Aimé Césaire au Panthéon

Le 7 janvier, le président français a annoncé qu’un hommage solennel serait rendu au poète martiniquais au mois d’avril. Les relations entre les deux hommes ont pourtant été houleuses, le premier refusant toute repentance à l’égard du passé colonial.

Subversif, Césaire ne plaisait pas aux biens-pensants. © AFP

Subversif, Césaire ne plaisait pas aux biens-pensants. © AFP

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Publié le 20 janvier 2011 Lecture : 6 minutes.

Cela s’appelle « couper la poire en deux ». En avril prochain, ainsi que l’a annoncé la présidence française, une cérémonie solennelle sera organisée au Panthéon, à Paris, là où reposent ceux que la France considère comme ses grandes figures. À l’honneur cette fois, un fils insoumis : le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, disparu en avril 2008 à l’âge de 94 ans. Mais la dépouille du poète ne quittera pas son île, selon la volonté de sa famille, que Nicolas Sarkozy a rencontrée à Fort-de-France, le 7 janvier. La cérémonie consistera en la pose d’une plaque à l’entrée du Panthéon pour symboliser la présence d’Aimé Césaire. L’initiative de cet hommage de la République française au Martiniquais, qu’elle inscrit désormais parmi ses illustres enfants, revient au président, Nicolas Sarkozy. Pourtant, et c’est là le paradoxe, les relations tardives entre le patriarche de Fort-de-France et l’actuel hôte de l’Élysée n’ont pas nécessairement été de grandes effusions d’amour.

Climat politique nauséabond

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Nous sommes en 2005. Jacques Chirac est président, Nicolas Sarkozy son ministre de l’Intérieur. À l’Assemblée nationale française, une loi, conçue par des parlementaires de droite mal inspirés, est adoptée. Elle met l’accent sur la nécessité d’enseigner, dans les écoles, les aspects positifs de la colonisation outre-mer. Le climat politique devient nauséabond, d’autant que se déclenche, dans l’Hexagone, une guerre mémorielle, qui aboutit à une sorte de hiérarchisation des souffrances. C’est dans cette atmosphère tendue, où ceux qui avaient subi l’esclavage et la colonisation se sentent attaqués, blessés, marginalisés une fois de plus que Nicolas Sarkozy décide de se rendre aux Antilles. Dans son agenda : une rencontre avec Césaire. Mais il a peut-être oublié que l’homme qu’il souhaite rencontrer est l’auteur du Discours sur le colonialisme, un pamphlet sans concession contre le système colonial. Il a notamment écrit dans ce petit livre : « On me parle de progrès, de “réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à leur danse, à la sagesse. »

En Martinique, la population se mobilise pour empêcher la visite de Sarkozy. Césaire, qui est abattu par l’amendement sur les aspects positifs de la colonisation, ne décolère pas. Il dit : « Un si long combat pour en arriver là. Ce n’est pas très sérieux de leur part. Évidemment, ils doivent se dire : tout ça pour un îlot de rochers perdu dans l’Atlantique. » Et il refuse, lui l’homme aux bras toujours largement ouverts, de rencontrer Sarkozy. Il lance cette formule restée célèbre : « Qui est ce jeune homme ? Je ne le connais pas ! »

En fermant sa porte à Sarkozy, Césaire explique pourquoi : « Je n’accepte pas de recevoir le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy pour deux raisons. Un : des raisons personnelles. Deux : en tant qu’auteur du Discours sur le colonialisme, je reste fidèle à ma doctrine et anticolonialiste résolu. Et ne saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005. » De toute façon, face à l’hostilité générale, la visite du ministre est annulée.

Mars 2006. Les dispositions controversées de la loi du 23 février 2005 ont déjà été supprimées. Césaire a le sourire de celui dont la vision du monde triomphe. Il peut, enfin, recevoir Sarkozy. C’est leur toute première rencontre et elle a lieu au quartier général du poète, c’est-à-dire son ancien bureau de maire de Fort-de-France. À Alfred Marie-Jeanne, président de la région qui l’accueille, le ministre se montre provocateur, combatif. Il déclare, reprenant une vieille maxime locale et évoquant l’hostilité de l’année précédente : « On a dit de moi que j’ai fui. Le coq de combat ne fuit pas : me voici parmi vous. » Le moment le plus important est la visite qu’il rend à Césaire.

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L’atmosphère est cordiale, les esprits apaisés, même si le poète a dû se faire prier pour recevoir son hôte, qu’il appelle « Laurent ». Au cours de l’entretien, Césaire raconte à son hôte sa vie de jeune étudiant martiniquais à Paris, confronté au racisme ambiant, sa rencontre avec Léopold Sédar Senghor, la naissance du concept de négritude. Et il lui offre deux livres : un recueil de ses poèmes et Discours sur le colonialisme. Dans sa dédicace, l’ancien maire de Fort-de-France écrit : « Cette page d’histoire d’un petit pays certes, mais significative de l’histoire mondiale, la lutte de l’homme nouveau pour un monde nouveau. Le tout bien entendu dépend de la génération nouvelle parmi laquelle nous reconnaissons Nicolas Sarkozy. »

À son tour, le ministre de l’Intérieur offre au chantre de la négritude deux ouvrages : La République, les religions, l’espérance, écrit par lui, et un Dictionnaire des philosophes. Après une heure d’entretien, Sarkozy, conquis, aura ces mots : « C’est un grand honneur, une grande responsabilité d’être un homme nouveau distingué par Aimé Césaire. C’est extrêmement émouvant de l’écouter, car c’est une page d’histoire vivante qui s’exprime avec beaucoup de tolérance et de hauteur de vue. »

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Obsèques populaires

Avril 2008. Aimé Césaire décède à Fort-de-France. Sa famille, respectant ses dernières volontés, organise des obsèques populaires, sans discours ni hommage officiels. Mais Nicolas Sarkozy, déjà président, est là, à la tête d’une délégation venue de Paris. C’est à cette occasion que naît l’idée de l’entrée de Césaire au Panthéon. Elle est lancée par… Ségolène Royal, que le poète socialiste avait soutenue lors de la présidentielle de 2007 contre Sarkozy. La proposition est vite combattue, la classe politique française estimant que Césaire est mieux dans sa terre martiniquaise. Double langage ? Peut-être. Les choses en restent là. Sarkozy, qui ne dit rien depuis les obsèques de l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal, a son idée. C’est celle qu’il dévoile le 7 janvier lors de son bref séjour en Martinique. Est-ce pour lui une façon de rendre justice à un homme qui l’a subjugué, un poète qui a été boycotté et marginalisé par les tenants de la pensée unique métropolitains ? Ou une récupération politique ?

Césaire, ce grand subversif, ne plaisait pas aux bien-pensants, qui l’ont trouvé indigne d’entrer à l’Académie française. Pourtant, il avait dompté la langue française en l’adaptant à son tempérament volcanique, en l’enveloppant dans une constellation de couleurs. Le geste de Nicolas Sarkozy, réputé champion de la non-repentance, tranche avec l’attitude de son prédécesseur, Jacques Chirac, qui n’avait pas daigné, en 2001, aller assister, à Dakar, aux funérailles de Léopold Sédar Senghor, l’ami de Césaire, encore moins à la messe de requiem célébrée à Paris.

En fin de compte, le corps d’Aimé Césaire reposera pour l’éternité dans son île natale prisonnière de l’immensité marine. Là, personne ne viendra lui dire, à lui, laminaire : « Au large, Césaire ! Au large ! »

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