Bataille autour de Gbagbo

Si la communauté internationale est unanime, la rareté – et la lenteur – des réactions africaines a joué en faveur de l’occupant du palais présidentiel.

Publié le 19 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Il y eut d’abord une salve de tirs sur Laurent Gbagbo. Une sorte d’unanimisme affiché par la communauté internationale, dès le 3 décembre, dans la foulée de la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel. Sur la forme, le feu est nourri. Sur le fond, l’argumentaire s’appuie sur la réalité des chiffres annoncés par la Commission électorale indépendante (CEI) et certifiés par la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci). Sur place à Abidjan, le représentant spécial, Choi Young-jin, est le premier à donner le ton : « Alassane Ouattara a remporté le scrutin. » Depuis New York, Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, « félicite Alassane Ouattara et demande au président Laurent Gbagbo de faire ce qu’il doit faire pour le bien de son pays ».

La Cedeao ne prend position que le 5 décembre

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Le même jour, le président américain, Barack Obama, passablement irrité par la fin de non-recevoir de Gbagbo à ses appels téléphoniques, « demande au président sortant de reconnaître les résultats ». L’Élysée, déterminé à ne surtout pas apparaître en première ligne, réagit publiquement le lendemain. Nicolas Sarkozy,­ avec son goût prononcé pour les effets de manches, lance : « Un président est élu en Côte d’Ivoire, ce président c’est Monsieur Alassane Ouattara. »

Problème : à ce jour, aucune instance africaine n’a encore réagi. Il faut attendre le 5 décembre pour lire le premier communiqué de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Deux jours plus tard, lors du sommet d’Abuja, le président en exercice de l’organisation, le chef d’État nigérian Goodluck Jonathan, a beau sonner la charge – « Laurent Gbagbo doit rendre le pouvoir sans délai » –, cette chronologie donne du grain à moudre au camp Gbagbo, qui fustige une ingérence occidentale. L’Union africaine – sous l’impulsion du président de la Commission, Jean Ping – reconnaît les résultats « certifiés » par les Nations unies le 9 décembre.

Sanctions européennes, ultimatum de Sarkozy puis résolution de l’ONU… Nationaliste, héritier de la lutte anticoloniale et militant de la seconde indépendance, Gbagbo a beau jeu de dénoncer un « complot » français et américain. À cette posture afrocentriste qui séduit une bonne partie de l’opinion continentale, bien peu d’autorités morales africaines ont opposé le droit et la vérité des urnes. Icône absolue, mais épuisé et malade, Nelson Mandela est réduit au silence. Alpha Oumar Konaré est décidément trop prudent depuis qu’il a quitté l’Union africaine. En fait, seul Abdou Diouf, le secrétaire général de la Francophonie, s’est risqué à placer Gbagbo face à ses responsabilités. Quant à l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, il a attendu le 21 décembre pour se dire « sérieusement préoccupé par l’aggravation de la situation ». Sonnés ou apathiques, les intellectuels du continent ont également tardé à se faire entendre. Wole Soyinka, le Prix Nobel nigérian de littérature, est bien seul quand il demande à Gbagbo de saisir la seule solution « honorable » : quitter le pouvoir.

Dénoncer l’ingérence, sans se prononcer sur le fond

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D’autres intellectuels ou leaders d’opinion peuvent alors s’engouffrer dans la brèche et dérouler l’implacable laïus sur la souveraineté africaine. Ils le font avec sincérité mais oublient systématiquement de donner l’identité du vainqueur, selon eux, du scrutin du 28 décembre. Par commodité ? Calixthe Beyala, dans les colonnes de Jeune Afrique, « ne [croit] pas que M. Alassane Ouattara soit le président élu ». Dans un appel signé, notamment, par Albert Bourgi (universitaire), Guy Labertit (l’ami socialiste de trente ans) et Jean Ziegler (pacifiste devant l’Éternel), il est uniquement question de dire non à toute intervention militaire, qu’elle soit le fait d’une « force impérialiste ou d’une coalition africaine ». L’ancien secrétaire général d’Amnesty International, Pierre Sané, revient, lui, sur cette « chronique d’un échec annoncé », mais exonère Gbagbo. S’exprimant dans un texte argumenté, l’écrivain guinéen Tierno Monénemboque l’on sent particulièrement affecté – ne supporte plus cette communauté internationale qui bafoue la démocratie au gré de ses intérêts. Dans ces conditions, Gaston Kelman en appelle au réveil de l’intellectuel africain.

Et puis il y a quelques égarés de la Françafrique qui – n’étant plus à un paradoxe près – volent au secours de Gbagbo. Pour beaucoup, ils se donnent rendez-vous dans les studios de la radio Kernews implantée dans l’ouest de la France et créée par Yannick Urrien – ancien militant de l’organisation étudiante UNI, fondée par un certain… Jacques Foccart. Au micro, on peut entendre le politologue Michel Galy ou encore le très chiraquien Jean-François Probst. « À Abidjan, vous avez deux camps et une presse très plurielle et vous entendez deux sons de cloche », ose le premier. « M. Choi a une technique coréenne qui n’a rien à voir avec la démocratie moderne », accuse le second…

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