Le phénomène Stéphane Hessel

Ancien résistant et ancien diplomate, il a publié fin octobre un petit livre pour dénoncer le pouvoir de l’argent et lancer cet appel : « Indignez-vous ! » Son succès imprévu – 650 000 exemplaires vendus – en dit long sur l’état de l’opinion.

Stéphane Hessel a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. © AFP

Stéphane Hessel a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. © AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 19 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

La libraire est navrée. « Vous cherchez Indignez-vous !, le dernier livre de Stéphane Hessel ? Il est épuisé et ne sera pas retiré avant la mi-janvier. » D’abord publié, en octobre, à 8 000 exemplaires par une microscopique maison d’édition nommée Indigène, ce petit opuscule de 30 pages vendu au prix modique de 3 euros s’arrache au point que son tirage dépasse désormais les 650 000 exemplaires.

Que l’on vote à droite ou à gauche, on l’a acheté à poignées pour l’offrir à Noël à la famille assoupie dans son confort. On le distribue aux adolescents trop peu réactifs, aux amis grincheux et aux contemporains résignés. Demain, on s’en servira comme d’un tract appelant à un sursaut vital.

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Le premier socle du livre et de son auteur, un gentleman de 93 ans, c’est la résistance contre la barbarie nazie. Normal, dira-t-on, pour un Juif d’origine allemande rallié au général de Gaulle et qui a survécu à l’horreur du camp de Buchenwald.

Le deuxième, ce sont les droits de l’homme. Normal, répétera-t-on, pour un diplomate qui, en 1948, a participé à la rédaction de la Déclaration universelle – laquelle, dans son article I, rappelle que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits ». À partir de ces bases, Stéphane Hessel construit méthodiquement son indignation.

Normal, n’est-ce pas, pour un normalien un tantinet gauchiste, qui a eu pour professeur Maurice Merleau-Ponty et presque pour condisciple Jean-Paul Sartre. Eh bien, non, pas si « normal » que ça ! Car il appelle de ses vœux « une société dont nous soyons fiers », et non « cette société qui multiplie les sans-papiers, les expulsions et les soupçons à l’égard des immigrés. Pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis ».

Renard dans le poulailler

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Il dénonce « le pouvoir de l’argent [qui] n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État ». Il croit toujours en la liberté, « mais pas cette liberté incontrôlée du renard dans le poulailler ». Face à la course au « toujours plus », ce véritable « ouragan destructeur », il refuse l’indifférence – « la pire des attitudes » – et prône l’indignation comme antidote. Et cela entraîne l’adhésion de ses lecteurs français, algériens, grecs, polonais ou américains. Pourquoi ? « C’est vite lu », répond modestement Hessel pour cacher son amusement d’avoir fait « un effet bœuf » avec son brûlot de poche. « Cela rappelle les grandes valeurs. Les lecteurs reçoivent ce tout petit livre comme une incitation à ne pas accepter ce qui les choque. »

Le socialiste qu’il est demeuré se veut lucide : « On ne se sent à l’aise avec aucun parti, aucune personnalité. Ni avec Nicolas Sarkozy ni même avec Jean-Luc Mélenchon. Les grands mouvements comme Attac et Porto Alegre ont perdu de leur élan. Les gens ne savent plus quoi faire en présence de ce qui les choque. »

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« Les indignations que je cite, se félicite-t-il, suscitent leur intérêt : la financiarisation de la société, le terrorisme, l’exploitation de la planète et, bien sûr, la Palestine et Gaza, qui sont la combinaison de tout ce qui m’indigne, moi, en tant que Juif : la façon dont les Israéliens ont agi contre ces pauvres Gazaouis est affreuse, inacceptable. Si l’on m’appelle pour mettre le gouvernement israélien devant ses responsabilités, j’accourrai, qu’il s’agisse d’armer un bateau ou de remplir un stade pour Gaza. »

Pour lui, la résistance doit être collective et non violente, parce que la violence – qu’il comprend comme une forme de désespoir – est « inefficace » en ce qu’elle perpétue ce qu’elle prétend supprimer. « Indignez-vous, dit-il, parce qu’un être humain que rien n’indigne n’est pas complet. En fait, nous ne sommes dignes que dans la mesure où nous nous indignons et nous engageons pour y porter remède. »

L’important est de s’indigner

Met-il sur le même plan celui qui s’indigne de la présence trop importante des Maghrébins et celui qui s’indigne du sort fait aux Roms ? « Même une indignation contraire à la mienne, répond-il, me semble préférable à l’indifférence et au découragement. » Doit-on s’indigner de Nicolas Sarkozy ? « Surtout pas lui comme président en 2012 ! s’exclame-t-il, mais cela relève moins de l’indignation que de l’action politique. »

Il est facile de se battre contre la colonisation ou l’apartheid, mais contre la mondialisation financière ? « Les choses sont plus confuses qu’au temps de la Résistance mais, comme le propose Claude Alphandéry, il faut refouler le profit. Ce qui veut dire épauler l’économie sociale et solidaire, qui ne représente que 15 % de l’activité économique française et mériterait d’être portée à 40 %. »

Est-il indigné par la situation ivoirienne ? « Gbagbo charrie, c’est sûr, et je me réjouis de l’unanimité des Nations unies, de la Cedeao, de l’Union européenne et de l’Union africaine pour défendre le droit international. Pour une fois, tout le monde est d’accord, tous les éléments d’une solution sont là. Pourtant, je ne suis pas sûr que la communauté internationale arrivera à la défendre jusqu’au bout. »

On pourrait penser que son formidable succès de librairie donne à Stéphane Hessel l’envie de récidiver. Pas le moins du monde. « Une éditrice s’est mis en tête d’enregistrer nos dialogues avec Régis Debray, Edgar Morin ou Laure Adler pour en tirer une sorte de Livre de sagesse, maugrée-t-il. Mais je me méfie de mon ego et des effets que provoquent sur lui ceux qui me disent : vous êtes une icône, vous dites ce que personne ne dit, etc. Je ne suis pas sûr d’aller jusqu’au bout de l’entreprise. »

Mais les médias sont terriblement tentants. Pour la cinquième fois en une demi-heure, le téléphone sonne. Dans un allemand aussi suave que son français, le gentleman rouge donne rendez-vous à un journaliste d’outre-Rhin qui souhaite lui en faire dire plus long sur ses indignations d’éternel jeune homme… 

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