Sur la piste de Tamir Pardo
Vétéran des opérations spéciales, Tamir Pardo, le nouveau patron du Mossad, a pour mission de poursuivre le travail entamé par son prédécesseur : saboter le programme nucléaire iranien. Portrait.
Il était connu jusqu’ici sous l’appellation « T ». Cette initiale – que se voit par ailleurs attribuer tout haut gradé du contre-espionnage israélien – n’était apparue qu’une seule fois dans la presse, en 2007, sur fond de remaniements au sein de l’appareil exécutif du Mossad. Elle a ressurgi pour des raisons similaires en juin dernier. L’identité de T est alors dévoilée sur le compte Twitter d’un journaliste de la télévision israélienne, qui échappe à la vigilance de la censure militaire. Pendant quelques heures, une poignée d’internautes découvriront que l’agent en question se nomme Tamir Pardo et qu’il serait en passe de succéder au redoutable Meir Dagan à la tête du Mossad. L’information est immédiatement placée sous embargo.
La nomination de Pardo n’est officialisée que six mois après cette étrange fuite, le 29 novembre, mettant fin à d’interminables spéculations dans les milieux concernés. Le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahou, a semble-t-il longuement hésité avant d’annoncer vers qui se portait son choix. Il faut dire que l’un des plus sérieux outsiders au poste de « memuneh » [chef du Mossad, NDLR] se trouvait être Amos Yadlin, patron sortant des renseignements militaires. Ce général expérimenté a pu faire valoir plusieurs succès opérationnels au premier rang desquels figurent la mise au jour du dispositif tactique du Hezbollah au Sud-Liban et surtout la planification du raid contre le réacteur syrien d’Al-Kibar, en septembre 2007.
Avant d’embrasser une carrière quasi clandestine, Tamir Pardo s’est lui aussi illustré dans l’armée. En 1976, il fait partie des commandos de Tsahal qui libèrent les otages du vol Air France retenus à l’aéroport d’Entebbe, à 3 500 km du territoire de l’État hébreu. Le jeune Tamir agit alors sous les ordres de Jonathan Netanyahou, frère de l’actuel Premier ministre, qui trouvera la mort au cours de l’assaut. Il s’agit, à ce jour, du seul fait d’armes connu du nouveau directeur des services secrets. Dans la petite localité de Nirit, où il réside, nombre d’habitants sont d’ailleurs restés incrédules en comprenant enfin ce qui poussait leur voisin à se montrer si discret au quotidien.
Pur produit maison
Tamir Pardo, 57 ans, est présenté comme un pur produit du Mossad. Depuis son entrée dans l’institution, en 1980, il a évolué dans ses principales cellules opérationnelles, en particulier l’unité Neviot, spécialisée dans les écoutes, les interceptions électroniques et la surveillance cartographique de cibles à l’étranger. C’est au moment où il la dirige que Pardo acquiert sa stature. « Il a effectué un parcours sans faute, se souvient Ephraïm Halévy, ancien chef du Mossad. Tout en démontrant son autorité et ses capacités de décision, il était très apprécié par ses subordonnés. Ses rapports étaient toujours fiables et il savait garder son calme, même sous pression. »
Son ascension s’accélère brusquement en 1998. Après l’échec de la tentative d’assassinat de Khaled Mechaal – alors chef de la branche jordanienne du Hamas palestinien – à Amman, Tamir Pardo est propulsé responsable des opérations extérieures du Mossad. Quatre ans plus tard, il devient l’adjoint de Meir Dagan, tout juste nommé à la tête des services secrets par Ariel Sharon. En 2006, Pardo est temporairement détaché à l’état-major de Tsahal, où il sert de conseiller pour les opérations spéciales. Particulièrement actif au cours de la seconde guerre du Liban, il profite de sa position pour tisser des liens étroits avec la hiérarchie militaire, notamment avec les généraux Gadi Eizenkot et Tal Rosso, qui occupent des postes clés. Le premier est l’actuel chef du commandement nord, tandis que le second s’apprête à diriger le front sud en lieu et place de Yoav Galant, promu nouveau chef d’état-major des forces israéliennes.
Dès lors, Tamir Pardo ne cache plus ses ambitions de prendre la direction du Mossad. À la fin de 2007, il est rappelé en urgence par Meir Dagan après que son numéro deux – « N » – le quitte, furieux de le voir reconduit une nouvelle fois dans ses fonctions. Fin tacticien, Pardo accepte de revenir travailler au côté de Dagan, persuadé que celui-ci finira par renoncer à son fauteuil. Mais il comprend très vite qu’il risque de rester encore longtemps dans son ombre et décide de quitter l’organisation en juin 2009. « S’ils veulent me parler, ils n’ont qu’à m’appeler », aurait-il déclaré à son entourage. Le miracle tant espéré finit par se produire. Alors qu’il se trouve en pleine reconversion dans les affaires, Tamir Pardo est convoqué en novembre 2010 au bureau du Premier ministre, à Jérusalem. Benyamin Netanyahou lui offre un mandat ferme de cinq ans à la tête des services secrets de l’État hébreu.
La nomination de Pardo réjouit unanimement l’establishment israélien. D’abord parce qu’il s’agit du premier chef du Mossad depuis 1996 à être véritablement issu de l’organisation. Trente années de gestion opérationnelle, une parfaite maîtrise des rouages du système et de l’ensemble des dossiers liés à la sécurité d’Israël en font indéniablement l’homme idoine. Dans les milieux de la défense, ses qualités sont hautement appréciées. « Il est clairvoyant, prudent et réfléchi », assure le général de réserve Uzi Dayan, aide de camp de Benyamin Netanyahou. Sans détour, il place l’arrêt du programme nucléaire iranien comme priorité absolue de Tamir Pardo. « Il a la capacité de créer un pacte silencieux avec des pays et des leaders qui se trouvent du bon côté, celui faisant face à un ennemi commun », explique Dayan.
Une guerre sans merci
Les récentes révélations de WikiLeaks accréditent clairement l’hypothèse d’une stratégie d’alliance en cours. Du point de vue israélien, les craintes exprimées par certains États arabes « modérés » et les monarchies du Golfe à l’égard de la République islamique iranienne constituent une aubaine. Mais le Mossad n’a pas attendu qu’elles se traduisent en soutien diplomatique ou militaire pour agir. Sous l’impulsion de Meir Dagan – qui vient d’achever huit ans de loyaux services –, l’État hébreu semble déjà engagé dans une guerre sans merci pour enrayer les ambitions nucléaires de l’Iran. Attaque cybernétique contre les centrifugeuses de Natanz, assassinat de scientifiques et de cadres des Pasdarans, mystérieuse explosion dans la base de missiles Imam Ali, la liste des actions attribuées jusqu’ici aux services secrets israéliens est longue. Elles pourraient désormais porter la signature de Tamir Pardo.
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