« Se blan ki desid » (comme toujours)

Un an après le séisme, la communauté internationale est accusée de tous les maux. Souvent à tort, parfois à raison.

Dans une rue de Port-au-Prince, le 9 janvier. © Reuters

Dans une rue de Port-au-Prince, le 9 janvier. © Reuters

Publié le 19 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

C’est la tribune libre ou l’interview acerbe d’un intellectuel haïtien… C’est la prise de position sans nuance d’un diplomate brésilien ou le rapport accusateur d’une ONG britannique… Ce sont aussi des questions, ou des constats, qui font les titres des journaux : « Les Haïtiens ne sont pas écoutés », « L’imposture des Nations unies en Haïti », « Les ONG ont-elles peur de rendre des comptes ? » C’est un mot, enfin, qui revient sur toutes les lèvres : tutelle.

Un an après le séisme du 12 janvier 2010 (sans doute plus de 300 000 morts), la communauté internationale, dont l’omniprésence sur le terrain et dans les médias tranche avec l’effacement des autorités nationales, est accusée de tous les maux. Pour nombre d’Haïtiens, c’est elle qui a importé le choléra (plus de 3 500 victimes). Elle, aussi, qui a pesé de tout son poids pour que se tiennent des élections, en dépit des avertissements d’un certain nombre d’observateurs convaincus que, le Conseil électoral provisoire (CEP) étant à la botte du président René Préval, des fraudes massives étaient inévitables. Elle, enfin, qui a été incapable de mener correctement la reconstruction, et qui, selon les plus radicaux, tenterait même de profiter de l’« aubaine » pour dépouiller Haïti. L’agence Associated Press n’a-t-elle pas révélé dernièrement que, sur 100 dollars consacrés par les États-Unis à la reconstruction, les entreprises haïtiennes en perçoivent moins de 2 ?

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À quoi ça sert ?

Les premières banderilles ont été lancées pendant la campagne électorale, en novembre 2010. Puis les intellectuels ont pris le relais, à l’instar du romancier Lyonel Trouillot : « Que les Haïtiens ne soient pas écoutés, c’est une évidence », estime-t-il dans une interview au Monde. Selon lui, l’épidémie de choléra, dont des Casques bleus népalais pourraient être à l’origine, a « contribué à exacerber le sentiment que la présence d’une mission des Nations unies [la Minustah] ne sert pas à grand-chose ».

Mais l’ONU et ses 10 000 soldats ne sont pas les seules cibles. Bailleurs de fonds et ONG sont aussi accusés au mieux d’incompétence, au pire d’ingérence, d’affairisme voire de néocolonialisme. Dans un rapport publié le 6 janvier, l’ONG Oxfam impute « la paralysie » du processus de reconstruction à la négligence de la communauté internationale tout autant qu’à la corruption du gouvernement haïtien.

De fait, un an après le séisme, moins de 5 % des ruines ont été déblayées. Seuls 15 % des logements temporaires nécessaires ont été construits et plus de 800 000 personnes continuent de vivre dans des camps. Quant à l’aide de 2,1 milliards de dollars promise, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) en a reçu moins de la moitié (42 %). « Un milliard, ce ne serait pas mal si cette somme était bien utilisée. Hélas, ce n’est pas le cas », déplore un haut fonctionnaire international.

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Oxfam dénonce le manque de coordination entre les donateurs et la propension des plus « généreux » d’entre eux à imposer leurs priorités. La CIRH elle-même n’est pas exempte de reproches. Coprésidée par le Premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, et l’ancien président américain Bill Clinton, elle est censée coordonner la reconstruction dans le respect de la souveraineté du pays. Dans la pratique, les Haïtiens n’ont guère voix au chapitre.

Pire sans les ONG ?

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Les ONG ne sont pas épargnées. « Elles sont l’instrument d’une offensive contre notre souveraineté et participent au démantèlement économique et social de notre pays », s’insurge, dans Le Nouvelliste, Jean-Yves Jason, le maire de Port-au-Prince. « Personne ne connaît avec précision ni leur nombre ni ce qu’elles font », renchérit Karl Jean-Louis, responsable de l’Observatoire citoyen de l’action des pouvoirs publics. Selon plusieurs sources, elles seraient plus d’un millier sur place. Mais seules 495 sont dûment enregistrées, parmi lesquelles 19 respectent l’obligation qui leur est faite de soumettre chaque année à l’État un rapport d’activité.

La présence massive des humanitaires pose à la population des problèmes concrets : inflation, inégalités salariales, explosion du prix des loyers… « Oui, mais sans les ONG, ce serait pire », rétorque le géographe Jean-Marie Théodat. En matière de santé, d’éducation ou de satisfaction des besoins vitaux, ONG et institutions internationales tentent, depuis des années, de pallier l’incurie de l’État. Avant le séisme, le Programme alimentaire mondial (PAM) nourrissait un Haïtien sur cinq, 60 % du budget de l’État étaient fournis par les institutions internationales, et l’aide représentait un tiers du PIB. « Se blan ki desid » (« C’est l’étranger qui décide »), entend-on souvent.

« Comment peut-on prétendre reconstruire le pays sans être à l’écoute de ses pulsations ? » s’interroge Lyonel Trouillot. Entre des ONG qui « développent seules leurs stratégies », une Minustah qui joue le rôle d’un gouvernement « qui ne fait rien » sauf contrecarrer toute velléité de révolte populaire, et des hauts fonctionnaires internationaux qui « croient tout savoir d’un pays qu’ils ne connaissent pas », les Haïtiens « sont de simples objets », dénonce-t-il. Veut-on leur faire payer leur effronterie de 1804, comme le suggèrent nombre d’intellectuels ? Théodat ne veut pas y croire : « Qui, dans les chancelleries, se souvient de l’énormité de la stupeur provoquée par le massacre des colons en Haïti, aussitôt après l’indépendance ? »

Ricardo Seitenfus, lui, s’en souvient. Le 20 décembre, dans une interview au quotidien suisse Le Temps, qui lui valut, dès le lendemain, d’être renvoyé dans son pays, ce diplomate brésilien représentant à Port-au-Prince l’Organisation des États américains (OEA) n’avait pas hésité à évoquer « le péché originel d’Haïti » pour expliquer la relation particulière, définie « par la force », qu’elle entretient avec la communauté internationale. Seitenfus avait espéré, « dans la détresse du 12 janvier », que le monde « allait enfin comprendre qu’il avait fait fausse route en Haïti ». Aujourd’hui, il déchante. Tout va de mal en pis.

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