Sénégal : Karim Wade et la guerre du pétrole
Une cargaison de fuel qu’on ne peut pas décharger, des centrales électriques qui tournent au ralenti, des délestages… À Dakar, la marge de manœuvre de Karim Wade, le ministre de l’Énergie, se réduit.
Depuis deux mois, le tanker Green-Point est amarré non loin de Dakar. Dans son ventre, 33 000 tonnes de fuel attendent d’être déchargées. La Société nationale d’électricité (Senelec) manque de combustible pour approvisionner ses centrales, mais ne parvient pas à obtenir que la cargaison lui soit livrée. Résultat : de longs et fréquents délestages, et des clients exaspérés, qui, tout au long du mois de janvier, ont exprimé leur colère dans les rues de Dakar.
Les dessous de l’affaire : un vrai scénario de série B sur fond de surenchères politico-judiciaires. Dans les rôles principaux figurent Karim Wade, fils et ministre de l’Énergie du chef de l’État sénégalais, et Abdoulaye Diao, directeur de l’International Trading Oil and Commodities Corporation (Itoc, créé en 1985), un trader en pétrole aussi puissant que discret.
Fournisseur de nombre de pays africains (Nigeria, Bénin, Guinée-Bissau…), ce Sénégalais d’une soixantaine d’années a longtemps rechigné à travailler avec son propre pays, avant de conclure, fin mars 2010, un contrat avec la Senelec. La société nationale, qui a besoin de 15 000 t de fuel par mois pour faire tourner ses centrales, ne peut s’en procurer que 7 000 auprès de la Société africaine de raffinage (SAR) et compte donc sur Itoc pour combler le déficit. Sauf que la dernière livraison d’Itoc remonte au mois de novembre. Depuis, plus rien. Son patron exige d’être payé.
Précieuse cargaison
En cause : un reliquat de 2,8 milliards de F CFA (4,3 millions d’euros) que la Senelec doit à son fournisseur. Après plusieurs demandes restées sans réponse, Itoc a réclamé, à l’arrivée en rade de Dakar du Green-Point, le 13 décembre dernier, des garanties de paiement (traites avalisées ou lettres de crédit) avant de le faire décharger. L’insistance de Karim Wade, qui a fait intervenir son président de père pour convaincre Abdoulaye Diao, n’y a rien fait. En désespoir de cause, le ministre de l’Énergie a proposé une solution médiane : le déchargement d’une partie du fuel pour dépanner la Senelec en attendant la mise en place des garanties. Sans plus de résultats. Le navire, amarré depuis le 10 janvier au terminal de Mbao, conserve sa précieuse cargaison – évaluée à environ 10 milliards de F CFA (environ 15 millions d’euros).
À cette question de facture non réglée se greffe un second problème : soucieuse de gagner du temps, la Senelec a demandé à faire tester le fuel avant même d’avoir obtenu qu’il ne soit déchargé. Un échantillon a donc été prélevé le 10 janvier par le laboratoire de la SAR. Sur les dix-sept critères évalués, deux (la viscosité et la densité) se sont révélés au-dessous des normes requises. La Senelec en a aussitôt déduit que le liquide n’était pas de bonne qualité et a porté plainte contre Itoc.
Bouc émissaire
L’intéressé s’est justifié en invoquant le long stationnement du navire et a exigé de procéder au réchauffement et à la remise en circulation du produit, avant un nouveau test, le 23 janvier, qui lui a donné raison. Sans convaincre le ministre de l’Énergie, qui, en accord avec Abdoulaye Diao, a fait effectuer le 2 février, en toute discrétion, un nouveau prélèvement destiné à être analysé en Norvège. Le verdict est tombé le 15 février : le fuel est de bonne qualité.
La guerre du pétrole est-elle désormais terminée ? Pas sûr… Les négociations se poursuivent d’arrache-pied. D’autant que, en plus de son dû, Itoc réclame à la Senelec 40 000 dollars par jour au titre des frais de stationnement du navire. Et compte ne pas renouveler le contrat, qui expire fin mars prochain. La question est sensible, et ses implications politiques et sociales, évidentes. L’entreprise refuse le rôle de bouc émissaire.
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