Jane Karuku : « Seul le secteur privé pourra faire décoller la productivité agricole »
Depuis 2006, cette organisation indépendante basée à Nairobi affiche un double objectif : offrir un meilleur niveau de vie aux petits agriculteurs et assurer la sécurité alimentaire du continent.
Agriculture : Sécurité alimentaire, le grand doute
Voici un an que l’ex-directrice générale adjointe de Telkom Kenya a été nommée présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), fondée il y a sept ans grâce aux financements de la Fondation Rockefeller et de la Fondation Bill & Melinda Gates. Cette Kényane a auparavant occupé divers postes liés au secteur agricole, notamment chez Farmers Choice et Cadbury, dont elle dirigeait les activités dans quatorze pays d’Afrique orientale et d’Afrique centrale. Pour Jeune Afrique, elle revient sur la mission que s’est assignée l’Agra.
Propos recueillis par Fanny Rey
Jeune Afrique : Quel est votre diagnostic sur la sécurité alimentaire cinq ans après les émeutes de la faim qui ont secoué le continent ?
Jane Karuku : La situation a incontestablement évolué. Le plus important, d’après moi, c’est que ce thème a fait son chemin en Afrique. Les gouvernements se sont emparés du sujet et ont investi dans le secteur. Certes, ce n’est pas encore suffisant, mais c’est une évolution très positive.
Quels sont les pays qui font figure de bons élèves ?
Certains gouvernements ont mis en place des institutions ciblant spécifiquement les questions agricoles. C’est notamment le cas de l’Éthiopie, du Burkina – qui est très en pointe dans ce secteur -, du Malawi, de la Tanzanie, du Nigeria et du Ghana. Mais la question centrale, c’est le financement. En dix ans, nous sommes passés de 13 milliards à environ 300 milliards de dollars [232 milliards d’euros] investis sur le continent, ce qui représente un bond phénoménal. Même le Mali, malgré la crise qu’il traverse, fait preuve de volontarisme pour attirer des investisseurs et développer son potentiel agricole.
De là à dire que les plans nationaux ont porté leurs fruits…
Il y a eu un élan avec des initiatives comme Grow Africa [une initiative conjointe des ministres de l’Agriculture de sept pays pour permettre aux petits exploitants agricoles de devenir des agriculteurs commerciaux], en plus de la mise en place de plans nationaux. En 2003, à Maputo, au Mozambique, les États de l’Union africaine se sont engagés à consacrer 10 % de leur PIB à l’agriculture, et cinq d’entre eux ont atteint ce seuil.
Les greniers de l’Afrique
Établie à Nairobi, au kenya, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) mène ses activités dans seize pays, mais se concentre plus particulièrement sur le Ghana, le Mali, le Mozambique, la Tanzanie et l’Éthiopie, considérés comme les greniers potentiels de l’Afrique et susceptibles de pratiquer une agriculture plus intensive. D’ici à 2020, elle ambitionne de permettre à 20 millions de petits agriculteurs de doubler leurs revenus et de réduire l’insécurité alimentaire de moitié dans vingt pays. F.R.
Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée l’agriculture en Afrique ?
Les principaux défis sont l’accès aux marchés, qui garantit un revenu aux petits agriculteurs, l’adoption des nouvelles technologies, l’adaptation des équipements au stockage et un meilleur accès aux engrais, qui sont très chers. Et bien sûr la question du financement, même si certains pays ont mis en place des systèmes de partage des risques, comme le Kenya et le Nigeria.
Comment l’Agra contribue-t-elle à l’amélioration de la situation ?
Nous soutenons une centaine de projets, qui vont du développement de variétés de semences de meilleure qualité, notamment pour le maïs et le manioc, à l’amélioration de la fertilité du sol grâce à une gestion intégrée du sol et de l’eau, en passant par la modernisation des systèmes d’information sur les marchés et de stockage, ou la facilitation de l’accès au crédit pour les agriculteurs et les petits fournisseurs d’intrants.
Pour l’approvisionnement en semences, l’Agra a mis en place un réseau de détaillants d’intrants agricoles afin de réduire la distance parcourue par les paysans pour s’approvisionner. Nous incitons par ailleurs les agriculteurs à se regrouper afin qu’ils puissent négocier les prix et écouler leur production sur les marchés. Reste à augmenter la valeur des subventions que nous accordons – en moyenne 80 millions de dollars par an – et à développer nos partenariats pour pouvoir mener à bien nos objectifs.
Que proposez-vous en matière de formation ?
L’un de nos objectifs est de former des agronomes et de stimuler la recherche sur les semences. Dans le cadre du Programme des systèmes semenciers pour l’Afrique (Pass), nous avons noué des partenariats avec des universités dans plusieurs pays, qui ont débouché sur la mise en place de dix masters et de deux doctorats en recherche agronomique. Nous avons également fourni un soutien financier à l’Institut d’économie rurale, au Mali. Jusqu’à présent, nous avons contribué à la formation d’environ 800 étudiants, de l’enseignement technique jusqu’au doctorat.
Vous facilitez également l’accès au crédit des petits agriculteurs…
L’Agra a mis en place des dispositifs de partage des risques afin de mettre à la disposition des petits exploitants agricoles et des PME agroalimentaires des prêts à taux privilégiés. Nous nous sommes ainsi associés au Fonds international de développement agricole (Fida) pour injecter 5 millions de dollars dans un fonds de garantie dans la banque kényane Equity Bank, ce qui lui a permis de lever 50 millions de dollars qui ont bénéficié à quelque 50 000 agriculteurs sous forme de prêts directs. Le Programme pour le développement rural de diffusion des innovations et techniques financières (Profit), signé en mai 2012, va permettre d’aller plus loin : l’objectif est de lever 100 millions de dollars d’ici à 2018.
Les partenariats public-privé sont-ils la clé du succès ?
Quelle que soit leur taille, ce sont les acteurs du secteur privé qui sont à même de donner aux petits agriculteurs la perspective d’accéder aux marchés pour écouler leurs produits. Eux seuls pourront faire décoller la productivité, du fait de leur expertise comme de leur avance technologique.
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