Présidentielle centrafricaine : trois hommes pour un fauteuil

Pour l’élection présidentielle du 23 janvier, c’est un peu un scénario de tragédie grecque. Avec, parmi les candidats, un ancien chef de l’État, Ange-Félix Patassé, son tombeur aujourd’hui à la tête du pays, François Bozizé, et son ancien Premier ministre, Martin Ziguélé.

François Bozizé, élu une première fois en 2005, affrontera fin janvier cinq autres candidats. © Issouf Sanogo/AFP

François Bozizé, élu une première fois en 2005, affrontera fin janvier cinq autres candidats. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 20 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Les Centrafricains parlent des élections comme de leur vie quotidienne : au conditionnel. Le 23 janvier, ils doivent se rendre aux urnes pour choisir un président parmi six candidats, et élire 105 députés. Mais jusqu’au dernier moment, la question se posera : le calendrier sera-t-il respecté ? Les électeurs (1,8 million, pour 4,8 millions d’habitants) ont de quoi être sceptiques. Le premier tour de la présidentielle et celui des législatives ont déjà été deux fois reportés en 2010 : des noms manquaient sur les listes électorales, il restait à imprimer et distribuer les bulletins de vote et les cartes d’électeur. Un grand cafouillage s’annonçait. Bailleur indispensable au processus électoral, la communauté internationale ne pouvait le financer sans se discréditer. L’opposition brandissait la menace d’un boycott.

Coupeurs de route

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Organiser des élections générales en Centrafrique est un défi. Les conflits à répétition du début des années 2000 ont épuisé le pays. Aujourd’hui, il reste en proie aux coupeurs de route et à des attaques rebelles sporadiques. La dernière en date remonte au 24 novembre. Des membres de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) ont pris d’assaut Birao, la principale ville du Nord-Est, obligeant l’armée à recourir à l’aide militaire du Tchad voisin.

Dans ce contexte, l’état des routes, des pistes pour la plupart, rend chaotique l’acheminement du matériel électoral (urnes, bulletins). Recenser les électeurs est un casse-tête. D’après le Haut-Commissariat pour les réfugiés, le pays compte 190 000 déplacés. L’enjeu est aussi financier. Avec un budget de 210 milliards de F CFA pour 2011 (320 millions d’euros), l’État est démuni et paie les fonctionnaires, chevilles ouvrières de l’organisation du vote, à un rythme fantaisiste. Fin décembre, les commissaires de la Commission électorale indépendante (CEI) de Nola, dans le Sud-Ouest, ont refusé de travailler. Ils réclamaient le versement des arriérés de leurs indemnités. La communauté internationale finance largement le processus électoral. D’abord évalué à 14 millions d’euros, son coût a grimpé à 23 millions.

Selon le gouvernement, cette fois-ci sera pourtant la bonne. « Nous sommes fin prêts », assure le président de la CEI, le pasteur Joseph Binguimale. Il énumère les avancées : bulletins de vote imprimés à Dubaï et arrivés à Bangui le 3 janvier ; confection des 9 000 listes électorales (manuellement, en trois exemplaires) achevée ; détail des bureaux de vote (4 500 au total) affiché. Il se fait l’écho du chef de l’État. Candidat à sa propre succession, François Bozizé a encore promis le 3 janvier le respect du calendrier.

L’optimisme forcené du gouvernement tranche avec l’alarmisme des quatre candidats de l’opposition. Le 4 janvier, l’ex-Premier ministre et chef du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) Martin Ziguélé, l’ex-rebelle et ex-ministre de la Défense Jean-Jacques Demafouth, Émile Nakombo, qui se présente sous la bannière du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) et Justin Innocent Wilité, du Congrès centrafricain de la renaissance (dont le dossier doit encore être validé par la Cour constitutionnelle), ont une nouvelle fois menacé de se retirer du processus électoral. Ils dressent la liste des failles – partialité de la CEI, viol du code électoral, insécurité – et exigent des « mesures correctives ». La principale : un président « neutre » pour la CEI. En clair, le départ de Joseph Binguimale, incompétent de l’avis général. Faut-il prendre le coup de semonce au sérieux ? Il ressemble surtout à une mesure de prudence de l’opposition, pour se ménager une possibilité de contestation crédible après le scrutin. « Il ne faudra pas nous reprocher d’avoir accepté les règles sans rien dire », prévient Martin Ziguélé.

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L’ordre et la sérénité n’ont pas caractérisé les préparatifs. Des militaires ont bloqué l’accès au siège de la CEI, à Bangui, du 21 au 23 décembre. « J’ai demandé que nous soyons tous enfermés pour que nous travaillions, explique Joseph Binguimale. Et en deux jours nous avons fait le travail de dix jours. » La transcription des listes électorales accusait un long retard. Autre défaillance, le vote, qui devait être électronique, sera finalement manuel – pour des questions de coûts, selon le gouvernement. Les récépissés délivrés aux électeurs après inscription tiendront donc lieu de cartes, une source potentielle de fraude selon l’opposition.

Valse des reports

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« Les préparatifs ont été très pénibles », commente un diplomate sous le couvert de l’anonymat. Il estime néanmoins que le scrutin doit se tenir le 23 janvier. Selon lui, le chef de l’État a montré sa bonne volonté en nommant, en novembre, Jean Willybiro Sako au ministère de l’Administration territoriale. Reconnu pour sa compétence, ce dernier présidait la Commission électorale mixte indépendante lors des élections de 2005, jugées satisfaisantes par la communauté internationale.

« Les conséquences d’un nouveau report seraient pires que celles de l’élection en l’état actuel », poursuit le diplomate. Habitée par le spectre de la Côte d’Ivoire, la communauté internationale redoute une valse de reports. Alors que la tenue des élections sonnerait l’entrée de la Centrafrique dans un cycle politique normal, gage de stabilité pour les bailleurs de fonds et les investisseurs. Ils sont aujourd’hui attentistes et regardants avec le pays. « Tout est suspendu aux élections, dit Fidèle Gouandjika, porte-parole du gouvernement et ministre de l’Agriculture. Quand je demande l’organisation d’une table ronde sur la sécurité alimentaire, on me dit “faites des élections”. » Encore faut-il que le scrutin soit jugé acceptable. L’Union européenne n’a pas prévu l’envoi d’observateurs. Des experts de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui suit le processus politique depuis 2005, seront en revanche sur place. Ancien président du Burundi, Pierre Buyoya doit faire le déplacement en tant qu’envoyé spécial du secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf.

Pressé de se rendre aux urnes, le pouvoir est serein. « Il n’y aura pas de deuxième tour ! » promet Fidèle Gouandjika. Comprendre : le chef de l’État, François Bozizé, l’emportera dès la première manche. Pour ce dernier, l’enjeu tient surtout aux législatives. Il lui faudrait une majorité à l’Assemblée pour avoir les coudées franches lors d’un deuxième mandat. Mais son parti, le Kwa na kwa (KNK), encore jeune, devra affronter des appareils solides et bien implantés. Le RDC de l’ex-président André Kolingba (mort en février 2010), ou le MLPC de Martin Ziguélé.

Candidat en 2005, ce dernier ne se fait pas d’illusions sur ses chances de victoire à la présidentielle. Elle sera néanmoins une occasion de mesurer sa popularité face à Ange-Félix Patassé, renversé par François Bozizé en 2003. Hier chef de l’État et président du MLPC, Patassé était le parrain de Ziguélé. Il le fit même Premier ministre. Aujourd’hui, il est son rival. Un scénario de tragédie grecque s’annonce entre les tropiques. Mais pour les Centrafricains, il n’aura certainement pas le goût de la nouveauté.

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