Le déclic sud-africain

Outre deux expositions consacrées à l’œuvre de David Goldblatt, quatre livres racontent l’histoire tumultueuse d’un pays en pleine mutation.

La Fondation Henri Cartier Bresson organise une exposition sur David Goldblatt. © DR

La Fondation Henri Cartier Bresson organise une exposition sur David Goldblatt. © DR

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 7 février 2011 Lecture : 4 minutes.

David Goldblatt

C’est un peu le grand-père de la photographie sud-africaine : à 80 ans, David Goldblatt expose simultanément à la Fondation Henri Cartier-Bresson (jusqu’au 17 avril) et à la galerie Marian Goodman (jusqu’au 19 février), à Paris. Intitulée « TJ, 1948-2010 » (« TJ » pour Transvaal, Johannesburg), l’exposition de la Fondation HCB permet de se faire une idée juste de l’œuvre de Goldblatt. Subtil observateur du quotidien, inlassable arpenteur d’une ville modelée depuis sa création, en 1886, par le racisme et la ségrégation, l’artiste porte un regard souvent décalé sur la violence du système politique mis en place à partir de 1948. S’il a lui aussi réalisé cette image, ô combien symbolique, de domestiques noires s’occupant avec amour d’enfants blancs, c’est plutôt dans l’expression géographique, urbaine, voire architecturale du racisme qu’il s’exprime le mieux. Ainsi ses photos d’hommes ou de femmes posant dans leur maison avant d’en être expulsés sous le coup du Group Areas Act montrent toute l’horreur d’une législation à visée totalitaire. Et aujourd’hui ? La réconciliation n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Ou du moins Goldblatt en a-t-il une vision en demi-teinte : la série des ex-offenders présente des repris de justice photographiés sur le lieu de leur délit, après être sortis de prison. Repentance ? Remords ? Pardon ? Les questions restent en suspens…

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David Goldblatt, TJ, 1948-2010, Contrasto, 316 pages, 39 euros.

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Marie-Laure de Decker

Gestes de tendresse de domestiques noires gardant de jeunes enfants blancs : le travail de la globe-trotteuse Marie-Laure de Decker, entamé en 1985 et poursuivi jusqu’en 1994, fait écho à celui d’Ernest Cole. Le constat est identique, et la violence du régime transparaît tout particulièrement dans une image terrifiante de l’extrémiste Eugène Terreblanche, entouré d’une garde prétorienne prête à en découdre avec des mineurs en grève. Pourtant, les images les plus touchantes sont peut-être celles prises lors de l’élection de Miss Soweto : une beauté sans fard contre laquelle la ségrégation ne peut rien. Un peu fourre-tout, accompagné d’un texte très conventionnel et du discours d’investiture de Nelson Mandela, Apartheid ne met pas vraiment en valeur la sensibilité de l’artiste. En revanche, son prix est tout à fait abordable…

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Apartheid, de Marie-Laure de Decker, Democratic Books, 100 pages, 23 euros.

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Ananias Léki Dago

Shebeen Blues est un objet magnifique. Un livre à la maquette épurée et splendide, bilingue, présentant le travail du photographe ivoirien Ananias Léki Dago (40 ans) sur ces bars autrefois illégaux où, en musique, l’on se retrouve pour discuter – notamment de politique. Les images, qui frôlent parfois l’abstraction, nous propulsent au sein de ces creusets où se côtoient et où se métissent les cultures d’Afrique du Sud. Tout comme dans la nouvelle qui accompagne ces images, En roue libre, de l’écrivain engagé (arrêté en 1969, jeté en prison, condamné à l’exil…) Mongane Wally Serote, 66 ans : les destins de trois personnes se croisent, dans le brouhaha du Twist Street Shebeen, où « la voix de Brenda Fassie s’attardait le long des murs, puissante, intense, rythmée ».

Shebeen Blues, d’Ananias Léki Dago et Mongane Wally Serote, Gang, 112 pages, 30 euros.

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Ernest Cole

« Les domestiques ne sont pas interdits d’amour. La femme qui tient l’enfant dit : “J’aime cette petite fille, même si elle finira, en grandissant, par me traiter comme me traite sa mère. Pour le moment, elle est innocente.” » Voilà la légende d’une photo montrant la douce complicité qui lie une domestique noire à une petite fille blanche. Elle a été prise par Ernest Cole à l’heure où son pays ployait sous le joug de l’apartheid.

Né en 1940 dans un township proche de Pretoria, Cole a reçu son premier appareil photo à l’âge de 15 ans. Inspiré par Les Gens de Moscou, du Français Henri Cartier-Bresson, il se montre très actif dans les années 1958-1966. Son travail constitue un témoignage d’une grande humanité sur la vie des Sud-Africains noirs à cette époque. Même quand il s’agit de traduire la violence de la ségrégation, Cole se garde la plupart du temps du pathos et de la caricature – ce qui le rend d’autant plus percutant. Il a d’ailleurs dû quitter son pays en 1966, pour rejoindre New York. Un exil qui fut fatal à sa créativité. Mort en 1990, à 49 ans, Cole est connu pour un seul livre, House of Bondage. Ce nouvel album, publié par la Hasselblad Foundation et Steidl à l’occasion d’une grande exposition des œuvres du photographe dans son pays à la fin de 2010, rend hommage à un artiste engagé et sensible.

The Photographer, d’Ernest Cole, Steidl, 256 pages, 75 dollars.

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Zwelethu Mthethwa

L’apartheid appartient au passé. Ses douloureuses ramifications s’étendent parfois jusqu’au présent, mais ce n’est pas ce qui intéresse Zwelethu Mthethwa, peintre et photographe né à Durban en 1960. Non, ce qui l’intéresse, c’est l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, ses mutations, son ouverture sur le continent africain. Ce livre, la première monographie d’importance consacrée à l’artiste, rassemble plusieurs des séries qui ont fait sa renommée : Interiors (1995-2005), Empty Beds (2002), Sugar Cane (2003), Brick Workers (2008) ou encore Contempory Gladiators (2008). Pour la plupart des portraits cadrés, en couleur, réalisés avec la collaboration des modèles pour leur « rendre leur dignité ». Certains posent chez eux, dans des intérieurs pauvres mais aménagés avec soin, d’autres sur leur lieu de travail : plantation de canne à sucre, briqueterie, décharge… Mais les œuvres les plus émouvantes sont ces photos de lits vides, prises dans des hôtels de passage, à la périphérie de Durban. Des espaces intimes aménagés par des travailleurs venus de la campagne. On y distingue des affaires d’homme (posters sportifs ou pornographiques, cravates…) voisinant avec des draps aux motifs floraux, des coussins roses ou en forme de cœur très féminins, qui trahissent la solitude, mais aussi la recherche appliquée d’une certaine douceur.

Zwelethu Mthethwa, Aperture, 120 pages, 55 dollars.

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