J’accuse !

Nous allons tous rejoindre le concert des condamnations. Ensemble, musulmans et chrétiens, gouvernement et opposition, mosquées et églises, religieux et laïcs, nous allons nous lever et dénoncer d’une seule voix Al-Qaïda et les musulmans fanatiques de tous poils. Certains d’entre nous iront même jusqu’à accuser le salafisme et le fondamentalisme musulman en bloc. Nous allons à nouveau proclamer l’unité éternelle des « deux éléments jumeaux de notre nation », invoquer la révolution de 1919 et son drapeau orné d’un croissant embrassant une croix, expression symbolique d’un lien indéfectible.

Mais bon nombre de ces déclarations ne seront que pure hypocrisie. Car nous les aurons bien sûr nuancées de manière à préserver, derrière les apparences, nos préjugés, un évident deux poids deux mesures et cette bigoterie dans laquelle sont enfermés la plupart de ceux qui auront clamé leur indignation.

Je ne suis pas Émile Zola, mais j’accuse, moi aussi. Et ce ne sont pas les criminels assoiffés de sang d’Al-Qaïda, ni quelque bande de voyous impliquée dans l’horreur qui s’est produite à Alexandrie que je vise. J’accuse un gouvernement qui semble penser que c’est en faisant de la surenchère avec les islamistes qu’on pourra neutraliser ceux-ci. J’accuse une clique de députés et de ministres d’avoir fait entrer leur propre bigoterie au Parlement ou au sein d’organes nationaux ou locaux, où ils exercent sans aucun contrôle une autorité à la fois brutale et inepte. J’accuse ces institutions qui croient qu’en favorisant la mouvance salafiste elles affaibliront les Frères musulmans, qui aiment jouer de temps à autre sur les sentiments anti­coptes, sans doute pour faire diversion et éluder les vrais problèmes.

Surtout, j’accuse les millions de musulmans prétendument modérés parmi nous dont les préjugés et l’étroitesse d’esprit vont s’accentuant au fil des ans.

J’accuse ceux d’entre nous que l’interruption de la construction d’un centre musulman à Ground Zero met en colère mais qui applaudissent la police lorsqu’elle empêche l’érection d’une cage d’escalier dans une église copte du Caire. Je vous ai entendu dire, dans vos bureaux et vos soirées entre amis : « Il faut donner une bonne leçon aux coptes », « ils deviennent de plus en plus arrogants », « les coptes convertissent des musulmans en secret ».

Je vous accuse tous, vous qui à cause de votre bigoterie aveugle ne voyez pas à quel point vous malmenez le bon sens et la logique. Vous osez accuser le monde entier d’utiliser le deux poids deux mesures à votre égard, mais vous êtes incapables de vous apercevoir que vous en faites autant de manière tout aussi flagrante.

Enfin, j’accuse les intellectuels de gauche, musulmans et chrétiens, qui, complices, apeurés, ou simplement peu disposés à déplaire aux « masses », se contentent de se joindre au chœur des pleureuses, alors que les massacres se poursuivent et deviennent de plus en plus atroces.