La RDC n’est pas une république bananière !
Notre dernière enquête sur le bilan de Joseph Kabila a déclenché un petit tsunami politico-médiatique à Kinshasa. Aussitôt après nous avoir fait parvenir un long droit de réponse, le ministre de la Communication, Lambert Mende a, sur ordre, été le lire en direct à la télévision, avant d’en arroser la presse qu’il contrôle. Le tout assorti d’accusations aussi paranoïaques que diffamatoires. Nous aurions pu aisément arguer de cette mauvaise manière pour refuser de publier ce texte, mais nous l’avons néanmoins maintenu. Pour deux raisons. J.A. a toujours ouvert ses colonnes à la contradiction, fût-elle la plus vive: telle est notre conception de la liberté d’expression. Et la lecture de ce droit de réponse suffit en elle-même à valider le bienfondé de notre diagnostic: de Mobutu à Kabila, il n’y a que les hommes qui changent. François Soudan.
Kabila : Mobutu light
C’est une volée de bois vert qui a été infligée à Joseph Kabila, le président de la RD Congo, dans la livraison no 2612 du 30 janvier 2011 de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Les 14 pages qui lui ont été consacrées sous un titre très engagé : Kabila = Mobutu light ont la causticité du vitriol. Ce n’est pas la première fois que le défunt dictateur du Zaïre inspire la chronique. Il y a quelques années, le périodique kinois Le Soft avait disserté sur « Bemba, fils Mobutu ». Dans le microcosme politique kinois, être assimilé à Mobutu, l’antihéros, est une forme d’injure suprême. Il apparaît assez clairement que l’objectif de cette série d’articles d’une rare virulence est de démolir la réputation d’une personnalité politique qui se prépare à affronter le verdict des urnes dans moins d’un an. Pour l’édification des lecteurs de J.A., le gouvernement de la RD Congo, contrairement au régime autocratique qui sévissait dans ce pays il n’y a pas si longtemps, n’a pas censuré ce brûlot, librement distribué aux quatre coins du Congo-Kinshasa. Il tient cependant à faire quelques mises au point :
1. Dans ces articles où tout s’entremêle (vie privée, politique, économie, sécurité, relations internationales, élections, etc.) dans un assez curieux agencement, on perçoit nettement en filigrane une implacable hostilité à l’égard du président du Congo-Kinshasa. Ainsi, Joseph Kabila, après un pseudo « pacte tacite » (les mots sont de J.A.) avec les capitales occidentales (« aide contre démocratie »), aurait vu remballer le tapis rouge que lui déroulaient auparavant lesdites capitales. L’auteur de l’article prétend même que ce refroidissement envers JKK serait observé également chez ses homologues africains qui seraient agacés par « ce qu’ils perçoivent comme de l’arrogance à leur égard ».
2. La vérité, c’est que le président Kabila que d’aucuns souhaitaient voir demeurer ad vitam æternam un « gamin de 29 ans, fétu de paille » (les mots sont encore de J.A.) a pris de l’étoffe et de l’assurance. Ce qui n’est pas pour déplaire au peuple congolais dont il défend avec plus de pugnacité les intérêts légitimes, notamment par rapport aux contrats léonins sur les mines dont la revisitation fait grincer les dents des prédateurs et de leurs affidés dans le pays. Il y a peu de doute : cette campagne de sape musclée est le fait des forces qui militent pour un statu quo ante auquel les Congolais n’ont aucun intérêt. En effet, pourquoi et pour qui serait-il si dramatique que Joseph Kabila ait gagné en assurance et ne reçoive plus de « leçons » par téléphone de l’extérieur ?
3. François Soudan situe l’accroc au “printemps de Kinshasa”, illustré par la rupture du deal entre Kabila et les capitales occidentales au début de l’an 2003 lorsque le ministre Matungulu Mbuyamu, “l’homme du FMI”, démissionna. On a beau manipuler la casuistique, tout Congolais averti comprend que pour les inspirateurs de ce commentaire, le vrai “crime” de Joseph Kabila, c’est d’avoir osé privilégier les intérêts nationaux de la RD Congo et de ne pas avoir laissé les « maîtres » gérer à leur guise les ressources du Congo par missi dominici interposés. Une façon comme une autre de chercher à faire marcher le train de l’Histoire à reculons. Ces inspirateurs étaient du reste dans le premier cercle du pouvoir en 2003 sans lever le petit doigt pour plaider en faveur de cette sorte de tutelle de Bretton Woods sur leur pays.
4. Les prédateurs et leurs affidés n’acceptent pas que le président Joseph Kabila sur la timidité duquel ils comptaient pour continuer à exploiter sans contrepartie significative les richesses de la RD Congo se soit métamorphosé en ce défenseur « moderne, modeste et avisé » des intérêts nationaux de son pays, qui « agace jusqu’à ses voisins africains ». Du coup, même les quelques qualités dont il était crédité avant sa « mue » (horreur du culte de la personnalité, grande capacité de synthèse) ne sont plus perçues par ceux qui ont programmé sa mise à l’écart et multiplient les fausses accusations à cet effet.
5. L’article introductif de François Soudan s’ouvre sur une affirmation : « Il y a dix ans, c’est un Joseph mystérieux et timide qui prenait la place de son père, assassiné. Beaucoup alors ont cru au réveil congolais… » Tout y est dit comme si pour l’auteur le mystère et la timidité étaient à ranger parmi les « qualités » que l’on voudrait trouver chez un chef d’État africain. Pourtant, J.A. a construit sa réputation professionnelle flatteuse sur un engagement constant en faveur de la transparence qui est aux antipodes d’une gestion « mystérieuse » et « timide » d’un État. Deux poids, deux mesures ?
6. Il est reproché au président congolais de s’être transformé en « papillon solitaire » après avoir été à son avènement « la chrysalide qui inspirait à Jacques Chirac, George W. Bush, Kofi Annan et au roi des Belges un irrépressible désir de protection, au point de le porter à bout de bras sur le tipoye de l’élection présidentielle de 2006 ». J.A. ne dit pas à ses lecteurs si les compatriotes – et électeurs – de Joseph Kabila apprécieraient que leur président soit « protégé » par d’autres au lieu de les protéger, le cas échéant face aux intérêts desdits autres. Les espoirs déçus sont en fait portés par ceux qui pensent que, cinquante ans après l’indépendance, il leur revient toujours la mission d’octroyer aux Congolais leurs dirigeants et à ces derniers leurs programmes d’action. Les Congolais ont payé le prix du sang pour récupérer leur souveraineté que J.A. a tort de considérer comme une simple vue de l’esprit. C’est un des soubassements du contentieux entre Joseph Kabila et ceux qui, de l’extérieur, tentent de lui faire payer son indocilité.
7. Kabila = Mobutu Light, est un poncif émasculateur. À quelque facette de la très forte personnalité de l’autocrate de la deuxième République que l’on puisse se référer, rien ne permet d’induire un quelconque jumelage entre les deux styles de gouvernement. Mobutu vouait une reconnaissance éternelle à ses mentors occidentaux qui l’avaient créé de toutes pièces, malgré quelques ruades passagères pour amuser la galerie. Joseph Kabila, né dans les maquis de son père et venu au pouvoir à la faveur des péripéties du mouvement révolutionnaire lancé par ce dernier avant d’être élu démocratiquement en 2006, a d’autres repères politiques et idéologiques, n’en déplaise aux kings makers occidentaux qui prétendent l’avoir « porté à bout de bras sur le tipoye des élections », une injure à la souveraineté des Congolais qui s’étaient bel et bien prononcés en faveur de JKK. Homme sobre et introverti, Joseph est donc tout sauf le « petit-fils idéologique » de Mobutu.
8. Il n’est pas banal de voir J.A., journal réputé progressiste, condamner un chef d’État africain pour ne pas avoir à la tête du ministère des Finances un agent du Fonds monétaire international. Pas banal aussi, ce reproche à l’homme politique Joseph Kabila de vouloir gouverner autrement que certains de ses aînés du sérail africain. Qui ignore le sort peu enviable réservé à certains membres parmi les plus prestigieux du « Club des chefs d’États » en Afrique du Nord notamment ? Ceux qui veulent absolument le voir se couler dans un moule aussi suranné que décrié par nos peuples ne voudraient-ils pas tout simplement le pousser au suicide politique ?
9. J.A. évoque les problématiques de l’impunité, de l’affairisme et de la corruption comme s’il s’agissait de tares créées de toutes pièces par Joseph Kabila lors de son avènement aux affaires, il y a dix ans. C’est tromper l’opinion que ne pas indiquer qu’il s’agit de fléaux hérités de la deuxième République mobutiste qui a étendu ses tentacules sur le pays trente-deux ans durant et contre lesquels Joseph Kabila a mobilisé très fermement l’ensemble des institutions de la République en redonnant de nouveaux moyens à la magistrature et au système de sécurité. C’est également brosser un tableau incomplet de la situation du Congo-Kinshasa que de ne pas signaler que Joseph Kabila ne possède pas des châteaux en Occident.
10. L’histoire de l’élection présidentielle de 2006 et du fonctionnement des institutions congolaises après celle-ci telle que rendue par J.A. est totalement tronquée. À parcourir la version reprise par J.A., on remonte facilement à la « gorge profonde » qui a généreusement inspiré les auteurs. La légende d’infamie servie aux lecteurs de J.A. est le fruit de l’ego surdimensionné d’un ancien cacique tombé en disgrâce et qui, depuis lors, consacre son temps à se venger. […]
On retrouve les thèmes de prédilection des multiples prestations mondaines de « gorge profonde », la source de J.A. depuis le second semestre 2007 : attaques systématiques contre quiconque tourne autour du chef, particulièrement les Katangais accusés de lui faire ombrage, acharnement sur des personnalités restées fidèles à JKK comme le speaker de l’Assemblée nationale Boshab, le député Augustin Katumba Mwanke ou le chef d’état-major général des FARDC, Didier Etumba. […]
11. Selon Marianne Meunier (« Chronique d’un isolement avancé ») un « contrat tacite » (sic !) aurait été passé entre le numéro un congolais et « les Occidentaux ». Les entorses à cet engagement de la part du président congolais auraient « provoqué le retrait du tapis rouge ». Au terme de cet accord, « les bailleurs de fonds occidentaux financent le processus électoral (370 millions d’euros). En échange, l’élu doit veiller à la bonne gouvernance économique et à la démocratie ». Un vrai roman à l’eau de rose. Mais voici qu’en dépit du certificat de bonne gouvernance économique que fut l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative PPTE, de la bonne tenue générale des paramètres macroéconomiques et de la consolidation des libertés démocratiques nonobstant les dysfonctionnements plus anecdotiques que structurels montés en épingle par une opposition en mal de visibilité, Marianne Meunier découvre un nouveau péché cardinal de Joseph Kabila : la révision des contrats miniers « le plus souvent en défaveur des compagnies occidentales ». Elle ne dit pas comment la bonne gouvernance et la transparence peuvent faire l’économie d’une revisitation corrective des contrats léonins qui pullulent dans les placards du gouvernement. Plus loin, on entre de plain-pied dans l’autre péché du numéro un congolais : « La signature des contrats chinois en septembre 2007. Dans la foulée, la rupture de l’accord entre l’État congolais et le groupe minier canadien First Quantum crispe Ottawa ». La messe est dite : on sort carrément des principes pour plonger dans la défense des spoliateurs qui financent « gorge profonde ». Mais ce n’est pas tout. Joseph Kabila serait également coupable d’être « bercé par les refrains du panafricanisme. Il n’a pas de tropisme occidental. Thomas Sankara dont il dit avoir appris “la fierté” est sa référence. Une facette tenue cachée jusqu’en 2006 alors que le pays était sous tutelle, mais qui s’est révélée après l’onction du suffrage universel ». On croit rêver : C’est à devenir une république bananière que J.A., pourtant fervent admirateur, comme la majorité des Congolais, du regretté révolutionnaire burkinabè, nous destine. Dont acte. […]
12. La RD Congo a suffisamment prouvé sa bonne foi en revoyant à la baisse ses projets d’infrastructures dans le cadre des contrats chinois. Le but en était d’intégrer les exigences des partenaires occidentaux. Il ne faut pas en plus exiger d’elle de renoncer à sa souveraineté. Ceux qui attendaient une telle démarche de Joseph Kabila se sont trompés. Le partenariat mutuellement avantageux que le gouvernement souhaite entretenir avec la communauté internationale n’est pas à confondre avec un bradage de nos ressources que les Congolais n’accepteront jamais.
13. « L’isolement avancé » dont parle Marianne Meunier n’est pas le fait du président Joseph Kabila, loin s’en faut. C’est une véritable stratégie déstabilisatrice délibérée contre le président Joseph Kabila qui a cessé d’être ce qu’on aurait voulu qu’il fût et qu’on accuse de tous les péchés pour mieux le noyer. Mais c’est sans compter avec la clairvoyance du peuple congolais, qui, après avoir perdu Patrice Emery Lumumba en 1961 et Mzee Laurent-Désiré Kabila en 2001, n’est plus dupe et sait se prendre en charge.
14. Il n’y a pas si longtemps, François Soudan avait bravement dénoncé le « Congo bashing », ce lynchage médiatique systématique de la RD Congo qui est devenu un lieu commun aussi bien dans une certaine presse que dans les rapports d’ONG et agences internationales bien-pensantes. Dommage qu’il semble avoir été pris en tenaille, entre, d’une part le propriétaire de J.A., le respecté Béchir Ben Yahmed, qui donne l’impression d’avoir pris en grippe Joseph Kabila (du simple fait qu’il ait succédé à son défunt père ?), et d’autre part, les devoirs de l’amitié envers un ancien courtisan congolais éconduit et inconsolable. Pour mémoire, M. Soudan écrivait, entre autres, ceci : « Le problème dans cet exercice de “Congo bashing” (que l’on pourrait traduire par “critique permanente et systématique”) est que tout élément à décharge, ou tout simplement explicatif, de la situation actuelle, est a priori écarté. […] »
Certes, on l’a vu, deux choses ont changé sous le soleil depuis cette réflexion pertinente : « gorge profonde » connu de tous comme un indécrottable complexé adepte du « muzungu anasema » (littéralement : « le blanc a dit… ») et ami de l’auteur a claqué la porte de la majorité présidentielle lumumbiste-kabiliste pour passer dans le camp des partisans de la souveraineté surveillée ; par ailleurs, le propriétaire de J.A. s’est laissé convaincre par les sirènes tonitruantes du Congo bashing que son directeur de la rédaction avait pourtant décriées. Mais cela suffit-il pour que cesse d’exister cette « volonté des Congolais de vivre ensemble [qui] ne s’est jamais démentie en un demi-siècle d’Histoire tourmentée, malgré les guerres civiles et les multiples ingérences extérieures » dont parlait François Soudan et dont Joseph Kabila est à ce jour l’incarnation vivante ?
En fait, le seul parallélisme qui ne fait pas de doute et qui transparaît dans tous ces articles est celui établi entre Joseph Kabila prétendu « petit-fils idéologique de Mobutu » et accusé de considérer « ses voisins comme des sous-préfets », et Patrice Emery Lumumba taxé de « dangereux communiste » en 1960, le tout traduisant une flambée d’adrénaline chez ceux pour qui Kabila aujourd’hui comme Lumumba en 1960 n’est qu’un obstacle à éliminer à tout prix, quitte à trouver n’importe quel prétexte. Cinquante ans après, le peuple congolais, blanchi sous le harnais des épreuves, ne se laissera plus faire.
Lambert Mende Omalanga
Ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement de la RD Congo
Réponse :
Je ne peux que donner raison au ministre Lambert Mende sur un point : là où Mobutu aurait très certainement donné l’ordre d’interdire ce numéro de J.A., Joseph Kabila, lui, ne l’a pas censuré. Même s’il ne s’agit là, après tout, que de la mise en application d’une règle élémentaire de la démocratie, cette différence est à porter au crédit du chef de l’État. Ainsi que je l’ai moi-même écrit en comparant les deux hommes : « Un zeste de répression en moins, une rondelle de démocratie en plus. »
Pour le reste, le style a beau changer et les années s’écouler, la rhétorique hélas reste la même. Comme sous Mobutu, le nationalisme offre un paravent commode à la mauvaise gouvernance ; comme sous Mobutu, l’insinuation sur de pseudo-sources masquées sert à élaborer une improbable théorie du complot ; comme sous Mobutu, la critique du bilan d’un homme est assimilée à la critique de tout un pays et de tout un peuple. Malgré son incontestable talent de juriste, M. Mende aura bien du mal à nous convaincre que Kabila = Lumumba, même en version light.
En guise de conclusion, une phrase : « Il est indéniable que nous avons aussi connu de regrettables ratés, notamment en matière de développement, de progrès social et de droits humains […]. Il importe d’en cerner la teneur et les causes. » L’auteur ? Joseph Kabila, lors de son discours du cinquantenaire, en juin 2010. Qu’avons-nous fait, dans cette enquête, si ce n’est suivre cette lucide et présidentielle recommandation ?
François Soudan
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