Pakistan : qui a tué Benazir ?
La justice enquête sur l’assassinat, en 2007, de l’héritière du clan Bhutto. Le 12 février, l’ancien président Pervez Musharraf a été cité à comparaître. Mais toutes les hypothèses restent ouvertes.
Depuis trois ans, le plus grand traumatisme politique de l’histoire du Pakistan reste une énigme. Qui a assassiné Benazir Bhutto, le 27 décembre 2007 ? Seule certitude : le kamikaze de 15 ans, qui, à l’issue d’un meeting électoral, a ouvert le feu sur l’égérie du Parti du peuple pakistanais (PPP) avant de se faire exploser au milieu de la foule, n’a pas agi pour son propre compte. Manifestement victime d’un complot, la flamboyante « Pinky » gênait beaucoup de monde : les islamistes radicaux, qu’elle combattait ; le président Pervez Musharraf, qu’elle était en passe de battre aux législatives ; le puissant état-major de l’armée et l’Inter-Services Intelligence (ISI), qui ne s’étaient jamais soumis à son autorité à l’époque où elle était Première ministre et avaient contribué à l’évincer en 1990, puis en 1996. Certains, à l’instar de sa nièce, Fatima, vont jusqu’à accuser le mari de Benazir, l’ineffable Asif Ali Zardari, d’avoir profité de ce drame pour s’accaparer l’héritage politique de la famille Bhutto et devenir chef de l’État.
Jusqu’à présent, l’enquête était au point mort. Dans un rapport d’avril 2010, l’ONU avait conclu que l’assassinat, perpétré dans la ville garnison de Rawalpindi au nez et à la barbe des forces de sécurité, aurait pu être évité. Pis, le rapport dénonçait les manigances de l’ISI pour entraver l’enquête.
Au lendemain du meurtre, Musharraf s’était empressé – de concert avec la CIA – d’accuser les fondamentalistes du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Baitullah Mehsud, leur chef, avait catégoriquement démenti : « Il n’est pas dans nos traditions de nous en prendre à des femmes… » Le sanguinaire barbu n’en était pourtant pas à un crime près. À l’époque, on attribuait à ses hommes 80 % des attentats commis dans le pays.
Aujourd’hui, alors que le très impopulaire Musharraf a quitté le pouvoir depuis deux ans et demi, il est plus facile de l’accuser officiellement de complicité passive. Le 12 février, un tribunal de Rawalpindi spécialisé dans les affaires de terrorisme a franchi le Rubicon en lançant un mandat d’arrêt contre lui. L’ancien dirigeant, qui vit entre Londres et Dubaï, n’avait pas daigné répondre aux courriers qui lui avaient été adressés. Et sans doute refusera-t-il de comparaître, le 19 février, devant les juges.
Ces derniers se sont appuyés sur les conclusions de la Federal Investigation Agency (FIA), la plus haute instance policière du pays, pour qui Bhutto a été tué par deux hommes du TTP venus du Sud-Waziristan, sans que Musharraf, informé de l’opération, ait rien fait pour les en empêcher. « Il a facilité la mise en œuvre de cet assassinat, estiment les enquêteurs du FIA. Il n’a pas fourni à Bhutto les mesures de protection qu’elle avait exigées à deux reprises. »
« S’il m’arrive quelque chose, j’en rendrai Musharraf responsable. Ses sbires me font me sentir en danger, écrivait Benazir, le 26 octobre 2007, à un ami américain, citant les mesures que le président avait refusé de lui accorder : utilisation de voitures pourvues de vitres teintées, escorte de quatre véhicules de police pour la protéger de tous les côtés, etc.
Aujourd’hui, deux anciens chefs de la police de Rawalpindi, emprisonnés depuis décembre dernier, affirment que Musharraf leur avait demandé de retirer une équipe chargée de la sécurité juste avant le meeting, puis de nettoyer la scène du crime.
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