Élection présidentielle nigérienne : trois favoris, un outsider

Même parcours initiatique, même ténacité… Depuis vingt ans, quatre grands acteurs dominent la scène politique nigérienne. Trois d’entre eux –  Mahamadou Issoufou, Hama Amadou et Mahamane Ousmane – tiendront l’affiche au premier tour de l’élection présidentielle qui a lieu ce 31 janvier. Cette année, seul manquera l’ancien chef de l’État, Mamadou Tandja.

Campagne d’affichage en faveur du candidat Mahamadou Issoufou. © APA

Campagne d’affichage en faveur du candidat Mahamadou Issoufou. © APA

Christophe Boisbouvier

Publié le 31 janvier 2011 Lecture : 7 minutes.

Pas besoin de sondages au Niger. Grâce aux élections municipales du 11 janvier, on sait déjà qui est en pole position. Les quatre prétendants les plus sérieux à la fonction suprême : Mahamadou Issoufou, Seini Oumarou, Hama Amadou et Mahamane Ousmane. À eux quatre, leurs partis ont raflé 80 % des suffrages exprimés. Autant dire qu’au premier tour de l’élection présidentielle les six autres candidats – dont une femme – risquent de ne pas peser lourd.

Les quatre favoris font-ils jeu égal ? Non. Le 11 janvier, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) de l’éternel opposant Mahamadou Issoufou a fait une percée. Il a réuni quelque 900 000 voix sur les 266 communes où le vote a eu lieu. Avec 620 000 voix, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD) de l’ex-président Tandja – aujourd’hui récupéré par Seini Oumarou – a sauvé les meubles. Le tout nouveau Mouvement démocratique nigérien (Moden Lumana) de l’ex-Premier ministre, Hama Amadou, a créé la surprise : environ 590 000 voix. Quant à la Convention démocratique et sociale (CDS) de l’ancien président Mahamane Ousmane, elle a fait un score décevant, avec quelque 350 000 voix.

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Mais un coup de théâtre est venu bouleverser cette hiérarchie, au détriment de Mahamadou Issoufou. Le 25 janvier, ses trois rivaux directs ont signé une « alliance pour la réconciliation nationale (ARN) », à laquelle sont également partie trois autres candidats : les ex-Premiers ministres Cheiffou Amadou (Rassemblement social démocrate, RSD) et Amadou Boubacar Cissé (Union pour la démocratie et le république, UDR), ainsi qu’Ousmane Issoufou Oubandawaki (Rassemblement des patriotes nigériens, RPN). Les signataires s’engagent à « assurer l’élection » au second tour, le 12 mars, de celui d’entre eux qui aura fait le meilleur score au premier.

Seini Oumarou, le « petit nouveau »

Issoufou, Tandja, Hama, Ousmane… Depuis vingt ans, la scène politique nigérienne est dominée par les quatre mêmes acteurs. Même parcours initiatique – la Conférence nationale de 1991. Même ténacité – les coups d’État se succèdent, mais ils sont toujours là ! Cette année, un seul manque à l’appel. Mamadou Tandja, renversé le 18 février 2010, est en prison. Seini le remplace. C’est le « petit nouveau ». Il a 61 ans, comme Hama et Ousmane. Issoufou est à peine plus jeune, 59 ans. Même âge, mêmes repères… 2011, ou le choc de quatre ambitions.

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Seini Oumarou, "Le Rassembleur"

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Va-t-on vers un remake des présidentielles de 1999 et 2004 ? Non. À l’époque, Tandja et Hama formaient un ticket gagnant. La présidence pour le premier, la primature pour le second. Leur parti, le MNSD, était une formidable machine à gagner. Mamadou Tandja, le Kanouri très lié aux commerçants haoussas, faisait de bons scores dans l’Est (Maradi, Zinder, Tahoua), où il mordait sur l’électorat traditionnel de Mahamane Ousmane. Hama Amadou, le Peul de culture djerma, engrangeait les voix de l’Ouest (Dosso, Tillabéry). Bref, l’ancien parti-État du général Kountché continuait de ratisser large.

Mais depuis la rupture entre Tandja et Hama, en 2007, rien ne va plus. Les militants du MNSD sont divisés. À deux reprises, ils se sont affrontés : en 2008, quand Hama a été faussement accusé de détournement de fonds et jeté en prison. Puis en 2009, quand Tandja a tenté maladroitement de s’accrocher au pouvoir – le fameux tazartché (« continuité »), le bonus de trois ans qu’il a tenté de s’octroyer. Logiquement, après le putsch anti-Tandja de 2010, le parti a explosé. Au terme d’une bataille judiciaire, les fidèles de Tandja ont réussi à conserver le label MNSD et ont confié les rênes de leur parti à Seini Oumarou, l’avant-dernier chef du gouvernement du président déchu. Hama Amadou, lui, a créé le Moden Lumana. Résultat : le 11 janvier, le MNSD a perdu la moitié de ses voix. À Tillabéry, dans l’Ouest, le parti de Seini – pourtant natif de la région – est arrivé loin derrière ceux de Hama et d’Issoufou. Confidence d’un partisan de Mahamadou Issoufou : « L’hégémonie du MNSD, c’est fini. Hama est parti avec tout l’Ouest. Pour nous, c’est une chance historique à saisir… »

Cure d’opposition

Du coup, au PNDS, les militants commencent à croire au Grand Soir pour Issoufou. Deux fois, en 1999 et en 2004, celui-ci a mis Tandja en ballottage. Deux fois, il a perdu. « Cette fois, c’est la bonne, glisse un cadre du parti. Si on arrive en tête au premier tour avec plus de 35 % des voix, on sera difficile à battre au second tour. » Les atouts de Mahamadou Issoufou ? D’abord une longue cure d’opposition. Né près de Tahoua, en pays haoussa, cet ancien ingénieur des mines n’a été Premier ministre que pendant onze mois, de 1993 à 1994. Après un bref passage à la présidence de l’Assemblée nationale, de 1995 à 1996, il est donc devenu « l’opposant de gauche ».

Ses adversaires disent de lui qu’il est « fougueux et bagarreur ». Fougueux ? De fait, le 30 octobre 2009, Issoufou n’a pas manqué d’audace. Tandja venait de lancer contre lui un mandat d’arrêt. Il est aussitôt rentré du Nigeria pour se livrer à la justice. Devant la foule massée à l’aéroport, Tandja a renoncé à le faire arrêter. Bagarreur ? Vingt ans après la Conférence nationale, l’enfant terrible de la démocratie nigérienne s’est beaucoup assagi. Aujourd’hui, il laboure le terrain et cultive ses réseaux. Ceux de l’Internationale socialiste (IS), dont il est un membre actif. Et ceux de ses amis chefs d’État. Issoufou a ses entrées chez le Libyen Mouammar Kadhafi, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Nigérian Goodluck Jonathan et, bien sûr, chez le Guinéen Alpha Condé, son vieux copain de l’IS. Il y a quatre mois, il a aussi fait une visite discrète chez le Tchadien Idriss Déby Itno.

Hama Amadou a créé le Moden Lumana.

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Mahamadou Issoufou imbattable, malgré l’alliance in extremis de ses rivaux ? Ses adversaires n’y croient pas. À commencer par Hama Amadou. Après sa performance aux municipales du 11 janvier, l’ancien Premier ministre sent qu’il a le vent en poupe. Un de ses conseillers lance : « Il y a un an, notre parti n’existait pas. Aujourd’hui, il fait jeu égal avec le MNSD. C’est la preuve que notre candidat est populaire et a du charisme. » Longtemps, l’ex-directeur de cabinet du président Seyni Kountché a été considéré comme un techno­crate brillant, mais un peu terne et indolent. Après ses dix mois de prison à Koutoukalé, dans une cellule surchauffée, sans ventilateur, sans même une table où manger, l’homme s’est endurci. L’épreuve lui a donné cette volonté sans laquelle on ne gagne pas. Comme Issoufou, Hama a ses réseaux en Afrique de l’Ouest, notamment au Nigeria et au Burkina Faso. On le dit proche de Blaise Compaoré, l’un des plus fins connaisseurs de la politique nigérienne…

Autre challengeur redoutable, Seini Oumarou, le fidèle de Tandja. L’ancien cadre de la Société nigérienne d’électricité (Nigélec) n’a ni l’expérience ni la notoriété de ses principaux adversaires. Mais il a dirigé le gouvernement pendant plus de deux ans, de 2007 à 2009. Et il joue sur l’image d’un modéré, un rassembleur. Son atout : le très fort maillage du MNSD dans tout le pays. Son handicap : Tandja. Pour beaucoup de Nigériens, Seini n’est que le faux nez de l’ancien chef de l’État, l’homme qui a trahi son serment pour essayer de s’éterniser au pouvoir. S’il veut gagner, Seini devra s’en démarquer. Autre handicap : l’argent. Lors de la lutte contre le tazartché, Issoufou, Hama et Ousmane se sont fait beaucoup d’amis au Nigeria. Aujourd’hui, ils déploient des moyens de campagne en conséquence. Seini, lui, est isolé sur la scène régionale. Ses moyens s’en ressentent.

En réalité, des quatre favoris, Mahamane Ousmane est aujourd’hui le moins bien placé. Pourquoi recule-t-il dans les bastions haoussas de Zinder et Maradi ? « Depuis six ans, il ne fait plus de terrain, maugrée un cadre de son parti, la CDS. À l’époque du tazartché, il s’est caché pendant neuf mois à Abuja, au Nigeria. Officiellement, il y était pour présider le Parlement de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR], mais ce n’était qu’un prétexte. Il n’est plus vraiment motivé. » Il y a deux mois, plusieurs dirigeants du parti ont tenté un putsch interne pour investir un autre candidat CDS à la présidentielle. En vain. Commentaire désabusé de notre cadre : « Si Ousmane passe au second tour, ce sera un miracle. »

Les anti-tazartché

Issoufou, Hama ou Seini ? Tout semble se jouer désormais entre ces trois hommes. Avec Ousmane en outsider et une quasi-certitude : comme personne ne semble en mesure de gagner dès le premier tour, il y aura un second tour, programmé le 12 mars. Dans les états-majors politiques à Niamey, on s’y est préparé. En juillet dernier, les anti-tazartché – Issoufou, Hama, Ousmane et douze autres chefs de parti – ont signé un pacte. Ils se sont engagés « à ne conclure aucun accord électoral avec des formations politiques non signataires » de ce pacte – qui a volé en éclat le 25 janvier, puisque Seini est signataire de l’ARN. Si ce dernier parvient à se hisser au second tour, il risque donc de ne pas se retrouver isolé.

Campagne d’affichage en faveur du candidat Mahamane Ousmane.

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Reste une inconnue. Pour qui penche la junte au pouvoir ? Au bureau de vote numéro un de Niamey, basé à l’hôtel de ville, là où beaucoup de dignitaires du régime ont glissé un bulletin dans l’urne, les partis anti-tazartché ont recueilli 90 % des voix le 11 janvier. « Normal, analyse un cadre du Moden Lumana. Si Seini est élu, les chefs de la junte risquent leur peau. » En clair, pour Seini Oumarou, la route de la présidence est semée d’embûches. Le général Salou Djibo n’est pas un grand bavard. C’est d’ailleurs l’un des secrets de la réussite de son putsch anti-Tandja. Bien malin qui peut dire pour qui il votera. En revanche, on sait déjà pour qui il ne votera pas.

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