Andrée Chédid, adieu l’humaniste
Née au Caire en 1920 d’une famille libanaise, la poétesse s’est éteinte le 7 février, à l’âge de 90 ans. Elle laisse une œuvre lumineuse.
« J’ai souffert de ma maladie. […] Je me sentais proche de la mort, pourtant je n’y croyais pas… Je rejetais cette idée, m’obstinant de toute ma volonté à ne pas rencontrer celle dont je me méfiais tant. Je sombrais. » Andrée Chedid a écrit ces mots en décembre 2006. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle profitait de ses éclairs de lucidité pour continuer à écrire, et ses notes ont été rassemblées en 2010 dans L’Étoffe de l’univers (Flammarion). Un livre-testament dans lequel elle revient sur sa vie, ses amours, sa terre orientale, ses valeurs, ses passions. On ne s’était pas étonné d’y lire encore plusieurs strophes dédiées à la Grande Faucheuse, tellement la mort aura toujours été au cœur d’une œuvre profondément humaine et humaniste. Que ce soit l’acharnement d’Om Hassan cherchant à sauver son petit-fils atteint du choléra dans Le Sixième Jour (1960), ou la folie qui suit le tremblement de terre dans L’Autre (1969), ses romans auront été traversés par cette « vérité première », « mystérieuse, incernable », qui « amplifie la vie ».
Née au Caire en 1920, dans une famille libanaise chrétienne installée en Égypte à la fin du XIXe siècle, élevée en arabe, en anglais et en français, Andrée suit son mari, Louis-Antoine Chedid (elle aimait à préciser que le coup de foudre avait duré soixante-dix ans) dans le Beyrouth des années 1940. Il fait ses études de médecine, elle hésite encore entre la danse, le théâtre et le dessin. « C’est probablement dans ce pays que naquit ma vocation d’écrivain », se souvenait-elle. Elle écrit ses premiers poèmes en anglais et les publie au Caire sous un pseudonyme : A. Lake. On pense au lac et à ses profondeurs. Oui, l’écriture d’Andrée Chedid est profonde et, comme certains lacs, habitée.
Droit à la solitude et à la paresse
Elle disait écrire « d’un lieu indéfini et pourtant central. D’une soif, d’un manque, d’un désir… » Elle qui a si bien su saisir la guerre du Liban, dans ses poèmes notamment, comparait le fait d’écrire à la trame de L’Autre : « Un vieux paysan recherche le jeune homme qu’il a vu disparaître sous la terre. Le roman se déroule autour de cette recherche. Oui, il s’agit du phénomène de l’écriture. Un monde de pierraille, de débris, d’idées, de sentiments confus, dont il faut, graduellement, faire surgir la vie. »
Andrée Chedid aimait les villes (elle s’était installée en 1946 à Paris) et revendiquait le droit à la solitude et à la paresse (une langueur assumée qu’elle partageait avec l’Égyptien Albert Cossery). Elle refusait les « mainmises, et les idéologies de toutes sortes qui imposent une manière définitive de voir ou d’agir ». Elle disait : « Même quand l’existence nous piège, l’écriture nous relie à cette liberté intérieure qui nous habite. » Une liberté qu’elle a su transmettre à son clan, Louis, son fils chanteur, et Matthieu, son petit-fils musicien, pour lesquels elle a écrit plusieurs textes. « Pour moi, à moins d’être artiste, poète, savant ou, à la rigueur, champion de quelque chose, la vie n’a aucun sens. » Andrée Chedid est partie à 90 ans, le 7 février. « J’ai bien assez vécu ! » écrivait-elle dans l’un de ses derniers poèmes. « J’écoute les oiseaux / Ils me consolent / Eux aussi sont créés / Pour mourir. »
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