Banquiers contre diplomates

Les missions auprès de l’ONU privées de comptes bancaires. Au nom de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent !

Les interventions de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, n’ont rien changé. © AFP

Les interventions de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, n’ont rien changé. © AFP

Publié le 28 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

La lettre envoyée par JPMorgan Chase à quelque 150 ambassadeurs auprès des Nations unies a suscité des réactions consternées dans la communauté diplomatique new-yorkaise. D’un ton lapidaire, la banque américaine informe ses clients que les comptes de leurs missions diplomatiques seront clôturés au 31 mars et les invite à « ouvrir un compte dans un autre établissement et à commencer à l’utiliser le plus rapidement possible ». JPMorgan Chase ne fournit aucune explication. « La façon dont vous avez géré vos comptes n’est pas en cause », précise seulement la lettre. « Nous avons été mis devant le fait accompli, s’insurge Thomas Adoumassé, le représentant permanent adjoint du Bénin aux Nations unies. Cela risque de nous poser de sérieux problèmes de fonctionnement pour honorer nos engagements et payer notre personnel. »

D’autres banques pourraient suivre le mouvement. L’affaire a été jugée suffisamment sérieuse pour figurer à l’agenda d’une réunion du groupe africain à l’ONU. Également concernés, des pays comme la France, la Chine ou la Russie ne devraient avoir aucun mal à retrouver un établissement bancaire à New York, mais il en va différemment pour les « petites » missions, notamment africaines, dont les ressources financières sont limitées. Déjà, un certain nombre d’entre elles avouent avoir du mal à trouver une nouvelle banque. « Nous avons fait une demande auprès de la Citibank et de HSBC, et nous attendons la réponse. Si les banques refusent de nous ouvrir un compte, qu’allons-nous faire ? » poursuit Adoumassé.

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Aucune explication

JPMorgan Chase s’obstine à ne fournir aucune explication, mais les diplomates onusiens pointent du doigt la législation américaine, de plus en plus sévère en matière de terrorisme et de blanchiment d’argent. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les banques sont tenues de surveiller de près toutes les transactions avec l’étranger et de signaler aux autorités fédérales tout mouvement suspect. Pour l’heure, seules les transactions d’un montant supérieur à 10 000 dollars (environ 7 500 euros) sont concernées, mais le Trésor américain souhaite étendre rapidement cette obligation à tout transfert d’argent, quel qu’en soit le montant.

Éplucher les nombreux mouvements d’argent sur les comptes des représentations diplomatiques étant fort coûteux, nombre d’établissements préfèrent déclarer forfait. En novembre 2010, Bank of America a fermé cinq comptes appartenant à l’ambassade angolaise à Washington, et plusieurs autres banques ont prévenu les autorités de leur intention d’arrêter de servir les représentations diplomatiques, selon le Washington Post.

Pour les banques, le risque est réel. En 2004, la banque Riggs a été contrainte de payer une amende de 25 millions de dollars pour avoir omis de signaler des mouvements suspects sur des comptes appartenant aux ambassades d’Arabie saoudite et de Guinée équatoriale. De plus en plus souvent, les diplomates en poste aux États-Unis doivent se soumettre au regard inquisiteur de leur banquier. « Si je reçois un virement important, j’ai droit à un coup de fil de la banque, témoigne Atoki Ileka, l’ambassadeur de la RD Congo, dont le compte est à la Citibank. Je comprends leurs craintes, mais nous ne devrions pas avoir à nous justifier auprès de banques dont, après tout, nous sommes les clients. Cela pose le problème du respect du statut diplomatique des missions aux États-Unis », explique-t-il.

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En vertu d’un accord datant de 1947, les États-Unis, pays hôte, doivent s’assurer que les missions étrangères auprès des Nations unies ont accès à tous les « services publics nécessaires » à leur fonctionnement. Un groupe d’ambassadeurs s’est donc tourné vers Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, pour lui demander d’inter­venir auprès du département d’État. « Nous sommes conscients de la situation, mais c’est un problème qui doit être résolu entre les banques et les pays concernés, par l’intermédiaire du pays hôte », se contente de répondre Martin ­Nesirky, le porte-parole de l’ONU.

Affaire privée

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Des voix commencent à s’élever pour demander la suppression de l’espace dévolu à JPMorgan Chase dans les nouveaux locaux de l’ONU, actuellement en cours de construction. Nombre de missions diplomatiques avaient en effet choisi cette banque parce qu’elle présentait l’avantage de disposer d’une branche commerciale dans l’enceinte même du Palais de verre.

Soucieuses d’apaiser cet accès de mauvaise humeur, les autorités américaines ont, le 13 janvier, dépêché sur place deux représentants, l’un venant du département d’État, l’autre du Trésor. Sans grand succès. « Les Américains nous ont dit qu’il s’agissait d’une affaire privée, qu’ils ne pouvaient pas s’immiscer dans un conflit entre une banque et ses clients », déplore un diplomate mauritanien. Le département d’État indique toutefois que Hillary Clinton tente de convaincre les banques de ne pas fermer la porte aux diplomates. Sans doute pour éviter que ces derniers n’en soient réduits à placer leur argent sous leur matelas !

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