Élections centrafricaines : désordre de bataille
Des résultats provisoires qui donnent François Bozizé victorieux au premier tour, une opposition qui crie au scandale : scénario presque prévisible pour des élections dont l’organisation a été difficile.
Les élections du 23 janvier ressemblent aux minibus qui se traînent sur l’avenue des Martyrs, une grande artère de Bangui. Une ficelle remplace une poignée, une autre maintient le coffre fermé, et le conducteur doit s’y prendre à plusieurs fois pour faire démarrer la carcasse.
De bout en bout, l’organisation des scrutins présidentiel et législatif aura été artisanale. Le jour J, de nombreux électeurs n’ont pas trouvé leur nom sur les listes – manuscrites –, pour certaines affichées le matin même. D’autres ont présenté des morceaux de papier griffonnés au stylo en guise de carte. Le vote, qui devait prendre fin à 16 heures, s’est souvent poursuivi dans la nuit, à la lueur des bougies, pour rattraper une ouverture tardive des bureaux.
Trois jours plus tard, la compilation des 9 000 procès-verbaux à la Commission électorale indépendante (CEI) a débuté dans l’anarchie. Plusieurs observateurs prévoyaient que les opérations s’éterniseraient. Mais l’annonce de résultats provisoires partiels a inopinément commencé le 27 janvier. Placardés devant les bureaux de vote, les procès-verbaux donnaient gagnant le chef de l’État, François Bozizé, dès le premier tour (à l’heure où nous mettions sous presse).
Organiser des élections en Centrafrique est un défi. Plus vaste que la France, le pays est peuplé de seulement 4 millions d’habitants. Depuis 2005, il est éprouvé par des rébellions intermittentes. Ses moyens étant très limités (6 500 hommes, quatre avions et un hélicoptère), l’armée doit s’appuyer sur la Mission de consolidation de la paix (Micopax), forte de 500 militaires et de 250 policiers fournis par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Avec un budget de 320 millions d’euros pour 2011, l’État est démuni.
"Gains égoïstes"
Mais pour l’opposition, le bricolage électoral n’est pas dû à un problème de logistique. Avant même l’annonce des résultats, Martin Ziguélé, Jean-Jacques Demafouth et Émile Gros-Raymond Nakombo – trois des quatre adversaires de François Bozizé, réunis au sein du Collectif des forces du changement (CFC) – ont dénoncé un « hold-up électoral méticuleusement préparé et soigneusement exécuté par le général Bozizé et son parti ». Ils brandissent un document de six pages qui recense les irrégularités préfecture par préfecture, et se disent prêts à déposer un recours en annulation du scrutin devant la Cour constitutionnelle après la proclamation définitive des résultats. Le 27 janvier, leurs représentants démissionnaient de la CEI. Le déroulement du vote ne satisfait pas davantage le cinquième candidat, Ange-Félix Patassé : « Nous nageons dans un brouillard total », confiait-il à J.A. le lendemain du scrutin.
Dans le camp adverse, on fait la sourde oreille. Et l’on explique le triomphe orange – la couleur de campagne de Bozizé – par la popularité du président. « Il a mis en place un mécanisme qui permet de libérer la conscience du peuple », avance Elie Oueifio, le secrétaire général du KNK (Kwa na kwa : « le travail, rien que le travail » en sango), le parti au pouvoir. Et d’ajouter : « Dans l’opposition, ils sont de mauvaise foi et obnubilés par des gains égoïstes. »
Après un accouchement pénible – le scrutin a été reporté deux fois –, ces élections étaient censées mettre fin aux inimitiés politiques et ouvrir une nouvelle ère : celle de relations apaisées, en vue de la paix et de l’intérêt national. C’est du moins ce qu’avaient décidé les candidats d’aujourd’hui en entamant un « dialogue politique inclusif », en décembre 2008, aux côtés de représentants de la société civile et d’anciens rebelles qui avaient déposé les armes. Révision du code électoral, création d’une CEI, fixation d’un calendrier… Malgré quelques anicroches, les participants s’étaient mis d’accord autour de grands principes. Mais cette séance de thérapie collective fait long feu.
Passé douloureux
La présidence de la CEI revient au pasteur Joseph Binguimalé, un fidèle du chef de l’État. Cet ancien mécanicien de chez Renault, jugé « incompétent » par un diplomate africain, prend des décisions unilatérales. Le vote devient manuel (et non informatique), le délai de dépôt des candidatures est écourté. « La CEI était aux ordres de la présidence », estime un diplomate occidental. Pourtant représenté au sein de la commission, notamment par le biais de son vice-président, le CFC menace plusieurs fois de boycotter le scrutin. Des médiateurs sauvent la situation in extremis. Notamment Pierre Buyoya, l’ancien président du Burundi, au nom de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), et Mgr Paulin Pomodimo, médiateur de la République et ancien archevêque de Bangui. « Il y a un passé douloureux entre François Bozizé et chaque adversaire. La rationalité et l’intérêt national ne peuvent guider les comportements », explique Pomodimo.
À l’exception d’Émile Gros-Raymond Nakombo, la bataille électorale oppose les membres d’un clan qui a éclaté. En 2001, pendant quelques semaines, quatre des cinq candidats actuels avaient été associés au pouvoir : Bozizé comme chef d’état-major, Demafouth comme ministre de la Défense et Ziguélé à la Primature. Président deux fois élu (en 1993 et en 1999), Patassé était alors leur doyen et maître. Mais, en mars 2003, le coup d’État de Bozizé redistribue les cartes. Le nouveau président consolide son pouvoir et Martin Ziguélé devient sa bête noire.
Aucun rendez-vous
Aujourd’hui, dans le mouchoir de poche qu’est la capitale, le chef de l’État et ses adversaires se frôlent sans jamais se rencontrer en privé. « Mon dernier tête-à-tête avec Bozizé remonte à 2006, se souvient Ziguélé. Depuis, j’ai sollicité plusieurs audiences, mais elles m’ont été refusées. » Pour Patassé, le dernier rendez-vous avec le chef de l’État remonte à avril 2010. Demafouth n’a pas eu droit à un entretien depuis qu’il est rentré de son exil en France, en 2008.
Dans un tel contexte, le chaos du 23 janvier n’est pas une surprise. « La veille du scrutin, nous étions très inquiets de voir que les listes n’étaient toujours pas affichées », raconte Pierre Buyoya. L’opposition a accepté d’y participer en connaissance de cause. « Si nous l’avions boycotté, nous serions passés pour des opposants radicaux et aurions été hors jeu », se défend Ziguélé. Jugeant cette élection mal organisée, la communauté internationale s’est pourtant impliquée jusqu’au bout. L’Union européenne, qui l’a financée à hauteur de 45 % (soit 7,5 millions d’euros), en est le principal bailleur. Aux côtés de la France, de Saleh Work Zewdé, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies, du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et de l’OIF notamment, elle a fait partie de son « comité de pilotage ».
« Il faut que ces élections aient lieu pour que nous ayons des lendemains meilleurs », prévenait Paulin Pomodimo la veille du vote. Ils pourront l’être, à condition que la déception politique soit entendue. Dans le passé, elle s’est plusieurs fois muée en rébellion.
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