Alain Added : « J’essaie d’employer le plus possible de personnes issues des quartiers »

À l’heure de la retraite, ce Tunisien continue de se battre pour imposer la diversité dans le recrutement. Portrait d’un entrepreneur-né, par ailleurs féru d’art.

Alain Added. © Michel Monteaux pour J.A.

Alain Added. © Michel Monteaux pour J.A.

Publié le 27 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

L’écran de l’ordinateur renvoie à longueur de journée des promesses de sable fin et de mer bleu lagon, à l’image de ces plages du Brésil qui charment tant Alain Added. L’Amérique du Sud, voilà un lieu de villégiature tout trouvé pour ce futur retraité qui aspire à parcourir le monde. Mais au moment où nous le rencontrons, bien calé dans son fauteuil de cuir, le consultant qui officie auprès de la direction de Grey Consulting, cabinet de conseil en recrutement spécialisé dans le luxe, n’a guère le temps de s’accorder une caïpirinha. Les dossiers s’accumulent sur son bureau et il doit préparer une nouvelle édition des Grey Fashion Awards.

« Je prends ma retraite dans quelques jours, lâche Added, le sourire aux lèvres. Enfin, en théorie, car dans la pratique je vais poursuivre mes activités de consultant, en réduisant un peu le volume horaire. Vous savez, toutes ces crispations sur l’âge de la retraite me dépassent, car je pense que tant qu’on peut et veut travailler, on travaille. » Et rue Montmartre, ce n’est pas l’activité qui manque ce jour-là. Une petite dizaine d’employés, tous d’origine africaine, s’ingénient à placer les meilleurs CV du marché du luxe sur la place parisienne.

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La mode est une marotte qui poursuit Alain Added depuis son adolescence. Alors que la jeunesse française « interdit d’interdire » et s’exerce au lancer de pavés, il décide de mettre fin à ses études de mécanique générale pour s’inscrire à l’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod) : « J’aurais souhaité m’inscrire à l’École Boulle. Je voulais exercer un métier qui me permette d’allier art et technique, mais mes parents ne l’entendaient pas ainsi. » Entre cours du soir et petits boulots, Added obtient son diplôme de styliste modéliste et codirige, trois années durant, une entreprise de couture créée par son frère : Edgar Dalin.

Mais les Trente Glorieuses offrent de bien plus belles opportunités à qui sait les saisir. Forts de leur expérience acquise en intérim durant leurs études, les membres de la fratrie Added – trois frères et trois sœurs – imaginent dès 1972 une agence de recrutement de ce type, à l’instar des naissantes Bis et Adecco. « Nous avions appelé notre agence Nasa car il fallait à l’époque des noms tournés vers le futur… Nous étions parmi les pionniers dans le secteur », se souvient Added, qui suit alors le parcours classique d’un jeune loup fondu d’affaires. Son modèle n’est autre qu’un certain Bernard Tapie. Une idée, une entreprise, tel est le credo de ce concepteur-né ! Ainsi, comme l’emblématique patron d’Adidas, il enchaîne les business : après Nasa naissent le Groupement de l’intérim français (GIF) et le Cercle intérimaire, aujourd’hui racheté par un grand groupe. Puis il se tourne vers le Net avec jobgate.fr, l’un des premiers sites de recherche d’emploi en ligne. Parallèlement, il crée la galerie d’art Maatgallery, joli jouet pour celui qui aime oublier les tracas du quotidien le pinceau à la main.

Aujourd’hui, Alain Added porte un regard désolé sur certaines méthodes qui trahissent le manque d’imagination des directeurs des ressources humaines : « Je me souviens qu’en 1975 il était aisé de placer un candidat d’origine maghrébine ou africaine, mais la montée du chômage et du Front national a changé la donne. » Des injonctions des recruteurs refusant les candidats à la peau mate à l’apparition de catégories ethniques dans les fiches de recrutement, il aura tout vu et tout entendu. « J’ai toujours combattu cet état de fait, quitte à décrocher mon téléphone et insulter les chefs d’entreprise. J’aimerais que les RH aient dans la tête un profil type de candidat beaucoup plus ouvert, plus chamarré, et surtout plus en adéquation avec la diversité de la jeunesse actuelle », affirme le sexagénaire, divorcé et père de deux filles.

Fils d’un Français né en Algérie et devenu fonctionnaire dans la Tunisie colonisée, et d’une femme au foyer d’origine tunisienne, Alain Added a très tôt quitté son pays natal : « En 1955, aux premières heures de la décolonisation, je débarquai à Marseille. J’avais 5 ans. » Ses premiers souvenirs se situent en France, où il s’est senti tout de suite bien intégré. Très certainement parce que « les Tunisiens sont des personnes très discrètes se fondant aisément dans la masse ». Bien sûr, il y a eu de menues humiliations, comme ce jour où sa maîtresse d’école lui a demandé s’il parlait français à la maison tant il accumulait les fautes d’orthographe dans ses dictées, mais pas de trauma significatif.

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Le présent, a contrario, lui paraît plus sombre. Le consultant de Grey Consulting sent bien que la France peine avec l’intégration de sa jeunesse « issue de la diversité ». « Ces laissés-pour-compte dont personne ne se soucie, cette violence dans les cités : tout est lié. Ces enfants ont-ils d’autre choix que de se rebeller pour prouver qu’ils existent ? J’essaie de mon côté d’employer le plus possible des personnes issues des quartiers car, malgré tout, la République parvient à former de nombreux jeunes des cités, ceux qui ont la chance de grimper dans l’ascenseur social. »

Adepte de la discrimination positive, M. Added ? Pas vraiment, car si les locaux de Grey Consulting sont un open space métissé à souhait, c’est par le plus grand des hasards. « Mes employés sont les plus adaptés, c’est tout. Je m’interroge sur cette notion de discrimination positive. Il n’y a pas de raison de pénaliser un candidat blanc. Discriminer positivement c’est un constat d’échec. Et puis le simple fait de recruter, de choisir une personne sur tel ou tel critère est discriminant, non ? » s’interroge Added. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) trouve néanmoins grâce à ses yeux. L’institution lui semble nécessaire, même si l’essence de sa lutte se dilue dans la multiplication des champs discriminatoires.

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À quelques jours de la retraite, Added forme activement Amanda, sa fille, à la reprise de son cabinet de recrutement (550 000 euros de chiffre d’affaires). L’heure du départ a sonné. C’est à Dakar, où il se sent comme chez lui, qu’il posera le plus souvent ses valises. Notamment chez Bara, son ami, fondeur du Village des arts, qui se charge de donner vie à des sculptures, dans la plus pure tradition de la fonderie africaine. Il se rendra aussi dans cette Tunisie où il n’a jamais cessé d’aller. « Ce sont les odeurs, les couleurs, la nourriture qui me ramènent à mes origines. Où que j’aille en Afrique, mes sens se réveillent. » Entre ses séjours africains et ses escapades au Brésil, Alain Added entend bien former la relève française grâce au consulting. Reste à savoir si cet hyperactif trouvera le temps de parcourir la fameuse plage qui scintille sur son écran et de boire, enfin, sa caïpirinha.

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