François Bozizé : « Les Centrafricains ne rendront jamais le pouvoir à ceux qui les ont mis à genoux »

Plusieurs fois reportées, les élections générales devraient enfin avoir lieu, le 23 janvier. Candidat à sa propre succession, le chef de l’État sortant fait face à une opposition qui ne le ménage guère et en qui il voit la source de tous les maux.

François Bozizé, au Palais de la renaissance à Bangui, le 6 janvier 2010 © Vincent Fournier, pour J.A.

François Bozizé, au Palais de la renaissance à Bangui, le 6 janvier 2010 © Vincent Fournier, pour J.A.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 21 janvier 2011 Lecture : 11 minutes.

À pays pauvre campagne cheap. À quelques jours du premier tour de la présidentielle (mais aussi des législatives), l’observateur habitué au déluge de banderoles, affiches géantes, casquettes et tee-shirts bariolés qui précède un peu partout les scrutins sur le continent n’y retrouve pas son folklore. 159e sur 169 selon le dernier indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Centrafrique n’a pas les moyens de s’offrir ce type de dépenses, et les candidats ont tous (ou presque) les poches trouées. Mais une autre raison explique le degré d’hypothermie enregistré au thermomètre de la fièvre électorale banguissoise : sur les cinq personnalités dont l’acte de candidature a été validé par la Cour constitutionnelle, trois menacent ouvertement de se retirer in extremis du processus si leurs revendications, qui concernent notamment l’indépendance de la Commission électorale et la sécurisation des opérations de vote dans les zones encore troublées du Nord et de l’Est, ne sont pas satisfaites. À défaut, déclarait il y a quelques jours Martin Ziguélé – candidat malheureux en 2005 avec 35 % des voix au second tour – au Confident, un quotidien de Bangui, « nous laisserons Bozizé aller seul aux élections et les gagner. C’est ce qu’il veut. Nous le lui offrirons sur un plateau d’or ».

Une rhétorique qui laisse de marbre le général-président de 64 ans, au pouvoir depuis mars 2003 et qui – situation inédite en Afrique – retrouve parmi ses adversaires à la présidentielle celui-là même qu’il avait renversé : Ange-Félix Patassé. Alors qu’ailleurs des chefs d’État en exercice font tout pour retarder l’échéance, François Bozizé Yangouvonda se dit pressé d’aller aux urnes et las de devoir prolonger son mandat au-delà de son terme à cause des reports exigés par l’opposition. D’autant que, cette fois, la communauté des bailleurs de fonds ainsi que l’ONU semblent lui donner raison…

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À Bangui la poussiéreuse au cœur de la saison sèche, là où se concentre la vie politique de ce pays de cinq millions d’habitants, la population se lève à l’aube pour gagner un pain quotidien trop souvent aléatoire. C’est dire si, de cette élection, les Centrafricains n’attendent qu’une chose : qu’elle se déroule sans heurts et que l’on tourne la page des querelles politiciennes afin de pouvoir enfin croire en des lendemains moins accablants. C’est donc sur fond d’attentisme – la participation sera l’un des enjeux de ce scrutin – que s’est déroulé l’entretien qui suit avec le président-candidat, le 6 janvier au Palais de la renaissance. Son programme, comme on le lira, se résume en une phrase dont le mérite est d’être claire : « C’est moi ou le chaos. »

Jeune Afrique : Le premier tour de la présidentielle est prévu le 23 janvier. Peut-on vraiment y croire ?

François Bozizé : Oui. Toutes les conditions sont réunies. Presque deux millions de Centrafricains se sont inscrits sur les listes électorales, soit un demi-million de plus qu’en 2005. La distribution des cartes d’électeur se poursuit normalement. Je n’ai jusqu’ici entendu aucune plainte sérieuse.

Ce n’est pas l’avis de vos concurrents. Tous ou presque disent redouter des fraudes, et certains menacent de se retirer de la course…

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Si ces récriminations émanaient du comité de pilotage, que préside la représentante du secrétaire général de l’ONU, je les examinerais avec attention. Mais ce n’est pas le cas. L’opposition ici tourne en rond depuis quinze mois, en agitant sans cesse les mêmes plaintes. Comment la prendre au sérieux ?

Pourquoi avez-vous décidé de procéder au décompte manuel des voix, technique qui peut apparaître obsolète et génératrice de fraudes, plutôt qu’au décompte informatisé ?

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Soyons clairs. Ce n’est pas moi qui ai pris cette décision. J’ai posé la question, au cours d’un séminaire élargi, aux représentants de l’Union européenne, du Pnud et des autres bailleurs de fonds de cette élection : voulez-vous un comptage manuel ou un comptage informatisé, sachant que dans ce dernier cas il faudrait acquérir les ordinateurs et former les techniciens, bref reporter le scrutin une nouvelle fois d’au moins six mois ? Un consensus s’est dégagé en faveur du comptage manuel, car nous ne pouvions plus attendre. C’est une décision commune. Bozizé n’a rien imposé.

Le nord et l’est de la Centrafrique sont encore peu sûrs. Le scrutin pourra-t-il s’y dérouler normalement ?

Ceux qui mettent en avant ce genre d’arguments ne veulent pas que l’élection ait lieu. En 2005, la situation était la même. Lorsque les forces de défense et de sécurité se sont déployées, le vote a pu avoir lieu sans problème.

À l’heure où nous parlons, il n’est pas exclu que plusieurs de vos adversaires décident finalement de boycotter la présidentielle, vous laissant seul face à votre prédécesseur, Ange-Félix Patassé. Qu’en pensez-vous ?

Je ne comprendrais pas que, alors que la Commission électorale indépendante [la CEI, NDLR], la Cour constitutionnelle et le Haut Conseil de la communication sont fin prêts pour gérer cette élection dans la transparence, certains se désistent au dernier moment. Vous savez, cette opposition nous a roulés dans la farine depuis trop longtemps. Il n’est pas question de jouer son jeu, encore moins de céder à son chantage.

Le président de la CEI, Joseph Binguimale, est accusé de tous les maux par l’opposition, qui le juge partial. J’imagine que vous le défendez…

Je n’ai ni à le défendre ni à l’attaquer. La CEI est un organisme indépendant et Binguimale a été élu par ses pairs, pas par moi. S’ils estiment qu’il a failli, eh bien qu’ils le démettent. Mais qu’on ne me rende pas responsable de ce que fait ou ne fait pas M. Binguimale.

Un audit a été réalisé sur la gestion de la CEI. Pourquoi ne pas le rendre public ?

Cet audit est là, effectivement. Mais je ne souhaite pas susciter des vagues inutiles pour l’instant, dans le contexte que nous connaissons.

On peut donc supposer que ses résultats sont critiques…

Non, pas vraiment. Mais, encore une fois, je préfère qu’il soit traité ultérieurement, dans un cadre serein, loin du jeu politicien de l’opposition.

L’argent joue un rôle important dans la campagne, et sur ce plan vos moyens sont nettement supérieurs à ceux de vos concurrents. Les dés sont-ils pipés ?

C’est vous qui le dites. Si mes adversaires ont choisi d’être candidats, c’est qu’ils doivent, j’imagine, avoir les moyens de leurs ambitions. Toute campagne a besoin d’argent. Se lancer démuni dans une telle aventure serait irresponsable.

On va vous reprocher d’utiliser les moyens de l’État – si ce n’est déjà fait…

Croyez-vous vraiment que ce sont les moyens de l’État qui font la différence ? On a vu dans d’autres pays des présidents en exercice perdre des élections. Ce qui fait la différence, c’est le bilan, l’image, la confiance.

Ange-Félix Patassé s’est plaint dans J.A. que vous refusiez de le recevoir alors qu’il demande à vous rencontrer depuis plus de deux mois afin d’éviter tout risque de dérapage. Pourquoi faites-vous la sourde oreille ?

J’ai vu Patassé à deux ou trois reprises depuis son retour à Bangui. Mais je ne peux pas me permettre de le recevoir à chaque fois qu’il le souhaite. Lui a tout son temps, moi j’ai mes occupations absorbantes de chef de l’État. Et puis j’ai d’autres choses à faire que de m’entretenir sans cesse avec des politiciens chevronnés qui ont consacré toute leur carrière à nuire au pays. Je préfère les tenir à distance.

Apparemment, vous allez mener une campagne pugnace…

Non, pourquoi ? Tout le monde me connaît. S’il ne s’agissait que de moi, la Centrafrique serait depuis toujours un pays cool.

Disons qu’il existe deux François Bozizé. Celui qui s’exprime en français et dont le message se veut consensuel, et celui qui s’adresse en sango aux populations. Là, le langage est beaucoup plus dur.

C’est votre opinion. En français, je m’adresse avant tout à la communauté internationale. En sango, je parle aux citoyens, avec leurs mots de tous les jours. On se comprend.

Tout de même, vous n’y allez pas toujours de main morte. Il y a trois mois, vous avez fait expulser manu militari un député d’opposition, Joseph Bendounga, qui vous avait interpellé lors d’une conférence publique. C’est un peu rude, non ?

Je n’accepte pas que l’on manque de respect au chef de l’État, a fortiori lors d’une réunion publique, télévisée en direct, devant les diplomates et tous les corps de l’État. J’ai simplement demandé qu’on l’évacue de la salle.

Ce que votre garde rapprochée a fait sans prendre de gants. Bendounga s’est plaint d’avoir été passé à tabac.

Les membres des services de sécurité, ici comme ailleurs, ne caressent pas les gens qu’ils interpellent. Ce ne sont pas des enfants de chœur.

Vous avez décidé, à l’occasion des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance, le 1er décembre, de réhabiliter l’ancien dictateur Bokassa dans tous ses droits, à titre posthume. Certains y ont vu une manœuvre préélectorale. Pourquoi ce geste ?

Treize ans après la mort de Bokassa, il fallait tourner la page et effacer le passé. J’ai fait revenir à Bangui les ex-présidents Kolingba – aujourd’hui décédé – et Patassé. Pourquoi Bokassa continuerait-il d’être exclu de la réconciliation nationale ? D’autant que cet homme, quoi qu’on en dise, a travaillé pour le pays. Voir dans cette décision une quelconque manœuvre relève de la mauvaise foi.

Si l’on en croit vos partisans, votre objectif est d’être élu dès le premier tour, le 23 janvier. Est-ce exact ?

S’il le faut, oui, c’est exact. Je suis confiant. Mon parti est prêt, en ordre de bataille pour la campagne. C’est d’ailleurs ce qui fait peur à mes adversaires, lesquels envisagent, semble-t-il, des faux-fuyants pour ne pas avoir à m’affronter. Mais laissons le peuple se prononcer.


L’heure du dépouillement dans un bureau de vote de la capitale, lors des précédentes élections générales, en mai 2005.
© Desirey Minkoh / AFP

En 2005, il y a eu deux tours. Et un résultat relativement serré…

Nous sommes en 2011. Je crois que les électeurs sauront faire la différence entre mon bilan et celui d’une opposition qui a passé son temps à criailler, à faire du juridisme et de la démagogie. La caractéristique de la situation centrafricaine, c’est que tous les candidats de l’opposition ont à un moment ou à un autre exercé le pouvoir dans ce pays. Pour quel résultat ? Le peuple n’est ni amnésique ni manipulable. Pensez-vous qu’il veuille le retour de ceux qui lui ont amené les Banyamulenge et les vingt à trente mois d’arriérés de salaire ? Croyez-vous qu’il a oublié que pendant cinq ans, à l’époque, les cotonculteurs et les planteurs de café ne perçurent aucun revenu ?

Reste que le vote ethnique est une réalité en Centrafrique. Et qu’il n’a que faire des bilans.

Sur ce plan, je suis serein. Je travaille avec toutes les ethnies alors que mes opposants, lorsqu’ils étaient aux affaires, n’ont travaillé qu’avec leurs frères et leurs cousins du village. Il faut le dire : c’est cela qui les a condamnés. Sous Patassé, le président, le Premier ministre, le chef d’état-major étaient du même village. Moi, je suis à l’aise partout, dans le Nord, dans l’Est, dans l’Ouest, à Bangui. Partout.

Imaginez-vous être battu ?

Non. Le peuple sait à quel point je me démène pour lui. Je doute fort qu’il choisisse à nouveau la voie de la misère et rende le pouvoir à ceux qui l’ont mis à genoux.

Tout de même : accepterez-vous le verdict des urnes, s’il vous est défavorable ?

Bien sûr. Nous verrons ensuite les conséquences.

S’il fallait décerner une note sur 20 au bilan de votre dernier mandat, laquelle vous attribueriez-vous ?

18 sur 20.

Mention très bien ? C’est beaucoup…

C’est juste. Compte tenu de toutes les difficultés, organisées par l’opposition, qui se sont dressées sur mon chemin, ce que j’ai accompli est une œuvre de gladiateur. Et cela sans aide extérieure ou presque. Nous avons dû racler le fond de la marmite pour pouvoir s’en sortir. À certains moments, nous avons été à deux doigts de craquer.

Quelle est, selon vous, votre principale réussite ?

Avoir ramené la paix et fait renaître la confiance dans le cœur des Centrafricains.

Et là où vous auriez pu mieux faire ?

La sécurisation complète du pays. La situation des sociétés d’État aussi.

Et la corruption, l’impunité ?

Oui, c’est bien vrai. On peut, on doit mieux faire. Mais n’oubliez pas d’où nous venons… Lorsque je suis arrivé au pouvoir, en 2003, la plupart des Centrafricains ne croyaient plus en l’avenir de leur pays. Beaucoup de cadres avaient émigré. Aujourd’hui, la diaspora revient. L’espoir est là.

Impossible de ne pas vous interroger sur la grande crise du moment : la Côte d’Ivoire. Vous sentez-vous interpellé par ce qui se passe à Abidjan ?

Évidemment. C’est une affaire pénible. Tout a été géré convenablement jusqu’à l’atterrissage, qui s’est hélas mal passé.

Avez-vous une position ?

Nous nous alignerons toujours sur la position de l’Union africaine.

Faut-il ou non négocier avec Laurent Gbagbo ?

Par principe, je préfère la négociation à la guerre. On ne sait jamais comment, ni après quels dégâts, se termine une guerre.

Vous allez bientôt avoir un nouvel État à votre frontière : le Sud-Soudan. Quel est votre sentiment ?

J’attends. Cela dépendra de la façon dont les choses vont se dérouler et de l’attitude du pouvoir de Khartoum. À l’époque de la guerre, de nombreux réfugiés venus du Sud-Soudan ont franchi notre frontière. Nous sommes en première ligne.

Connaissez-vous le futur président, Salva Kiir ?

Un peu. Nous nous sommes salués à plusieurs reprises, notamment à Khartoum. Mais nous n’avons pas encore vraiment parlé.

Pourquoi les électeurs centrafricains devraient-ils vous renouveler leur confiance ?

Lorsque j’ai provoqué le changement de mars 2003, le pays était éteint. Depuis lors, Bangui et le reste de la Centrafrique ont connu de vraies avancées économiques et sociales. Il faut continuer en ce sens plutôt que de redonner les clés à ceux qui ont mis la République à feu et à sang. Nous avons acquis désormais l’expérience nécessaire pour mener le combat de la reconstruction. Au cours des cinq prochaines années, si Dieu le veut, l’uranium, l’or et peut-être le pétrole centrafricains seront entrés en phase d’exploitation. On ne s’arrête pas en si bon chemin.

Si vous êtes réélu, ce sera votre dernier mandat…

Oui, en principe, puisque la Constitution stipule deux mandats consécutifs et que j’en ai déjà accompli un. Mais vous savez, tout dépend du peuple. Si le peuple m’oblige à rester au-delà, moi, je suis un militaire. Je suis au service du peuple.

Propos recueillis à Bangui par François Soudan

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