Après les, cinquantenaires, un sursaut ?

Professeur d’histoire à l’université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal.

Publié le 24 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Les indépendances africaines, dont le cinquantenaire a été célébré en 2010, représentent incontestablement un chapitre important de l’histoire du XXe siècle. Elles ont été le résultat d’une forte mobilisation des peuples africains aspirant à la suppression du régime colonial. Kwame Nkrumah, figure emblématique des indépendances, avait, dans une phrase fameuse, tracé la voie : « Cherchez d’abord le royaume politique et tout le reste viendra s’y ajouter ! » Cinquante ans après, quel bilan peut-on tirer ? Le tableau est bien contrasté d’un pays à l’autre et d’une période à l’autre de ce tumultueux demi-siècle.

Sans doute, au titre des résultats positifs, on pourrait évoquer des progrès dans l’éducation, la santé, les infrastructures, les communications. Mais la tendance lourde de la période dégage un tableau plutôt décevant. En effet, plus de la moitié des pays les plus pauvres et endettés de la planète se trouvent au sud du Sahara. Les conflits continuent de drainer des millions de réfugiés, les taux de mortalité maternelle et infantile battent des records, le chômage est endémique, la faim chronique, le VIH/sida fait des ravages…

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La périodisation de cette pénible marche de cinquante ans révèle, grosso modo, trois grandes étapes dans ce qui illustre les maux actuels du continent. La période 1960-1980 a vu s’affirmer deux types de régimes politiques fondés sur des options idéologiques apparemment opposées : ceux se réclamant du « socialisme » ou du nationalisme radical, et ceux se réclamant du capitalisme libéral. Au-delà des discours, l’analyse du bilan économique de ces régimes révèle que les deux options stratégiques ont débouché sur une impasse. Pendant que l’économie peinait à assurer le bien-être des Africains, la gouvernance politique s’affaissait. L’imposition du parti unique, avec la transformation des pères fondateurs en dictateurs de moins en moins bienveillants, mena au divorce entre dirigeants et populations. Dans un deuxième temps, de 1980 à 2000, les ajustements structurels ont, certes, rétabli les équilibres macroéconomiques. Mais ils ont surtout déstabilisé le tissu social et désintégré le secteur industriel à cause de privatisations sauvages au profit des multinationales. L’agriculture, privée de subventions, a régressé. Les crises sociales se sont aggravées, accentuant la crise de leadership issue de la période précédente.

Les transitions démocratiques des années 1990-2010, qui représentent la troisième étape, ont suscité le nouvel et immense espoir d’une seconde libération, qui combinerait les progrès de la gouvernance économique pour assurer l’émergence du continent. Des avancées notables ont été enregistrées en matière de libertés publiques, de droits humains, d’ouverture des sociétés, de recul des despotismes, de conscience citoyenne et d’opinion publique, de presse indépendante… Dans le domaine économique, quelques frémissements sont notés dans certains pays. Mais, globalement, lesdits frémissements touchent surtout les secteurs des hydrocarbures et des mines.

À la courte période d’optimisme (2000-2004) a succédé la résurgence des vieux démons. Des régimes issus des alternances politiques et ceux rescapés de l’ère du parti unique cherchent à se maintenir au pouvoir, au risque de déstabiliser leurs pays. Fraudes électorales ou refus d’accepter le verdict des urnes (comme le montrent les tragiques événements de Côte d’Ivoire), révisions et manipulations des Constitutions et des lois électorales, gestion familiale du pouvoir avec la mise en coupe réglée des actifs de l’État. Même les forces sociales qui ont accédé au pouvoir grâce à un discours populiste et moraliste démontrent un appétit d’accumulation plus primitif que celui de leurs prédécesseurs. À cela s’ajoute une nouvelle mode : les États bradent matières premières et terres arables aux multinationales et à certaines puissances émergentes.

Au total, si les fruits de la lutte pour l’indépendance n’ont pas, cinquante ans après, tenu la promesse des fleurs, les raisons d’espérer un sursaut au cours du nouveau cinquantenaire qui s’ouvre ne manquent pas. Il y a, entre autres, le formidable dynamisme de millions d’acteurs (jeunes, femmes, forces du changement dans leur diversité) qui s’affirment. Grâce à leur labeur et à leurs sacrifices, ils réussiront, sans aucun doute, leur pari pour la rédemption de l’Afrique.

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