Dossier agriculture : cinq ans après les émeutes de la faim, le doute…

Les déclarations de bonnes intentions consécutives à la crise alimentaire de 2008 n’ont pas été suivies d’effets. La situation en Afrique aurait même plutôt empiré.

Champ de blé au Kenya. Si rien n’est fait pour améliorer la production agricole, le continent ne subviendra qu’à 13% de ses besoins alimentaires en 2050. © Trevor Snapp/Bloomberg/Getty Images

Champ de blé au Kenya. Si rien n’est fait pour améliorer la production agricole, le continent ne subviendra qu’à 13% de ses besoins alimentaires en 2050. © Trevor Snapp/Bloomberg/Getty Images

Publié le 10 juin 2013 Lecture : 6 minutes.

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Agriculture : Sécurité alimentaire, le grand doute

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Égypte, Maroc, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Sénégal, Burkina Faso… C’était en 2008, et personne n’a oublié les « émeutes de la faim » provoquées par une inflation soudaine du prix des denrées de base. À l’époque, la communauté internationale comme les autorités politiques africaines juraient leurs grands dieux que la sécurité alimentaire serait désormais en tête de leurs priorités. En septembre 2009, le G20 de Pittsburgh (États-Unis) promettait 22 milliards de dollars (15 milliards d’euros) via le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Sur le continent, cette préoccupation remontait même à 2002 quand, après des années de déclin des investissements et de faible productivité agricole, la Commission de l’Union africaine avait lancé le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Les États s’engageaient à affecter 10 % de leurs budgets nationaux à l’agriculture, avec l’ambition d’atteindre un taux de croissance agricole de 6 % par an. À ce jour, une trentaine d’États africains ont signé ce pacte, dont, dernièrement, le Gabon.

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De belles paroles… Car les résultats des politiques de sécurité alimentaire en Afrique sont largement décevants. « Il est préoccupant de constater que quatorze pays africains figurent encore aujourd’hui sur la Watch List de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], dont quatre qui ont enregistré des taux de croissance parmi les meilleurs, à savoir le Congo, le Niger, l’Éthiopie et le Mozambique », se désole Gilles Peltier, ex-directeur délégué de l’Agence française de développement (AFD) et, à ce titre, ancien membre du conseil de surveillance de l’African Agriculture Fund.

Sous-alimentation

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Dans l’ensemble, la situation du continent a plutôt empiré. Dans son rapport 2012 sur « l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », la FAO estime à 239 millions le nombre d’Africains sous-alimentés sur la période 2010-2012, soit 19 millions de plus que sur la période 2007-2009. Et la progression ne se fait pas seulement en valeur absolue. La prévalence de la sous-alimentation est passée de 22,6 % à 22,9 %. Si la situation en Afrique du Nord est restée stable (2,7 %) et relativement proche de celle des régions développées (1,4 %), il en va autrement de l’Afrique subsaharienne. Le nombre de personnes sous-alimentées y a sensiblement augmenté, de 216 millions à 234 millions. Pour atteindre en 2015 les Objectifs du millénaire pour le développement, il faudrait que leur nombre sur le continent diminue de moitié par rapport au début des années 1990 – soit sous la barre des 90 millions de personnes. On en est loin…

Est-ce une question de volume d’investissements ? Force est de constater que les engagements n’ont été que très partiellement tenus. Selon le Système régional d’analyse stratégique et de gestion des connaissances (Resakss, organisme de suivi du PDDAA), seuls cinq pays africains consacrent au moins 10 % de leurs dépenses totales au secteur agricole : le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Mali, le Niger et le Sénégal. « À l’exception de l’Éthiopie, aucune des dix plus grandes puissances agricoles en Afrique n’a atteint cet objectif », constatent les chercheurs du Resakss. Et seuls six pays ont dépassé les 6 % de croissance agricole : l’Angola, la Guinée, le Nigeria, l’Éthiopie, le Rwanda et le Mozambique.

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« En 2008, on estimait les besoins d’investissement à 8 milliards de dollars sur cinq ans, explique Gilles Peltier. Et nous sommes péniblement arrivés à 1,5 milliard. Cela ne suffit pas, et l’Afrique n’est pas du tout à l’abri d’une nouvelle crise. » « Il faut être prudent, car l’aspect qualitatif des investissements est au moins aussi important que les volumes, nuance Jean-Luc François, responsable de la division agriculture à l’AFD. Le Burkina Faso ou le Sénégal dépensent beaucoup en subventionnant énormément les engrais, mais est-ce une politique soutenable ? Sans doute pas. À l’inverse, le Kenya, qui investit relativement peu, a une agriculture très dynamique. »

« MIRAGE ». À ce point de la discussion, de nombreuses lignes de fracture apparaissent sur ce que les uns et les autres considèrent comme une politique agricole pertinente. Certains rêvent de reproduire en Afrique les grandes exploitations mécanisées de plusieurs milliers d’hectares du Brésil ou d’Australie. « C’est un mirage, s’agace Jean-Luc François. En Afrique de l’Ouest notamment, ce n’est pas possible. Le véritable enjeu est d’intensifier la production des petites exploitations agricoles. »

PRODUIRE PLUS EN POLLUANT MOINS

En continuant sur la pente actuelle, « les systèmes de production agricole africains ne seront en mesure d’assurer que 13 % des besoins alimentaires du continent en 2050 », prévient le Montpellier Panel, un groupe d’experts internationaux, dans son rapport « Intensification durable : un nouveau paradigme pour l’agriculture africaine », paru le 18 avril. Le défi est donc de produire plus, mais en limitant les impacts négatifs sur l’environnement et en faisant face aux changements climatiques à venir. Pour cela, les auteurs de l’étude mettent en avant une triple intensification : écologique, en privilégiant des modes de culture sans labour ou moins gourmands en pesticides ; génétique, en sélectionnant les semences les plus performantes, y compris les OGM ; et socio-économique, avec un environnement de marché favorable. Autant d’objectifs sur lesquels se concentre l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (lire interview pp. 114-115). S.D.

Ce débat sur la taille se mêle à celui sur la nature des productions à mettre en avant : vivrières pour la consommation locale ou d’exportation pour réduire le déficit commercial ? « Diminuer les importations pour être moins dépendant du marché n’est pas toujours la bonne voie à suivre, fait valoir Jean-Luc François. De nombreux pays ont des avantages comparatifs sur les cultures d’exportation tropicales. Et dans certaines zones comme l’Afrique du Nord, il faudra toujours acheter du blé. La course à l’autosuffisance serait suicidaire. » Cela étant dit, l’accent mis sur les cultures d’exportation pose question. « Ce sont ces cultures qui intéressent les investisseurs du Nord, pas la production d’oeufs, de maïs ou de manioc. Du coup, en Zambie, les poussins de trois jours sont importés des Pays-Bas par cargo », regrette Gilles Peltier.

Alors qu’il est difficile de conclure globalement sur la pertinence des choix effectués, il y a toutefois quelques exemples de stratégies unanimement salués. C’est le cas au Ghana, qui a su mobiliser ses petits producteurs sur des cultures d’exportation comme l’hévéa ou le cacao, avec des systèmes de financement qui fonctionnent bien. Autre réussite : la mise en valeur du fleuve Sénégal. « Le déficit commercial en riz a réellement diminué grâce à des investissements publics importants dans l’irrigation, un coup de fouet donné aux intrants et une politique aux frontières de taxation du riz brisure asiatique », résume Jean-Luc François.

VOLATILITÉ. Dernière mise en perspective dans un débat qui n’en manque pas : la hausse de la production est-elle un objectif suffisant ? « Avec la distribution d’engrais et de semences, les cultures locales de maïs et de riz sont devenues plus productives. Mais attention, ce n’est pas parce que la production progresse que le problème de l’insécurité alimentaire est résolu. Le pouvoir d’achat des ménages reste trop faible », prévient Nicolas Bricas, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

En 2008, la crise était avant tout liée à l’envolée des prix. Pour faire face à cette volatilité, c’est autant la question du pouvoir d’achat – et donc du chômage – qui est posée. « Avec la croissance démographique, 300 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail en Afrique subsaharienne. Qui propose ces emplois ? » interroge Nicolas Bricas, qui plaide plus pour des politiques multisectorielles que pour d’hypothétiques révolutions vertes.

Lire aussi :

La Tribune de Gilles Peltier : Quelle agriculture pour la sécurité alimentaire africaine ?

Les deux piliers de la sécurité alimentaire

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