Comme l’État, bien sûr, ne peut pas tout faire, il faut stimuler par diverses mesures les initiatives privées. Tout le prouve : le public existe, le consommateur de culture existe. Donc le privé peut s’y intéresser. Mais il faut l’encourager. Car, en matière de culture, il s’agit d’investissements à long terme, lesquels ont besoin d’être soutenus par des politiques de développement culturel.
Que peut faire concrètement le Fespaco pour promouvoir de telles politiques ?
Le Fespaco actuellement ne peut pas grand-chose, il faut être réaliste. On n’a d’ailleurs jamais été invités à une conférence de l’Union africaine. C’est bien pourquoi il faudrait qu’on devienne une véritable institution panafricaine, pour pouvoir porter légitimement la voix des cinéastes auprès des ministres et de tous les responsables. Africains et aussi européens bien sûr.
Vouloir grandir et élargir l’influence du Fespaco, alors même que boucler son budget semble de plus en plus difficile au fil des années, n’est-ce pas présomptueux ?
Il y a eu des difficultés il y a deux ans, certes, mais je crois que c’était un mauvais concours de circonstances. Certains partenaires européens, notamment ceux en rapport avec l’État burkinabè et non pas directement avec le Fespaco, n’ont apporté leur concours – qui représentait 25 % de notre budget environ – que très tardivement, pour des raisons administratives qui ne concernaient pas le festival lui-même. C’est en voie de résolution.
D’un point de vue artistique, en particulier pour la compétition phare des longs-métrages de fiction, le Fespaco 2011 s’annonce-t-il comme un grand cru ?
Ce que j’ai vu me laisse penser que ce sera une bonne année, avec des films bien réalisés, sur des sujets importants. Les films de la compétition principale retenus par le comité de sélection, en tout cas, me semblent d’une qualité assez homogène. Cette fois, le reproche qu’on nous a fait en 2009 de présenter des films de second plan voire des navets au milieu d’œuvres beaucoup plus réussies ne pourra pas, je crois, nous être adressé. Mais il y a toujours des critiques. Même à Cannes !
Il y a quelques grands noms dans la compétition – le Tchadien Haroun, l’Égyptien Nasrallah… –, mais la plupart des anciens, même quand ils ont tourné depuis 2009, comme Souleymane Cissé, sont absents. Pourquoi ?
Qu’ils n’aient pas présenté leurs films au comité de sélection a permis de faire de la place à la génération qui monte ! Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est que les grands réalisateurs qui se sont un peu écartés de la réalisation, comme Gaston Kaboré ou Idrissa Ouédraogo par exemple, reprennent la caméra pour que le cinéma africain bénéficie de leur talent. Et que par ailleurs, on cesse de penser que le cinéma africain peut se passer de moyens. La plupart des films qu’on tourne aujourd’hui sur le continent ont un budget inférieur à celui d’un spot de communication d’une grande banque, ce n’est pas normal. Je ne crois pas au modèle low cost pour le cinéma. Les réalisateurs africains doivent avoir les moyens de faire des œuvres importantes. La croyance dans les vertus du numérique a parfois véhiculé un mauvais message à cet égard. D’autant qu’elle peut conduire à faire disparaître des métiers, comme ceux liés aux décors.
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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune
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