Afrique du Sud : Opération « Boers in Georgia »
Ils n’ont digéré ni la fin de l’apartheid ni la réforme agraire. Ils ne supportent pas l’insécurité. Eux, ce sont les fermiers blancs que la Géorgie est bien décidée à faire venir sur son territoire pour profiter de leur savoir-faire.
« Personne n’a idée de ce qui se passe là-bas : nous sommes constamment menacés. On ne fait plus confiance aux Noirs. » Bennie Van Zyl est sud-africain. Il est fermier. Il est blanc. Contraint de composer avec les subalternes d’antan, il a mal vécu la fin de l’apartheid et la réforme agraire qui a suivi.
Amorcée au milieu des années 1990, elle vise à redistribuer 30 % des terres aux exploitants noirs spoliés par l’ancien système. Elle aurait dû s’achever en 2014 mais, à ce jour, moins de 10 % des terres ont été rétrocédées. Son terme a du coup été repoussé à 2025. Le temps pour le gouvernement de mettre de l’ordre à la Land Bank, l’établissement chargé de financer la réforme mais secoué par un retentissant scandale de détournements de fonds, et de trouver des solutions d’accompagnement pour les nouveaux fermiers, souvent dépassés par l’ampleur de la tâche. Le temps aussi de rassurer les propriétaires blancs, rendus méfiants par le scénario zimbabwéen.
Bennie Van Zyl, producteur de céréales, a décidé de partir ailleurs. Loin de ce gouvernement qu’il qualifie « d’incompétent », et loin des attaques de fermes, si nombreuses, dit-il, « qu’on n’en parle même plus dans les journaux ». C’est sur la Géorgie, petit pays coincé entre la Russie et la Turquie, qu’il a jeté son dévolu. À coup de milliers de dollars, Tbilissi s’assure une promotion cinq étoiles dans toutes les chambres de commerce. Quand elle a entendu dire que des fermiers afrikaners voulaient quitter l’Afrique du Sud, la Géorgie leur a tendu la main, proposant autant de terres arables que le lui permettent ses 69 000 km2.
« Tour-opérateur » agricole
« Les choses se présentent très bien, je pense que nous serons nombreux à nous installer ici », se réjouit Bennie Van Zyl. Membre du Transvaal Agricultural Union (TAU, syndicat de fermiers majoritairement boers), l’agriculteur est en prospection en Géorgie. Il a posé ses valises dans la capitale afin de préparer un « tour-opérateur » agricole pour les membres de son syndicat, ce mois-ci. Une semaine pour parcourir le pays et découvrir tous les avantages que l’État géorgien consent, de la plaque d’immatriculation faite en vingt-quatre heures à l’exonération fiscale pour les cinq années à venir.
Ni Tbilissi ni Bennie Van Zyl ne doutent du succès de l’opération « Boers in Georgia ». Un protocole d’accord a été signé entre le TAU et l’État géorgien, en août 2010, et il suscite beaucoup d’intérêt côté sud-africain. « Environ trois cents fermiers se sont inscrits sur la liste pour le voyage du mois de janvier, explique Juba Maruashvili, manager du projet côté géorgien. Et nous pensons qu’ils seront de plus en plus nombreux à s’intéresser à notre pays lorsqu’on voit le nombre de visites sur notre site internet. » En Géorgie, tout est à faire. L’agriculture y est très peu productive et les fermiers locaux ont peu de moyens. « Avec la position géographique, on peut faire de tout : des pommes, des poires, des pêches, du soja, des pommes de terre, du bétail et, bien sûr, du vin ! » énonce Bennie Van Zyl, enthousiaste.
Violence et chômage
« Ici, la corruption est quasi inexistante, les conditions fiscales sont plus qu’intéressantes et le taux de criminalité a chuté de 90 % en dix ans », insiste Juba Maruashvili. L’argument de la sécurité fait mouche chez les fermiers blancs. « À 5 miles de chez moi, une ferme a été visitée par des brigands. Il n’y avait que deux femmes dans la maison : ils les ont violées, torturées et tuées, témoigne Bennie Van Zyl. Ne vous fiez pas aux statistiques du gouvernement, la violence ne cesse d’augmenter, surtout dans les zones isolées. »
Oubliée la trêve du Mondial qui montrait une « nation Arc-en-Ciel » dans l’allégresse. La réalité reprend ses droits, dans ce pays où 25 % de la population est officiellement au chômage.
En attendant, les fermiers blancs se cherchent des issues de secours. Si certains sont partis très loin – dans l’outback australien, au Canada ou aux États-Unis –, d’autres ont choisi de rester sur le continent africain. Depuis avril 2010, les fermiers du syndicat Agri SA – un autre syndicat agricole sud-africain – ont la possibilité d’exploiter 200 000 ha au Congo-Brazzaville, où moins de 5 % des terres cultivables sont exploitées. Les autorités congolaises promettent des terres et de la sécurité en échange du savoir-faire sud-africain. Après le Mozambique et l’Égypte, le Gabon, le Cameroun et le Soudan seraient, eux aussi, prêts à accueillir les exploitants à bras ouverts.
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