Wael Ghonim, le « maire » de la place Al-Tahrir
Il était l’incarnation parfaite d’une jeunesse égyptienne diplômée, ouverte sur le monde via internet et peu politisée. Aujourd’hui, c’est l’un des rares visages connus des millions de tombeurs du président Moubarak qui ont explosé de joie le 11 février en début de soirée, place Al-Tahrir, à l’annonce de sa démission.
« Ici, en Égypte, on aime se trouver des héros, déclarait Wael Ghonim le 7 février. Mais je ne suis pas un héros. Moi, je suis resté devant un clavier, je n’ai pas risqué ma vie. Les héros, c’est vous ! » Par ces mots, le geek révolutionnaire est devenu l’icône d’une génération, celle des « enfants dissipés de Facebook », comme les appellent les services de sécurité, mais aussi celle d’un peuple courageux et déterminé.
À Dubaï, où il travaille au service marketing de Google pour le Moyen-Orient, Wael, 30 ans, père de famille, diplômé en informatique de l’Université américaine du Caire, aurait pu, explique-t-il lui-même, « rester au bord de la piscine, profiter de ses augmentations de salaire régulières et ne pas s’intéresser à la politique ». Mais, depuis juin 2010, il administre la page Facebook « Nous sommes tous Khaled Saïd », un jeune homme battu à mort par la police après avoir été arraché d’un cybercafé à Alexandrie. Au début de cette année, quand les Tunisiens renversent leur despote, il établit des contacts avec des blogueurs et des groupes protestataires – uniquement via la messagerie Google, la seule qu’il estime sûre – pour organiser la manifestation du 25 janvier. Après avoir battu le pavé, il disparaît le 27. La Direction unifiée des jeunes révolutionnaires en colère, formée le 24 janvier, exige le retour de leur « collègue ». Il ne sera libéré par les services de sécurité que onze jours plus tard, après avoir été détenu au secret, les yeux bandés.
Place Al-Tahrir, dont il est surnommé « le maire » par un internaute, il apparaît le 8 février aux côtés de la mère de Khaled Saïd. En simple polo bleu marine, traits tirés, ému aux larmes, il s’époumone de sa voix pourtant fluette devant une foule venue en nombre pour l’écouter. Il appelle à la poursuite de la mobilisation, animé de sa seule sincérité. Les Égyptiens l’en adorent d’autant plus. La veille, il est à la télévision égyptienne. « L’interview de Ghonim sur Dream TV 2 : un tremblement de terre », commente Ben Wedeman, un journaliste de CNN. Wael semble perturbé. Visiblement marqué par sa détention, il parle de manière compulsive, comme s’il revivait son interminable interrogatoire. « J’aime l’Égypte » ; « Je ne suis pas un traître » ; « Aucun étranger ne m’a demandé de faire ce que j’ai fait », répète-t-il, les yeux baissés. La chaîne diffuse ensuite, sur une bande sonore mélodramatique, les photos de jeunes hommes souriants : ce sont des martyrs tombés sous les coups de la répression – au moins trois cents, déjà. L’émotion est à son comble. Wael pleure, demande pardon aux familles des victimes, d’autant qu’il ne savait pas, durant sa détention, le drame qui se nouait dehors. « Le mouvement devait être pacifique, c’est le régime qui est coupable », lâche-t-il. Puis il quitte brusquement le plateau. Le lendemain, sur CNN, il semble mieux assumer le rôle que l’on veut lui attribuer. Il interpelle directement le vice-président, Omar Souleimane. « Kidnappez-nous tous ! Tuez-nous ! Nous allons reprendre ce pays ! » clame-t-il, avant de montrer à la caméra son testament notarié en lançant : « Je suis prêt à mourir ! »
Les manifestants, eux, ont sollicité Wael pour les représenter. Une page Facebook l’appelant à devenir le porte-parole de la révolution a rassemblé en deux jours plus de 135 000 signatures. Wael acceptera-t-il ? A-t-il d’ailleurs le choix ? Ne l’est-il pas déjà devenu lors de son adresse vibrante à la foule, place Al-Tahrir ? Facebook, dont il considère le fondateur, Mark Zuckerberg, comme son deuxième héros après l’Indien Gandhi, ne l’a-t-il pas élevé malgré lui au statut de leader ? Wael, lui, promet solennellement aux Égyptiens, sur son compte Twitter, qu’il ne fera pas de politique une fois qu’ils auront obtenu leurs droits. Pas sûr, cependant, qu’ils laissent leur nouveau héros retourner à l’anonymat, devant son clavier.
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