Crise ivoirienne : bunker Palace hôtel
Depuis le 17 décembre, le président ivoirien élu Alassane Ouattara et son gouvernement vivent reclus au Golf Hôtel, à Abidjan, sous la protection de l’ONU. Entre petits coups de blues et grands élans d’optimisme, l’effervescence des premiers jours est retombée. Reportage.
« Enjoy your flight. » Pilote ghanéen pour vieil hélicoptère russe. Le Mi-17 s’apprête à décoller de l’hôtel Sebroko, où l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) a établi son QG, pour rallier le Golf Hôtel, au nord-est d’Abidjan. Depuis le 17 décembre, c’est l’unique moyen de rendre visite à Alassane Ouattara, président élu de Côte d’Ivoire, et à son gouvernement. Deux fois par jour, les navettes onusiennes y transportent des diplomates, des militaires, des journalistes et même des proches des « clients » de l’établissement, paniers de victuailles sous les bras.
Huit minutes plus tard, l’appareil arrive à destination. Vu du ciel, le Golf Hôtel a tout du bunker retranché, avec ses fils barbelés et ses postes d’observation. Dans les jardins, les tentes onusiennes ont poussé comme des champignons. Mille Casques bleus assurent la sécurité du président, de son Premier ministre, Guillaume Soro, et des membres du gouvernement. Faute de service de pressing, les militaires font eux-mêmes leurs lessives et étendent leurs tenues sur de longs fils ou à même le sol près de la piscine. Devant l’entrée principale, plusieurs chars sont censés dissuader toute tentative d’incursion.
Au fil des semaines, l’atmosphère a bien changé. Elle est loin, l’euphorie de la victoire du 28 novembre 2010 et des jours qui ont suivi. Loin, l’époque où l’on croyait encore à un dénouement rapide et où l’on se pressait pour rencontrer celui que l’on surnomme désormais « le président de la République du Golf ». La répression sanglante de la manifestation des partisans d’Alassane Ouattara, le 16 décembre, a douché les enthousiasmes. Depuis cette date, les Forces de défense et de sécurité (FDS), contrôlées par Laurent Gbagbo, bloquent l’accès à l’établissement, où ne résident plus que les personnalités les plus menacées. Les militants, très présents les premiers jours, ont fini par rentrer chez eux. « C’est mieux ainsi, assure un proche d’Alassane Ouattara. La cohabitation n’était pas toujours facile. Tout le monde entrait, même les espions ! » Plusieurs éléments du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos) du général Bi Poin, l’un des plus fidèles alliés du président sortant, ont d’ailleurs été arrêtés dans l’enceinte de l’hôtel avant d’être remis au chef d’état-major de l’armée, Philippe Mangou.
En résidence surveillée
Le Golf Hôtel n’abrite plus que 300 personnes. « Nous sommes en résidence surveillée, mais Gbagbo est sans domicile fixe, se moque un cadre du Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara. Il change chaque soir de domicile tellement il craint pour sa sécurité. » Le jeu de ping-pong verbal entre les deux camps est toujours de rigueur, mais les médias internationaux, très présents eux aussi les premiers jours, ne sont plus là pour compter les points. Le camp Ouattara a bien monté une radio et une chaîne de télévision qui émettent depuis l’hôtel, mais la quasi-totalité des journalistes étrangers a quitté Abidjan. L’actualité tunisienne puis égyptienne a relayé la Côte d’Ivoire au second plan. Finalement, cela tombe bien. Ni Gbagbo ni Ouattara ne souhaitent plus s’exprimer. Fini le temps des ultimatums restés lettre morte : la parole présidentielle est devenue rare.
L’ancien président Henri Konan Bédié, allié politique de Ouattara, n’est pas plus disert. Il vit reclus dans sa chambre d’hôtel avec son épouse, Henriette, et refuse toutes les sollicitations médiatiques. Du coup, les rumeurs les plus folles circulent : il serait malade ou séquestré par les ex-rebelles. Dehors, certains de ses partisans ont rejoint le camp Gbagbo – des actes isolés mais amplifiés par la Radio Télévision ivoirienne (RTI), devenue un canal de propagande. Le « Sphinx de Daoukro » s’est justifié dans une lettre adressée, début février, à ses militants. Extrait : « Le devoir et le respect pour vous m’imposent l’obligation d’aider le président Alassane Ouattara, que nous avons élu, à avoir la plénitude des pouvoirs que lui confère son élection démocratique. Les actions que nous menons au quotidien, lui et moi, en étant retranchés au Golf Hôtel, ont porté leurs fruits. »
Étonnamment serein
Imperturbable, comme à son habitude, le président Ouattara ne laisse rien paraître. Il est étonnamment serein après être resté trois mois enfermé. « Nous ne voyons pas le temps passer, assure-t-il. Nous travaillons du matin au soir, sept jours sur sept. » Sa stratégie repose sur trois axes : l’isolement international de Gbagbo, son asphyxie financière et la récupération des cadres de l’administration et de l’armée. Ouattara poursuit son offensive diplomatique en s’assurant de la fidélité des ambassadeurs ivoiriens en poste à l’étranger.
Ne parvenant pas à prendre réellement le contrôle des finances publiques, il paralyse progressivement les ressources de son adversaire avec la complicité de l’Union européenne et des États-Unis. Le cacao ne sort plus, les grandes banques ferment, le port accueille les navires au compte-gouttes, l’activité économique tourne au ralenti, réduisant considérablement la collecte des impôts et taxes. En ville, l’ambiance est morose. Toutes les sociétés éprouvent des difficultés et commencent à licencier leur personnel, et les Abidjanais, qui vivent dans la crainte d’un effondrement du système bancaire, se ruent aux guichets des banques pour retirer du liquide. « Nous avons beaucoup hésité avant d’appliquer cette stratégie, avoue Patrick Achi, ministre des Infrastructures d’Alassane Ouattara. Mais Gbagbo ne nous a pas laissé le choix. C’est la seule manière de le faire partir sans effusion de sang. »
Chez Gbagbo, on minimise l’impact des actions entreprises dans le camp adverse. Les « refondateurs », nourris aux versets de la Bible, affichent une égale sérénité. Il faut, disent-ils, prendre une chose après l’autre, et ils ont trouvé un nouveau slogan : « À chaque problème sa solution ». Chacun campe donc sur ses positions et l’on a du mal à croire aux chances de succès du panel de chefs d’État mis sur pied par l’Union africaine afin de négocier le départ de Laurent Gbagbo.
Au Golf Hôtel, la réclusion engendre des périodes de blues. Début février, un ministre a craqué en plein conseil du gouvernement. Pour préserver le moral des troupes, et avec l’aide financière de plusieurs pays européens, Ouattara, Bédié et Soro envoient régulièrement leurs fidèles en mission à l’étranger. Le Premier ministre a lui-même effectué une tournée de trois semaines en Afrique, en janvier ; quelques jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Gervais Kacou, s’est rendu au sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, et une délégation politique s’est rendue. Quant à Mme Ouattara, elle a participé, mi-février, au Forum de la coopération Sud-Sud. « Cela nous permet de nous oxygéner et de rendre visite à nos proches, explique Affoussy Bamba, porte-parole des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion). Je n’avais pas vu mes enfants depuis deux mois. » Pourtant, elle n’écarte pas une issue rapide. « Chaque jour, de nouveaux éléments des FDS nous rejoignent, insiste-t-elle. Il y a différents scénarios d’intervention à l’étude. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Et c’est mal nous connaître que de croire que nous allons abandonner la partie. » Et un éventuel repli sur Bouaké ou Yamoussoukro ? Hors de question. La bataille se gagnera à Abidjan, où Laurent Gbagbo a concentré toutes ses forces.
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