Diamants : De Beers et Alrosa, vrais-faux rivaux
La saga du géant sud-africain prend l’allure d’une fin de règne face à l’expansion du groupe russe. En réalité, il s’agirait plutôt d’une stratégie commerciale imparable. Décryptage.
Mines : Très chers métaux rares
C’est en une phrase, formulée pour la première fois en 1910, que le propriétaire de mines Ernest Oppenheimer propulsera la société De Beers – qu’il achètera seize ans plus tard – vers un quasi-monopole du diamant qui a duré jusqu’aux années 1990 : « Le seul moyen d’augmenter la valeur des diamants est de les rendre rares, c’est-à-dire d’en réduire la production », avait-il déclaré.
Ces propos valaient encore tant que le groupe était en situation de monopole. Mais 2009 a mis en exergue cette fin de règne : le russe Alrosa, qui produit 97 % des diamants de Moscou, a pour la première fois dépassé la production du sud-africain. Face à une forte demande russe, Alrosa (présent principalement en Angola et en Russie) a produit 33,7 millions de carats et augmenté de 50 % ses revenus, à 2,4 milliards d’euros.
Depuis le siège londonien, les mots de la porte-parole Lynette Gould contrastent désormais avec ceux d’Ernest Oppenheimer : « Notre approche n’est plus de maximiser notre part de la production mondiale. De Beers a longtemps été le premier diamantaire, nous produisons et vendons 34 % des diamants bruts du monde. De notre point de vue, ceci représente le niveau optimal que la compagnie peut atteindre. »
"Partenaires naturels"
Le groupe sud-africain n’abandonne pas la partie pour autant. Il entend mettre son énergie dans un passage en Bourse, alors qu’Alrosa rencontre des problèmes de liquidités. La production du géant De Beers devrait à nouveau dépasser celle du russe en 2011. Surtout, la société a opéré un réel revirement de sa politique de production, laquelle a pris une nouvelle ampleur après des années de stagnation. Entre 2009 et 2010, elle est passée de 24,6 millions à 31 millions de carats. De Beers a aussi rendu publique en novembre dernier son intention de miser sur les marchés indien et chinois, sur lesquels elle s’attend à une augmentation de la demande de l’ordre de 20 % par an (contre 4 % sur le marché américain).
En réalité, les deux sociétés, qui contrôlent 75 % du marché (Rio Tinto, BHP Billiton et une douzaine d’autres entreprises se partagent le reste), travaillent main dans la main depuis près d’un demi-siècle. D’ailleurs, en septembre 2006, le président russe d’alors, Vladimir Poutine, couronnait sa visite en Afrique du Sud d’un contrat entre les deux groupes. « Nous sommes des partenaires naturels », avait alors déclaré Nicky Oppenheimer, le petit-fils d’Ernest. À l’époque, des analystes avaient relevé un retard technologique d’exploitation chez De Beers, tout en soulignant que les avancées des Sud-Africains dans le domaine de l’exploration intéressaient les Russes. Chez De Beers, on reste silencieux sur l’avenir du partenariat avec Alrosa.
"Une vraie concurrence"
Tout porte à croire, donc, que le groupe n’est pas vraiment inquiet de l’essor de son concurrent russe. D’autant que, en acceptant de lâcher progressivement son monopole mondial écrasant, le groupe a pu mettre fin à un conflit antitrust avec les États-Unis, tout en gagnant l’accès au marché américain de la bijouterie à la suite d’une union avec le groupe de luxe français LVMH.
De Beers a également joué le jeu, en 2006, face à la Commission européenne, qui s’opposait à un accord d’exclusivité d’achat entre les deux géants. À l’époque, la commissaire chargée de la concurrence, Neelie Kroes, s’était réjouie d’avoir cassé le cartel De Beers-Alrosa. « Pour la première fois dans l’histoire du marché du diamant, il y a une opportunité pour une vraie concurrence », avait-elle déclaré.
L’apparente rivalité a semble-t-il eu l’effet escompté. Car le sud-africain n’a jamais réellement abandonné la devise monopolistique d’Ernest. Il l’a simplement adaptée à l’arrivée de la concurrence.
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