Les Arabes face au changement
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 14 février 2011 Lecture : 2 minutes.
On disait le monde arabe enlisé dans les sables de l’immobilisme. On croyait que seule la mort pouvait emporter ses dirigeants, pour la plupart âgés et malades. On imaginait ses peuples résignés ou pétrifiés par la peur de leurs « zaïms » (chefs charismatiques). Quelle erreur ! Les « éclaireurs » tunisiens puis égyptiens ont ouvert une brèche qui ne cesse de s’élargir. De Nouakchott à Sanaa, en passant par Alger, Tripoli, Amman, Damas ou Riyad, l’exigence d’un changement, par une jeunesse pour qui le décalage entre ses attentes et la réalité vécue était devenu insupportable, fait souffler un vent de fraîcheur sur toute la région. Les zaïms l’ont bien compris, qui multiplient les gestes d’apaisement et les promesses, espérant sauver ce qui peut l’être, ébranlés par le sort réservé à deux d’entre eux, pourtant réputés solidement ancrés à leurs trônes : la fuite pour Ben Ali, la démission pour Moubarak…
En ce début d’année 2011, les fils de l’Histoire sont donc renoués. Ce que veulent, au fond, les apprentis révolutionnaires, qui découvrent chaque jour leurs nouveaux pouvoirs, c’est la modernité, tout simplement. Une nouvelle nahda (« renaissance »), comme le monde arabe n’en avait plus connue depuis le XIXe siècle, quand, depuis l’Égypte déjà, les réformistes Méhémet Ali, Jamal al-Din al-Afghani ou Muhammad Abduh s’inspirèrent d’idées développées en Occident pour rattraper un retard global rendu criant par la décomposition de l’Empire ottoman. Principe de raison, participation au pouvoir et démocratie, unité, interprétation moderne des textes religieux, égalité des citoyens et des sexes… Plus d’un siècle plus tard, les aspirations restent, peu ou prou, identiques. Mais, cette fois, le mouvement ne vient pas du sommet ou des seules élites, mais de la base. Il n’y a ni leaders ni hérauts, ou si peu. Tous les acteurs structurés, comme l’opposition, les islamistes ou les syndicats, ont été pris de court. Il est grand temps que les élites politiques, économiques et intellectuelles, qui n’ont fait que prendre le train en marche, se penchent désormais sur la meilleure manière d’accompagner la divine surprise à laquelle nous assistons. Car le plus délicat dans une révolution, ce sont ses lendemains: une fois la porte de sortie indiquée aux régimes honnis, que fait-on ?
Cela signifie donc se poser les bonnes questions. Comment faire évoluer des sociétés ankylosées et traversées par de profondes lignes de fracture (entre les générations, les sexes, les courants de pensée) sans sombrer dans le chaos ? Quelle place accorder à la religion ? La liberté implique t-elle la laïcité ? Quel modèle de société pour un monde arabe moderne ? Les expériences menées sous d’autres cieux, dans l’Asie musulmane par exemple, sont-elles transposables au Maghreb et au Moyen-Orient ? Quels (nouveaux) rapports entretenir avec l’Amérique, l’Europe et les anciennes puissances coloniales? Quelle attitude adopter à l’égard d’Israël ? Les interrogations sont légion. Le plus dur, mais le plus passionnant, ne fait que commencer…
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