Côte d’Ivoire : comment le « président » Gbagbo tient son clan
Autour de Laurent Gbagbo, un cercle restreint de fidèles. Avec Simone en clé de voûte du système. Et gare à ceux qui suggèrent à son mari de quitter le pouvoir.
« Avant, c’était le temps de l’ouverture. Maintenant, c’est le temps des durs ! » Ce proche conseiller de Laurent Gbagbo, qui préfère garder l’anonymat, a le sens de la formule. À la faveur de la crise postélectorale qui met leur avenir en péril, les faucons sont de retour. Emmenée par Simone Ehivet Gbagbo, la vielle garde, fidèle et loyale, a déjà fait ses preuves dans les moments difficiles, de l’élection mouvementée d’octobre 2000 à l’après-rébellion de septembre 2002. Aujourd’hui encore, elle s’applique à assurer la survie d’un régime chahuté sur le plan intérieur et mis au ban des nations.
Au cœur du dispositif, Simone a retrouvé le périmètre d’action qui était le sien avant l’arrivée de la coépouse nordiste, Nady Bamba. Les bons résultats qu’elle a obtenus à l’issue du premier tour de la présidentielle, dans le quartier abidjanais d’Abobo, fief traditionnel de l’opposition, ont contribué à son retour en grâce.
Travailleuse et combative, elle ne craint pas la tempête. Le gouvernement de Gilbert Aké N’Gbo, présenté comme un proche, porte sa marque. Elle a retrouvé l’oreille de son époux et siège à ses côtés lors des dîners à la résidence de Cocody ou au palais présidentiel du Plateau. Elle préside surtout une cellule de crise, appelée aussi « conseil de guerre », composée d’une vingtaine de caciques du régime. On y retrouve, chaque soir, les fidèles Alcide Djédjé (ministre des Affaires étrangères), Ahoua Don Mello (nommé à l’Équipement), Émile Guiriéoulou (à l’Intérieur), Alain Dogou (à la Défense) et Charles Blé Goudé (à la Jeunesse). Participent aussi à ces réunions Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), l’influent Paul-Antoine Bohoun Bouabré (ex-grand argentier), le pasteur Moïse Koré et Kadet Bertin, le tout-puissant conseiller à la sécurité de Laurent Gbagbo.
Simon Gbagbo lors d’un meeting en faveur de son époux, le 15 janvier à Treichville.
© Rebecca Blackwell/AP/Sipa
Le seul vrai chef
C’est ici que s’élabore la stratégie du clan Gbagbo. On y planifie aussi bien la mobilisation populaire à Abidjan que les manifestations de rue en Europe. On y a récusé Raila Odinga, le médiateur de l’Union africaine. On y a décidé les attaques dans les médias fidèles au régime (sur les ondes de la Radio Télévision ivoirienne, dans les colonnes de la presse partisane ou dans celles de Fraternité Matin) et le remplacement des officiers à la tête des unités d’intervention. C’est ici aussi que l’on a choisi d’expulser les ambassadeurs du Canada et de Grande-Bretagne en poste à Abidjan et mis sur pied un collectif d’avocats, piloté par l’ancien bâtonnier Claude Mentenon, pour apporter les preuves d’une fraude massive lors du second tour de la présidentielle dans le nord du pays. Mais rien ne se fait sans l’approbation finale de Laurent Gbagbo.
« Gbagbo a mis en place un système très intelligent, analyse un de ses conseillers. Quand une stratégie échoue, personne n’ose le lui reprocher. On préfère s’accuser mutuellement. Le poids de l’échec de l’accord de Ouagadougou est porté par Désiré Tagro, l’actuel secrétaire général de la présidence, qui l’a négocié. Les mauvais scores du premier tour ont été mis sur le dos de Nady Bamba, qui a orchestré la communication. Ainsi, c’est Gbagbo qui tient son entourage. »
De quoi balayer la thèse – largement répandue – d’un leader pris en otage par son clan. Laurent Gbagbo reste le seul et vrai chef. Tel un entraîneur de football, il procède à une rotation de ses effectifs en fonction des circonstances. Certains fidèles, comme son porte-parole, Gervais Coulibaly, ou l’ex-directeur de cabinet adjoint, Issa Malick Coulibaly, ont perdu de leur influence. Mais dans le jeu de Gbagbo, chacun a un rôle à tenir, et rien ne dit que ceux qui sont tombés en disgrâce ne retrouveront pas une place plus conforme à leurs ambitions.
Pour des raisons de sécurité, le président sortant ne se rend plus à Yamoussoukro, où il aimait retrouver Nady et leur fils. Interdite de séjour à la résidence présidentielle d’Abidjan, c’est à son domicile du quartier des Deux-Plateaux, ou même au QG de campagne de la Riviera, que celle-ci rencontre son mari. Elle se rend parfois au palais présidentiel, mais à condition que Simone Gbagbo n’ait pas programmé d’y venir. Car Nady n’a pas bonne presse auprès des durs du régime, et pour cause : c’est l’une des rares à avoir envisagé d’abandonner le pouvoir et à avoir essayé d’en convaincre son mari. « Elle s’en tire bien, relativise un diplomate en poste à Abidjan. La plupart de ceux qui ont conseillé au président de partir n’ont plus accès au palais. » Autrefois proche de Guillaume Soro et de ses conseillers, Nady reste un relais incontournable pour passer des messages au camp adverse.
Autre pilier du dispositif Gbagbo : Alcide Djédjé. Il est l’interlocuteur privilégié des diplomates. Il négocie régulièrement avec les émissaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et continue à rencontrer le patron de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), le Coréen Young-jin Choi.
Survie financière du régime
Sur les questions financières, Gbagbo fait encore confiance à l’ex-gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar, Philippe-Henri Dacoury-Tabley. Officiellement, c’est Alassane Ouattara, dont la victoire a été reconnue par la communauté internationale, qui a récupéré la signature. Seuls ses représentants peuvent avoir accès aux comptes ivoiriens à la BCEAO. Mais à Abidjan, Gbagbo a positionné des hommes autour de la branche locale de la banque centrale, dont il a réquisitionné les fonctionnaires, et continuait d’y effectuer des retraits jusqu’à une période récente. Pour organiser sa survie financière (et être capable de payer militaires et fonctionnaires), il échange régulièrement avec Désiré Dallo, son ministre de l’Économie et des Finances, avec Feh Kessé, le directeur des impôts, et avec Marcel Gossio, le directeur général du Port autonome d’Abidjan. Il entretient aussi des relations personnelles avec certains banquiers de la place, particulièrement ceux des établissements publics (la Banque nationale d’investissement, Versus Bank, la Banque pour le financement de l’agriculture).
Laurent Gbagbo a soin aussi de rencontrer régulièrement les chefs de l’armée. Il consulte le général de la garde républicaine, Bruno Dogbo Blé, et le commandant de la marine, Vagba Faussignaux. Il s’entretient avec le général Guiai Bi Poin, patron du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), et avec son chef des opérations, Joachim Robé Gogo. Sans oublier le chef d’état-major des armées, Philippe Mangou, et le commandant supérieur de la gendarmerie, le général Kassaraté.
Enfin, le président sortant suit de très près la guerre de l’information à laquelle se livrent les deux camps. Une guerre de la communication où tous les coups sont permis. C’est Lia Bi Douayoua, ancien ministre des Nouvelles Technologies de l’information et de la Communication, qui coordonne les actions (information, désinformation, propagande…), en coordination avec Silvère Nebout, conseiller spécial chargé de la communication et des médias à la présidence de la République.
Mais les slogans, c’est souvent Gbagbo qui les trouve. « Je me suis trompé sur le compte de Sarkozy, c’est petit Chirac. C’est un voyou », expliquait-il récemment à ses collaborateurs. Une formule que tous ont reprise en chœur les jours suivants. Simone Gbagbo n’est pas en reste mais donne surtout dans le registre religieux. Pour elle, le président français est le « diable ». Rayonnante dans le combat, elle cherche à communiquer son optimisme, lié à une foi profonde. Elle n’en doute pas : Laurent est le Moïse de la Côte d’Ivoire et il conduira son peuple à la Terre promise. À moins que ce ne soit en enfer.
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