Sud-Soudan : Salva Kiir, en toute indépendance
Habile mais taiseux, il a longtemps été l’homme de l’ombre. Jusqu’à la mort du chef de la rébellion sudiste, en 2005. Il s’apprête maintenant à prendre la tête d’un tout nouvel État : le Sud-Soudan. Retour sur un parcours hors norme.
Chapeau de cow-boy vissé sur la tête, barbe épaisse, larges épaules héritées de vingt années de guérilla dans le bush… La silhouette de Salva Kiir Mayardit est devenue, en quelques mois, reconnaissable entre toutes. Pour ce séparatiste de cœur, c’est le rêve de toute une vie qui est en train de se réaliser. Car l’issue du référendum qui s’est déroulé du 9 au 15 janvier laisse peu de place au doute : les 3,8 millions d’électeurs inscrits sur les listes vont très certainement lui offrir, et avec une large majorité, l’indépendance du Sud-Soudan. Après avoir commandé l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) dans les années 1980, puis dirigé le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), après avoir cumulé les casquettes de vice-président de la République du Soudan et de président du gouvernement semi-autonome du Sud-Soudan en 2005, Salva Kiir s’apprête, à 60 ans, à prendre la tête d’un tout nouveau pays : le Sud-Soudan indépendant.
Sergent de caserne
Rien ne le prédestinait pourtant à ce destin hors norme. Son premier ralliement à la rébellion sudiste, à la fin des années 1960, ne dure pas : en 1972, les accords d’Addis-Abeba mettent fin à la guerre qui opposait le Nord et le Sud depuis 1956. Salva Kiir rejoint les rangs de l’armée régulière, avec le grade de sergent de caserne. Des débuts sans gloire jusqu’à ce qu’en 1983 sa hiérarchie l’envoie étouffer une mutinerie dans le Sud. Kiir désobéit, passe à l’ennemi, fonde, avec John Garang, le SPLM, et prend le commandement de sa branche armée : le SPLA. Il passe alors de longues années au front avec ses hommes dans la boue, nuit et jour sous les pluies diluviennes. Son courage et son sens de la tactique militaire lui valent de belles victoires ainsi qu’une grande popularité. Les hommes qui ont servi sous ses ordres se souviennent de son honnêteté et de sa droiture. C’est cette réputation qui lui vaudra d’être choisi comme second par John Garang, le leader charismatique de la rébellion sudiste, au milieu des années 1990.
Guerre fratricide
À l’époque tout oppose les deux hommes. John Garang, diplomate cultivé, économiste formé aux États-Unis, maîtrise l’art de la négociation et fait le tour des capitales en menant grand train. Salva Kiir, lui, n’est ni un intellectuel ni un orateur-né. Il n’a connu que l’austérité de la guérilla et la vie quotidienne d’un Sud sous-développé. « Garang l’a choisi pour l’aura dont il jouissait auprès de la base, mais aussi et surtout parce qu’il savait que Salva Kiir n’était pas un grand stratège politique, explique Gérard Prunier, historien et spécialiste de l’Afrique de l’Est. Il se disait qu’un tel adjoint ne risquait pas de lui faire de l’ombre. » Les relations entre les deux hommes, tous deux issus de l’ethnie dinka (majoritaire au Sud) sont parfois houleuses. En 2003, John Garang tente même d’écarter ce militaire habile mais un peu rustre, qui sans cesse lui reproche de s’être éloigné de sa base. La guerre fratricide est évitée de justesse.
Lorsque John Garang trouve la mort dans un accident d’hélicoptère en juillet 2005, trois semaines seulement après avoir été investi vice-président du Soudan, Salva Kiir se retrouve catapulté dans une carrière politique qu’il n’a pas réellement souhaitée. Cette nomination conforme au règlement du SPLM fait grincer des dents au sein de l’organisation. Ils sont nombreux à reprocher à Salva Kiir son manque de formation et d’éducation. « Lors de ses voyages au Kenya ou aux États-Unis, John Garang s’entourait toujours de brillants conseillers sudistes formés dans le Nord et qui parlaient couramment l’arabe, se souvient Marc Lavergne, politologue et spécialiste du Soudan. Mais je n’ai jamais vu Salva Kiir avec lui. Il était toujours sur le terrain à faire le sale boulot. »
L’ancien militaire est tout de même venu à bout des réticences et a su conduire la région jusqu’au référendum. Salva Kiir a repris autour de lui les proches conseillers de son prédécesseur et est passé maître dans l’art du compromis. À la différence d’un John Garang dont l’ambition était de préserver l’unité du Soudan pour un jour y être élu président, Salva Kiir a toujours aspiré à l’indépendance.
« Il a représenté le Sud avec brio, assure Suzanne Jambo, l’une de ses proches conseillères depuis huit ans. Ces dernières années ont été très compliquées. Notre interlocuteur au Nord, le président El-Béchir, est un homme difficile ; il a rarement respecté les termes de l’accord de paix global (Comprehensive Peace Agreement, CPA). Salva Kiir a tenu bon, il a fait avancer le pays tout en gardant pour priorité absolue de ne pas sombrer de nouveau dans la guerre. Il a su éviter les pièges. »
Durant les derniers mois de la campagne pour le référendum, Salva Kiir s’est montré fidèle à sa réputation de taiseux, ne prenant la parole que pour appeler la communauté internationale et Khartoum à respecter le résultat du scrutin et multipliant les appels à la paix. C’est dans la cathédrale Sainte-Thérèse, à Juba, que ce chrétien pratiquant a prononcé ses discours les plus politiques, retransmis en direct à la radio locale. Il s’y montre chaque dimanche vêtu d’une simple tunique traditionnelle, confortablement assis au premier rang, à sa place attitrée, dans un large fauteuil en cuir. Lorsque les bancs sont pleins, il monte parfois en chaire pour s’adresser aux paroissiens. C’est là que, le 31 octobre 2009, il appelle pour la première fois clairement son peuple à se prononcer pour la séparation : « Lors de ce référendum, il faudra choisir entre rester un citoyen de seconde zone dans son propre pays ou devenir une personne libre dans un État indépendant. »
Intrigues de couloirs
Lors de l’une de ces déclarations du dimanche, Salva Kiir aurait aussi fait connaître son désir de se retirer de la vie politique à l’issue du référendum. La déclaration est passée inaperçue. Est-elle toujours d’actualité ? Pour certaines personnes de son entourage, l’ancien guérillero est aujourd’hui fatigué et déprimé. Il n’a pas pris un jour de congé depuis des années et rêve de passer la main. Cinq années de palabres et d’intrigues de couloirs ont eu raison de sa résistance, plus sûrement que vingt années de guerre. « Kiir n’est pas un homme assoiffé de pouvoir, analyse Gérard Prunier. Il a accepté ce rôle, mais ne l’a pas voulu. Si jamais il reste en place après le vote, ce sera uniquement parce que les dissidences sont telles qu’il représente le meilleur compromis. »
S’il choisit de rester, Salva Kiir devra conserver la diplomatie au cœur de ses priorités. Après le référendum, le nouveau leader sud-soudanais devra encore négocier les formalités de la séparation des deux États et régler les questions litigieuses : le partage de l’argent du pétrole, le tracé de la frontière, la question de la nationalité… La transition doit durer six mois. L’indépendance formelle est prévue le 9 juillet et la crainte d’un retour à la guerre est dans tous les esprits.
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