Le Cameroun, un lion endormi

Doté d’un remarquable potentiel humain et naturel, le Cameroun fait pourtant du surplace en matière économique et sociale. En cause, le manque d’infrastructures et des élites adeptes du statu quo.

Dans une rue de Bonabéri, à Douala, en 2008. © AFP

Dans une rue de Bonabéri, à Douala, en 2008. © AFP

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Publié le 24 février 2011 Lecture : 9 minutes.

Comment va le Cameroun ?
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Comment va le Cameroun ?

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Le Cameroun somnole. Voilà un pays qui bénéficie d’un nombre peu habituel d’atouts, avec une population globalement bien formée de 20 millions d’habitants et des richesses aussi bien agricoles – on le qualifie souvent de « grenier de l’Afrique centrale » – que minières ou pétrolières. Diversifiée, son économie n’en est pas moins inerte.

Inerte la croissance : avec une amélioration annuelle moyenne de son produit intérieur brut (PIB) de 3,1 % entre 2004 et 2008, le Cameroun est non seulement à la traîne de la région, mais aussi de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, qui a dépassé les 6 % par an sur la même période. Ce piétinement est d’autant plus étonnant qu’il est intervenu au moment où le monde entier connaissait un boom économique.

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Inerte l’amélioration des conditions de vie des Camerounais, compte tenu d’une croissance démographique de presque 2 % l’an, qui dévore les maigres progrès de la croissance : selon la Banque mondiale, 40 % des habitants sont pauvres, avec un revenu de moins de 2 dollars par jour, et ce taux ne bouge guère, alors que l’annulation de la dette en 2006 aurait dû permettre de reporter l’effort budgétaire vers la lutte contre la pauvreté. Les citadins s’enrichissent un peu, mais les ruraux voient leur niveau de vie se dégrader, notamment dans le nord du pays. Un tiers des enfants camerounais sont considérés comme chroniquement mal nourris.

Les raisons de cette torpeur ne sont pas macroéconomiques. En effet, l’endettement et le déficit budgétaire de l’État demeurent raisonnables, l’inflation est en dessous de la cible de 3 % par an (+ 0,4 % au premier semestre 2010 selon l’Institut national de la statistique), le déficit de la balance commerciale n’inquiète pas.

Faut-il incriminer les infrastructures indignes d’un pays de cette importance, comme le laisse penser un taux d’investissement de 17 % quand celui-ci s’élève à 25 % dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) ? C’est une partie du diagnostic fait par le plan « Vision 2035 » et par le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) 2010-2020, qui ambitionnent de propulser le pays dans la catégorie des économies émergentes et d’y réduire la pauvreté de 10 % grâce à une croissance à deux chiffres. Troisième potentiel hydroélectrique du continent derrière la République démocratique du Congo et l’Éthiopie, le Cameroun connaît autant de coupures de courant que d’autres pays moins bien lotis par la nature : sa puissance hydraulique installée est de 721 mégawatts (MW), alors qu’elle pourrait s’élever à 12 000 MW.

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Des transports lents et chers

Ses routes sont parmi les plus mauvaises d’Afrique et l’on y dénombre 1,2 km de chaussée goudronnée pour mille habitants, quand ce taux est de 2,4 km dans la sous-région. Pas étonnant que le coût du transport de la tonne au kilomètre y soit de 0,13 dollar, alors qu’il ne dépasse pas 0,005 dollar en Afrique australe. « Le transport de marchandises entre Douala et N’Djamena coûte six fois plus cher qu’entre Shanghai et le port de Douala. Il dure également deux fois plus longtemps : soixante jours, contre trente », déplorait l’ancien président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), Anicet Georges Dologuélé.

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Dans une étude publiée en janvier à Yaoundé et intitulée « Time for the lion to wake up ? », la Banque mondiale confirme ce sévère handicap. On peut y lire que l’économie camerounaise bénéficierait d’une croissance de son PIB par habitant supérieure de 4,5 points à son rythme actuel si ses infrastructures routières et portuaires, son électricité et ses télécommunications étaient portées au niveau de celles de l’île Maurice.

La « Vision 2035 » et le DSCE prévoient donc de construire dans les prochaines années une série de ponts, de routes, de barrages (Lom Pangar et Memve’ele), de centrales thermiques (Douala, Kribi), de ports en eau profonde (Kribi, Limbé) et de voies ferrées.

Pourquoi ne pas s’y être attelé plus tôt ? « D’abord parce que la crise économique de 1994 a empêché le président de la République, Paul Biya, d’exercer la souveraineté économique, faute de moyens », répond Issa Tchiroma Bakari, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui incrimine aussi « les élites qui n’ont pas voulu comprendre les règles de l’économie mondiale, c’est-à-dire qu’il fallait transformer nos produits afin d’échapper à la dictature des entités apatrides qui font fluctuer le cours des matières premières, que nous avons continué à exporter brutes. »

La corruption perdure

En faussant les règles du jeu économique et social, la corruption a également joué un rôle néfaste. Certes, le Cameroun a cessé d’être perçu comme le pays le plus corrompu du monde, selon les critères de l’ONG Transparency International. Certes, sous la houlette du nouveau délégué général à la sûreté nationale, Martin Mbarga Nguele, la police commence à ne plus se comporter en prédatrice des automobilistes, « taxés » jusque-là de façon arbitraire. Mais il faut toujours verser une contribution de quelque 150 000 F CFA (environ 228 euros) pour inscrire son enfant dans une « bonne » école publique, dite gratuite.

L’association Voies nouvelles a prouvé que les camions-citernes qui sortent de la Société camerounaise des dépôts pétroliers (SCDP) échangent dans de petits garages une partie de leur cargaison de carburant pour du pétrole lampant, moins cher mais redoutable pour les moteurs. Des bâtiments scolaires sont dits achevés, alors que seul existe le trou pour leurs fondations.

« Si le délégué général à la sûreté a osé faire son boulot en réformant le comportement de la police, c’est que c’est faisable ! s’exclame Léopold Nzeusseu, directeur exécutif de Transparency International Cameroun. Imaginons que le directeur des douanes et celui des impôts fassent de même… Mais, pour le moment, les améliorations ne sont guère perceptibles. Les opérations anticorruption « Épervier » [après le vaste coup de filet entre 2004 et 2006, NDLR] n’attrapent que deux ou trois coupables par an, et certains pensent que cette sévérité sélective est seulement d’inspiration politique. Voilà cinq ans qu’une loi obligeant les hauts fonctionnaires et les élus à déclarer leurs biens dès leur entrée en fonction demeure inappliquée : les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. Voici deux ans que nous attendons la loi protégeant les dénonciateurs de faits de corruption, etc. »

Le FMI et la Banque mondiale dénoncent rituellement « un environnement peu propice aux affaires ». La défiance de l’administration toute-puissante vis-à-vis de l’entreprise privée vaut au Cameroun d’être 168e sur 183 dans le rapport « Doing Business » 2011 de la Banque mondiale, qui classe les pays en fonction de la facilité à y réaliser des affaires.

Gouvernance médiocre

Il faut dire que la gouvernance du Cameroun est médiocre. Lors du comice agropastoral qui s’est tenu à Ebolowa du 17 au 22 janvier, le président Paul Biya s’est étonné que son pays ait importé en 2009 pour 500 milliards de F CFA de blé, de riz et de poisson. Évaluant les politiques conduites en matière agricole, il a reconnu : « Si des résultats indéniables ont été obtenus dans certains domaines, l’impression d’ensemble est celle d’une trop grande dispersion et d’un certain manque de cohérence. » C’est peu dire que ce constat peut être étendu à l’ensemble de la politique gouvernementale.

Les budgets d’investissement ne sont réalisés qu’à 50 % ou 60 %, tant les projets sont mal préparés. Celui du barrage de Lom Pangar dort dans les cartons depuis vingt ans et se trouve toujours bloqué parce que les autorités camerounaises n’ont pas répondu aux demandes de précisions en matière environnementale que la Banque mondiale leur a adressées.

Le manque de cohérence souligné par le chef de l’État se retrouve dans le double emploi des futurs ports en eau profonde de Kribi et de Limbé, qui, en plus, se trouveront en concurrence avec des projets comparables au Nigeria et à São Tomé. Tous les bailleurs de fonds jugent budgétairement irréaliste l’annonce que sera assurée avant 2020 l’accessibilité routière de toutes les zones rurales. Le partage du « gâteau » national entre les différents clans (230 ethnies), entre les adeptes des différentes religions, entre le Nord et le Sud, entre les anglophones et les francophones tient de l’équilibrisme et bloque toute innovation.

« Il existe dans notre pays un fort décalage entre le dynamisme des personnes privées qui s’activent dans leur quête du savoir et du bien-être et la lourdeur de la sphère de la gouvernance collective qui pèse sur la société », explique Alain Didier Olinga, maître de conférences en droit public à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) et auteur du livre Propos sur l’inertie.

Conservatisme à outrance

« Chez nous, quelque chose qui peut-être fait en un mois prend deux ans, dit-il. En effet, le système hésite en permanence, parce que ses acteurs ne sont pas sûrs d’être bénéficiaires des mutations qui seraient nécessaires et qu’ils décident des réformes à doses homéopathiques. La solidarité entre les différents pôles de pouvoir leur assure la conservation de leurs avantages et leur fait fermer les yeux sur des actes délictueux. Ce conservatisme à outrance ne permet aucun changement. Si le président voulait vraiment réformer, il organiserait un Conseil des ministres chaque semaine au lieu de deux par an. Il ne connaît pas tous les membres de son gouvernement… »

Cette inertie et les oligopoles qu’elle préserve ont un coût. Il s’est écoulé huit mois entre le moment où Paul Biya a donné l’ordre à son ministre des Finances d’attribuer des crédits à l’organisme public chargé de la lutte contre la corruption, la Conac, et le jour où celle-ci a pu en disposer. Deux opérateurs, Orange et MTN, se partagent le marché de la téléphonie mobile et assurent un service de mauvaise qualité, à un prix exorbitant. Le ministère de l’Enseignement supérieur ne parle pas au ministère de l’Enseignement de base, qui ignore celui de la Jeunesse. Tel dossier d’investissement est retardé parce qu’un conseiller du ministre compétent a intérêt à ce que le cabinet d’études, dont il est par ailleurs propriétaire, profite d’un contrat le plus long possible sur le projet.

« Le vivre ensemble fait que nous restons repliés sur nous-mêmes et que nous ne transgressons pas les barrières qui nous empêchent de construire une vraie nation, analyse Olivier Behlé, président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam). Nous sortirons de la dilution des ressources et de l’irresponsabilité lorsqu’un nombre suffisant de Camerounais voudra en finir avec la paralysie qui en résulte. Il faut remettre au centre l’entreprise privée. Tout passe par elle, car elle est la seule à pouvoir donner des emplois aux millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Mais l’entreprise privée est déstabilisatrice, car pour être efficace, elle doit en finir avec le recrutement sur une base ethnique et avec les marchés passés par souci de proximité. Pensons Cameroun, pensons Afrique centrale. Et arrêtons de discourir et de couper les cheveux en quatre. Agissons. »

Malgré les atermoiements prévisibles, les chantiers annoncés, les ouvertures de mines, les projets agricoles devraient finir par accélérer la croissance au cours des prochaines années. Autre signe inédit d’une volonté politique dépassant le stade des incantations, l’État camerounais a émis pour la première fois des obligations au taux de 5,6 % pour un montant de 200 milliards de F CFA (environ 305 millions d’euros), afin de financer une partie des grands travaux et couvrir le déficit budgétaire. À la surprise générale, cette émission a été totalement souscrite en décembre 2010, preuve que la confiance ne fait pas totalement défaut.

Mais le principal espoir d’un changement réside dans les nouvelles générations. « La moitié de notre population a moins de 24 ans, rappelle Olivier Behlé. Elle communique beaucoup plus vite que nous ; elle est urbaine ; même si notre système éducatif est déstructuré, le niveau culturel de ces jeunes s’élève. Ils ne pourront plus être gouvernés comme avant. »

Plus comme avant ! Le Cameroun en rêve… tout en redoutant d’y perdre son fragile équilibre et en fantasmant sur la situation en Côte d’Ivoire et en Tunisie. En l’absence de toute opposition structurée, la transition vers le futur et la libération des énergies camerounaises seront-elles de type explosif ou le processus parviendra-t-il à être maîtrisé et progressif ? Là est la question qui taraude une jeune nation.

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