Irak : Moqtada Sadr, prêcheur en eau trouble

De retour en Irak après un exil de quatre ans en Iran, le leader radical chiite pourrait compliquer la tâche du Premier ministre Nouri al-Maliki, qui, paradoxalement, a besoin de son soutien pour gouverner.

Moqtada Sadr entouré de ses gardes du corps, le 6 janvier, à Nadjaf. © AFP

Moqtada Sadr entouré de ses gardes du corps, le 6 janvier, à Nadjaf. © AFP

Publié le 26 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Deux semaines après avoir donné son aval à la reconduction, le 21 décembre 2010, de Nouri al-Maliki à la tête du gouvernement, Moqtada Sadr est revenu, le 4 janvier, dans sa ville natale, Nadjaf,­ mettant fin à un exil volontaire de quatre ans à Qom (centre de l’Iran), ville sainte du chiisme duodécimain. Trois jours plus tard, le jeune imam de 37 ans prononçait le sermon de la grande prière du vendredi dans la mosquée de Koufa, qui abrite le mausolée de l’imam Ali, cousin et gendre du Prophète, que vénèrent les chiites.

Double légitimité

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Incisif et populiste, Moqtada, visage toujours aussi poupin malgré une barbe désormais plus sel que poivre, a appelé ses militants, qui se recrutent dans les couches les plus défavorisées de la majorité chiite, à maintenir la pression sur l’occupant en résistant « armes à la main jusqu’au départ du dernier soldat étranger de cette terre, sanctuaire de prophètes ». Sans être déterminant, le retour de Moqtada Sadr en Irak aura sans nul doute un impact sur la vie politique nationale. Avec 39 députés (sur 325, soit 12 %) dans la seconde législature post-­Saddam Hussein, le courant sadriste ne semble pas peser lourd comparé à la Coalition de l’État de droit, de Maliki (89 sièges), ou à Iraqiya, d’Iyad Allaoui, et ses 91 élus, mais cela suffit au bonheur de Moqtada, devenu l’arbitre du jeu politique irakien.

Pour avoir attendu neuf longs mois après les élections de mars 2010 avant d’obtenir la confiance du Parlement, Maliki sait que la longévité de son gouvernement dépend de cet imprévisible imam, vénéré comme un ayatollah, mais qui n’a même pas le statut de muchtahid (bas de l’échelle dans la hiérarchie du clergé chiite, loin derrière le hodjato islam, l’ayatollah, le grand ayatollah et enfin le mardjaiya).

Né en 1973 à Nadjaf, Moqtada se prévaut d’une double légitimité. La première est liée à son ascendance. Son père, l’ayatollah Mohamed Sadeq Sadr, pendu en 1999, est considéré comme le premier martyr chiite de l’ère Saddam, arrivé au pouvoir six mois auparavant. Affichant sa volonté de régner par la terreur sur la communauté chiite, Saddam Hussein fait exhiber le cadavre du supplicié dans les rues de Nadjaf. Moqtada a alors 6 ans et jure de venger son père. Le jeune garçon est pris en charge par son oncle, autre célébrité chiite : le grand ayatollah Mohamed Baqer Sadr. Condisciple de Khomeiny, l’oncle paternel de Moqtada est le théoricien de la Velayat-e Faqih (gouvernement du jurisconsulte), dont s’inspire le système en vigueur dans la République islamique d’Iran. Avec un tel pedigree, Moqtada n’a besoin ni de diplômes ni de charisme pour entretenir son aura politique.

Sa seconde source de légitimité tient à ses rapports tumultueux avec les Américains. Hostile à l’occupation étrangère, Moqtada Sadr est le seul homme politique irakien qui peut se targuer de n’avoir jamais collaboré avec Washington. Il est même le seul à avoir croisé le fer avec les troupes de la coalition qui a renversé Saddam Hussein en mars 2003. Non pas pour défendre le régime honni du Baas, mais pour tenter d’abréger la présence militaire étrangère en Irak. Djeish al-Mahdi, branche armée de son mouvement (1 million d’hommes selon lui, 60 000 selon les estimations les plus hautes), a commencé à en découdre avec les Américains dès 2004. Moqtada a toujours refusé que ses miliciens soient incorporés dans l’armée régulière irakienne après la formation du premier gouvernement élu, en 2005, ou même désarmés.

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Imprévisible et incontrôlable

Soupçonné d’avoir trempé dans l’assassinat, en 2003, d’Abdelmadjid al-Khoï, incarnation du courant moderniste au sein du clergé chiite, Moqtada a eu maille à partir avec la justice, mais celle-ci a préféré geler l’instruction (toujours au point mort) après des manifestations populaires qui ont secoué Sadr City, immense bidonville de Bagdad, et les grandes villes du sud de l’Irak, notamment Bassora.

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Le 31 décembre 2006, Moqtada a fini par voir son rêve d’enfance exaucé. Quelques minutes avant sa pendaison, le raïs déchu a entendu l’ensemble des personnes qui assistaient à l’exécution crier en chœur le prénom du jeune imam. Les mêmes s’acharneront ensuite sur le cadavre de Saddam. Les images font le tour du monde. De sa résidence à Koufa, Moqtada exulte. Les insurgés irakiens se jurent alors de lui couper la tête. Pour les combattants du Baas, il était devenu le bourreau de leur leader, et pour les salafistes d’Al-Qaïda, le valet des Américains. Cette double fatwa l’incite à s’exiler, le 23 février 2007, en Iran.

Pour ses hôtes iraniens, l’invité de Qom devient très vite ingérable. Cultivant sa réputation d’homme d’État, Moqtada multiplie les initiatives, ce que les Pasdarans, Gardiens de la révolution, apprécient modérément. Il rend visite à Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, au Liban. Il est reçu par Bachar al-Assad à Damas ou encore par Recep Tayyip Erdogan à Ankara. Les Iraniens sont excédés par son chiisme fortement teinté de nationalisme arabe et ses critiques acerbes contre le fédéralisme irakien discrètement encouragé par Téhéran. Mais tout cela est vite oublié, car Moqtada dispose d’un allié de poids en Iran : Mahmoud Ahmadinejad. Le président iranien est séduit par son discours antiaméricain et antisioniste. Du coup, les Pasdarans pardonnent au jeune imam son caractère imprévisible et surtout sa rivalité avec leur « ami à Bagdad » : Ammar al-Hakim, chef du Conseil suprême de la révolution islamique (CSRI) en Irak, qui en a hérité à la mort de son père, Abdelaziz al-Hakim, emporté par un cancer en 2009.

Il est peu probable que le retour de Moqtada Sadr ait une quelconque influence sur la situation sécuritaire (plus de 3 000 morts en 2010), mais il devrait compliquer davantage la tâche d’un Maliki, qui, paradoxalement, a besoin de ses voix pour gouverner un pays que s’apprêtent à quitter, cette année, les forces américaines.

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