A la recherche de la perle rare
Il la caresse du regard, la fait rouler dans sa paume, l’effleure du bout du doigt, puis la suspend dans les airs. « Elle est unique. C’est une daoud de Mauritanie. Elle a plus de 5 000 ans. Avec ses alvéoles et ses couleurs, elle est totalement psychédélique », s’extasie Patrick devant sa pièce préférée. Intense moment de plaisir qu’il ne partage qu’en de très rares occasions. Ne méritent de poser les yeux sur ses perles que ceux à qui il accorde sa confiance. En général, des passionnés comme lui, qui ne voient pas en elles de simples objets pouvant rapporter de l’argent.
Troc et ornements
Cet après-midi de décembre, c’est sur la petite plage rocailleuse de l’ancienne prison de Gorée – il a grandi et vit depuis toujours sur l’île située au large de Dakar – qu’il reçoit Jeune Afrique. Et expose quelques-unes de ses pièces les plus rares. Ambre, amazonite, turquoise, agate, jaspe bleu… et même des ornements en argent ou en or massif dénichés en Afrique de l’Ouest. En Mauritanie et au Mali surtout. Mais pas question de photographier « sa daoud ». « Elle est précieuse. Je ne suis pas prêt à la montrer », explique le collectionneur « sénégalais d’origine française » né à Dakar en 1962 de parents français et dont le père a également vu le jour au pays de la Teranga.
Cette pièce de la taille d’une mandarine, Patrick Fievet – ou « Patrick de Gorée » – l’a achetée il y a quelques années auprès d’un de ses amis haoussa. Combien l’a-t-il payée ? « Le prix n’est pas une référence. Il n’y a aucun critère. Tout se passe entre le vendeur et l’acheteur. Et, pour moi, le plus important n’est pas la valeur marchande d’une perle, mais ce qu’elle me raconte. Chacune a une histoire et témoigne de l’évolution de l’humanité. » Il dit d’ailleurs avoir acquis il y a une quinzaine d’années de l’ambre verte pressée à 30 francs français (4,50 euros) l’unité et en avoir refusé 10 000 francs suisses (7 800 euros) dix ans plus tard car il ne se sépare jamais d’une perle s’il n’en a pas plusieurs exemplaires. Et son plus grand regret reste d’avoir laissé filer il y a vingt ans un jeu de 73 kifas de Mauritanie proposé à 15 000 F CFA (23 euros). De nos jours, la pièce vaut 60 euros !
Encore peu connues il y a une trentaine d’années, les perles et pierres que l’on trouve en Afrique subsaharienne, autrefois utilisées pour le troc et comme ornements, ont en effet pris de la valeur. Car elles sont aussi devenues plus difficiles à trouver. La publication de plusieurs ouvrages spécialisés aurait suscité l’intérêt de nouveaux collectionneurs, qui se retrouvent désormais dans des ventes aux enchères en Europe, aux États-Unis et en Asie.
« Chercheur autodidacte »
Patrick de Gorée, lui, les cherche le plus souvent sur le terrain, mais il n’en dit pas beaucoup sur ses « fournisseurs », qui sont parfois de simples compagnons de route arborant de jolies parures. Deux ou trois fois par an, il parcourt les marchés de la sous-région à bord de taxis-brousse. Sa collection compte, selon lui, des millions de pièces trouvées, achetées ou troquées depuis son adolescence. L’on y trouve des pièces qui servaient de contrepoids pour maintenir perruques et autres coiffes. Mais aussi des millefiori (perles de Venise) qui ont été offertes à certains chefs africains en échange d’esclaves lors de la traite. Ces perles, façonnées dans de la pâte de verre et produites en grande quantité en Italie à partir du XVe siècle, étaient déjà connues des Égyptiens.
Celui qui fut à ses débuts créateur de bijoux se définit comme un « chercheur autodidacte ». Aujourd’hui, son plus grand rêve est d’ouvrir à Gorée un musée des perles pour « montrer de façon exhaustive tout ce qui a pu exister en Afrique de l’Ouest, qu’il s’agisse de pièces faites sur place ou venues d’ailleurs ». Un projet qu’il mûrit depuis vingt-cinq ans, mais qui, selon lui a du mal à voir le jour en raison de difficultés familiales qui l’ont laissé sur le carreau… En attendant, il continue de cacher ses « merveilles ».
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