Algérie : l’onde de choc

Si tout a commencé à Sidi Bouzid, en Tunisie, la vague de mécontentement a également touché le pays voisin. Notamment le quartier de Bab el-Oued à Alger. Le pouvoir a rapidement réagi.

Publié le 21 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Tunisie : c’est une révolution
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Pays de jacqueries, l’Algérie est régulièrement secouée d’émeutes épisodiques, très localisées et qui s’apaisent aussi vite qu’elles naissent. « Le phénomène est banal », analyse Me Miloud Brahimi, ancien président de la Ligue algérienne des droits de l’homme. « En revanche, quand Bab el-Oued bouge, l’opinion est beaucoup plus attentive, le pouvoir plus inquiet. » Pourquoi Bab el-Oued ? Pour Kaddour, 68 ans, projectionniste à la retraite du Majestic – salle de cinéma mythique du quartier, aujourd’hui rebaptisée Atlas –, « la légende de “Bab el-Oued la rebelle” est née juste avant l’indépendance. Ce quartier exclusivement européen a été, en mars 1962, le cadre d’un violent affrontement entre l’armée coloniale et les ultras de l’Algérie française ».

Promiscuité, manque d’espace

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Sa réputation de cité frondeuse s’est renforcée quand, en octobre 1988, les manifestations qui ont emporté le régime du parti unique y ont débuté. La répression militaire pour restaurer l’ordre public – sous la présidence de Chadli Bendjedid – y a fait plus de 500 morts : les « Bab el-Oued Chouhada » (« martyrs de Bab el-Oued »). Dans la foulée, la mosquée ­Es-Sunna, située au cœur du quartier, et son imam, Ali Benhadj, devinrent les stars de l’islamisme, alors triomphant, incarné par le Front islamique du salut (FIS, dont Benhadj était le vice-président).

Situé en contrebas de la Casbah d’Alger, sur le front de mer, Bab el-Oued est au pied de la colline de Zghara trône Notre-Dame d’Afrique – « Madame l’Afrique », comme l’appellent les enfants du quartier. Avant l’indépendance, 100 000 Européens y vivaient. Aujourd’hui, plus de 1 million d’habitants – soit un Algérois sur quatre – s’y entassent. « Bab el-Oued a les mêmes problèmes que toutes les agglomérations congestionnées. Personne n’y meurt de faim, mais le cadre de vie y est très dégradé », explique Nacer, architecte qui a grandi dans le quartier populaire mais a dû s’exiler en périphérie d’Alger pour ouvrir son cabinet. « Balcons et cagibis ont été transformés en chambres, et les cages d’escalier sont squattées en permanence par de nouveaux arrivants. L’espace public a été envahi par des bidonvilles ou des vendeurs à la sauvette », déplore notre architecte. Promiscuité, manque d’espace : « C’est cela, la cause des émeutes du 5 janvier ; pas le chômage, qui n’est pas un phénomène récent, ni le coût de la vie. Les jeunes Algériens sont prêts à se transformer en boat people ; ils sont convaincus que partir c’est vivre – du moins, dans de meilleures conditions. »

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Après soixante-douze heures d’émeutes, du 5 au 7 janvier, Bab el-Oued a retrouvé son quotidien fait de commerce à tout-va. Les terrasses d’El-Kettani, un espace de loisirs au bord de la Méditerranée, sont bondées, mais, dès la tombée de la nuit, la clientèle féminine se fait plus discrète. « Ce n’est pas nouveau », raconte Sihem, 28 ans, cadre dans une banque publique. « Le sentiment d’insécurité date de plusieurs années. Seule ou accompagnée, la femme attire les regards. J’ai assisté aux émeutes depuis le balcon de mon appartement. En comparant avec ce qui se passe en Tunisie, par exemple, ce qui m’a frappé est la participation féminine à Sidi Bouzid. À Bab el-Oued, l’émeutière n’existe pas. »

La réputation du quartier embarrasse de plus en plus ses habitants. « Au début, l’intérêt que nous portaient les médias étrangers et nationaux flattait notre ego », affirme Farouk, 22 ans, étudiant en électronique. « Bab el-Oued inspirait littérature et cinéma. Mais, aujourd’hui, cela commence à être pesant. On ne veut plus trembler pour nos petits frères [80 % des émeutiers sont âgés de 13 à 18 ans, NDLR] à la première escarmouche avec les flics. » À présent, Farouk craint par-dessus tout la répression policière et la sévérité de la justice : « La police va chercher à identifier les pilleurs grâce aux caméras de surveillance [que les jeunes n’ont neutralisées qu’au troisième jour des troubles] et lancer des campagnes d’arrestations ciblées. Chaque nuit, des policiers en civil viennent cueillir chez eux des suspects. Un nouveau drame pour les familles. » Selon des organisations de défense des droits de l’homme, le nombre d’interpellations consécutives aux émeutes, qui ont embrasé 20 des 48 wilayas (préfectures) du pays, s’élève à 1 347 au total, dont 650 pour la seule ville d’Alger. La majorité des interpellés y est originaire de Bab el-Oued – qu’il s’agisse de Bazetta, Oued Koriche (ex-Frais Vallon), La Carrière ou encore Triolet… Après les cocktails Molotov et les gaz lacrymogènes, le quartier s’apprête à sombrer dans l’émotion des prétoires, les effets de manches des avocats et la légendaire main lourde des magistrats algériens.

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