Heureux comme un Arabe dans le Michigan

Ex-capitale de l’automobile, désormais sinistrée, Detroit et sa région comptent une très importante communauté originaire du Moyen-Orient, qui, paradoxalement, prospère.

À l’institut des arts de Detroit. © AP

À l’institut des arts de Detroit. © AP

Publié le 22 février 2011 Lecture : 3 minutes.

Dearborn, Michigan, 29 janvier. Devant l’hôtel de ville, par un froid glacial, une foule compacte scande, en arabe et en anglais, des slogans hostiles au président Moubarak et agite des drapeaux égyptiens, mais aussi yéménites et tunisiens. À un jet de pierres de Detroit, Dearborn, la ville de Ford, est aussi la « capitale arabe » de l’Amérique. Pâtisseries orientales, fast-food halal et supermarchés islamiques – l’abaya est à 45 dollars – y abondent. C’est ici que se trouve la plus grande mosquée d’Amérique du Nord. Ici aussi qu’en 2005 le Musée national arabe-américain a ouvert ses portes.

Tout commence au début du XXe siècle, quand Henry Ford choisit de faire venir des chrétiens du Liban et de Syrie pour faire tourner ses usines automobiles. Par la suite, d’autres communautés fuyant les conflits au Moyen-Orient – Palestiniens, Yéménites ou Irakiens – viendront s’y adjoindre. Dans l’ensemble du Michigan, on recense aujourd’hui quelque 450 000 Arabes-Américains. « Une véritable Mecque », comme dit l’homme d’affaires Osama Siblani, fondateur de The Arab American News.

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Pourtant, Detroit, son centre économique, est exsangue. Des quartiers entiers ressemblent à un champ de ruines. Conséquence du marasme de l’industrie automobile, la population est passée, en trente ans, de 2,2 millions à 700 000 habitants. Ville déchue, dangereuse, Detroit n’a plus rien d’un pays de cocagne. Sauf pour les Arabes-Américains.

Grâce à des capitaux apportés par leurs communautés d’origine – libanaise et chaldéenne, surtout –, ces derniers ont acquis dans l’agglomération quelque 15 000 commerces : stations-service, épiceries, débits de boissons… Le revenu moyen d’un ménage arabe-américain est de 22 % supérieur à celui d’un ménage américain « de souche ». Une authentique success-story. Kenny Hanna, un Chaldéen de 54 ans, est arrivé dans les années 1970. « J’ai toujours cru en Detroit, dit-il. J’ai commencé en vendant des burgers. Aujourd’hui, je gère trois débits de boissons, je paie mes impôts, j’embauche… » Une aubaine dans une ville dont le taux de chômage est le plus élevé du pays : autour de 30 %.

Une cible de choix

Tout n’est pas idyllique pour autant. Les relations avec la communauté noire – 83 % de la population – sont parfois tendues en raison de la cherté des produits vendus par les commerçants arabes. Plus inquiétant, la communauté est une cible de choix pour les extrémistes de tout poil, dans un pays où l’islam cherche encore sa place. En janvier, un homme a été arrêté. Il voulait faire sauter la mosquée de Dearborn…

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Malgré la crise, 20 000 migrants moyen-orientaux continuent d’arriver chaque année dans le Michigan. « Nous sommes notre propre république. Nous avons tout : églises, mosquées, hôpitaux, funérariums… », se réjouit Siblani. La mosquée de Dearborn offre même aux couples des séminaires sur « les secrets d’un mariage réussi ». Dans son bazar sur Warren Avenue, Lina, 22 ans, hidjab et Converse aux pieds, ne dit pas autre chose : « Ici, je vis ma foi comme je l’entends, les gens sont respectueux. Je ne pourrais pas vivre ailleurs. » Elle est née en Sierra Leone dans une famille chiite libanaise.

Les divisions du Moyen-Orient n’ont ici que peu d’écho. « Chiites, sunnites ou chrétiens, aucune importance. Les gens se mélangent, nous sommes unis. » Et Siblani de se lancer dans une apologie du panarabisme, « une idée neuve », selon lui, dont Dearborn serait le laboratoire. Sur le bureau de ce partisan du Hezbollah trône la photo de… Gamal Abdel Nasser.

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Alors, heureux comme un Arabe dans le Michigan ? En tout cas, personne à Dearborn n’a jamais été tenté par les sirènes du terrorisme islamiste. Au contraire, la CIA y recrute chaque année. Retourner au Caire ? Anas Pasha, 17 ans, ne veut même pas en entendre parler : « Même si l’Égypte devient plus démocratique, je n’y ai aucun avenir. »

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